La tentation de l’aviation d’affaires

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Louer un jet privé pour 4.000 euros l’heure de vol ? Pour certains managers ou personnes aisées, le tarif est acceptable. Surtout avec les mesures de sécurité qui rendent les vols réguliers toujours plus fastidieux. Le marché connaît donc une certaine croissance en Belgique.

Belle machine que le Cessna Latitude présenté à la presse par NetJets début septembre, à Zaventem. Un petit vol aller-retour vers le nord des Pays-Bas suffit pour apprécier le confort des fauteuils couleur crème, la hauteur de la cabine, l’efficacité de la machine à expresso, la réactivité de l’iPad qui commande le volet des fenêtres. Il s’agit d’un biréacteur moyen, apte à rejoindre d’un coup d’aile le Moyen-Orient avec huit passagers, un successeur amélioré d’un modèle très apprécié, le Cessna XLS. NetJets venait le présenter aux clients et aux prospects de Belgique, dans l’espoir de le vendre selon la formule développée par cette société, numéro un mondial de l’aviation d’affaires en copropriété.

1. ACHETER UNE PART D’AVION

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Au lieu d’acheter l’avion entier, à 16 millions de dollars, NetJets propose des fractions, à partir de 1/16e (soit environ 1 million de dollars). ” Cela correspond à une part des heures de vol annuelles “, indique Antonia Giles, vice présidente de NetJets, qui s’occupe depuis Paris du commercial pour la Belgique. ” Nous estimons qu’un avion vole 800 heures par an, donc 1/16e représente 50 heures. ” Au prix de la part il faut ajouter des frais de management mensuels et la couverture des coûts variables par heure de vol (carburant, pilote, etc.).

NetJets est le principal acteur dans la copropriété. C’est aussi le numéro un mondial de l’aviation d’affaires, avec 700 avions dans le monde. Mais il n’est pas le seul. Les grands acteurs locaux comme Abelag (Luxaviation) et FlyingGroup proposent cette formule. Mais leur principal business consiste à gérer des avions pour le compte de leurs propriétaires (managed aircraft operators). Ils organisent les vols, gèrent les pilotes, la maintenance, et assurent la location de ces avions lorsqu’ils ne sont pas utilisés, ce qui réduit les frais. Les deux modèles, la copropriété et la gestion sous-traitée, se côtoient et se développent tous les deux. Face à NetJets, Luxaviation, qui a racheté Abelag en 2013, a fort grandi et est devenu le numéro deux mondial, avec une flotte en gestion de 252 avions, dont la moitié en Europe.

Une croissance de 1,8 % jusqu’en août

PASCAL LHOEST, DIRECTEUR DES OPÉRATIONS DE VOL DE NETJETS :
PASCAL LHOEST, DIRECTEUR DES OPÉRATIONS DE VOL DE NETJETS : “On peut gagner deux heures par vol en recourant à un avion d’affaires. D’autant qu’on peut choisir l’aéroport le plus proche, qui peut être Courtrai, Charleroi, Liège, Ostende, Anvers ou Zaventem.”© PG

Ces compagnies s’adressent à un marché qui se réveille. Après quelques années moroses nées de la crise financière, l’aviation d’affaires récupère du terrain en Belgique. Elle reste un moyen de transport coûteux, mais les entrepreneurs ou les particuliers aisés s’y intéressent davantage, à mesure que les aéroports de vols réguliers multiplient les mesures de sécurité. Voyager y devient moins confortable, même en business class. ” Nous avons vendu 30 % d’heures de vol de plus pour le premier semestre “, note Hervé Laitat, CEO d’Abelag. NetJets et FlyingGroup connaissent aussi une croissance en 2016. Une nouvelle petite compagnie s’est même créée à Liège, Yellow Time Solution, avec un monomoteur Pilatus PC12 de huit places. Elle compte parmi ses actionnaires Marc Wilmots.

L’association des compagnies de vols d’affaires, EBAA, note une hausse de 1,8 % des vols sur les huit premiers mois de 2016 pour la Belgique et le Luxembourg. ” Disons que l’on peut gagner deux heures par vol en recourant à un avion d’affaires, assure Pascal Lhoest, directeur des opérations de vol de NetJets. D’autant que vous pouvez choisir l’aéroport le plus proche, qui peut être Courtrai, Charleroi, Liège, Ostende, Anvers ou Zaventem par exemple. ” Pour des managers de groupes internationaux qui voyagent beaucoup, parfois plusieurs fois dans la journée, deux heures par vol valent de l’argent. ” Ce sont aussi des vols moins fatigants, avance Bernard van Milders, CEO de FlyingGroup. Vous arrivez 10 à 15 minutes avant le départ, vous êtes tout de suite dans l’avion, et la pressurisation est souvent meilleure donc vous arrivez en meilleure forme qu’après un vol régulier. ” L’avion privé peut toucher des petits aérodromes, des endroits mal ou pas reliés à des vols réguliers, dans les villes secondaires des pays d’Europe orientale par exemple. C’est le cas de Tivat, au Monténégro, une ville côtière que les investisseurs en immobilier ont du mal à rejoindre rapidement par vols réguliers.

2. Louer un avion à partir de 2.000 euros/heure de vol

Les amateurs de voyages en avion privé, qui n’ont besoin que de quelques dizaines d’heures par an, recourent à l’affrètement. Abelag facture entre 2.000 euros l’heure pour un avion à hélices Beechraft King Air 2000 de sept places, 4.000 euros l’heure pour un jet et 6.000 euros l’heure pour un biréacteur long-courrier d’une dizaine de places. La nouvelle compagnie liégeoise Yellow Time Solution facture 2.450 euros de l’heure pour un avion à hélices de huit places, apte à se poser sur de courtes pistes inaccessibles par des jets. Les opérateurs proposent souvent des forfaits sous forme de cartes. Celle d’Abelag propose 25 heures à 86.000 euros, pour un jet CJ2 de six places, pouvant voler 2.600 km. NetJets facture 155.000 euros pour 25 heures en Embraer Phenom de six places (2.700 km max), soit respectivement 3.538 et 6.200 euros par heure pour tout l’avion, tout compris. Cet écart de tarifs s’explique par le profil du service : NetJets peut assurer n’importe quel vol en Europe (par exemple Nice-Londres pour un client belge), hors de Belgique, car ses nombreux avions sont disséminés en Europe. Un opérateur belge aura plus de mal à assurer ce type de vol car ses avions sont basés en Belgique, il devra donc sans doute envoyer un avion à vide vers Nice ou trouver un partenaire.

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En outre, il est possible de voyager moitié moins cher en dénichant les empty legs (vols à vide). Lorsqu’un avion dépose un client qui reste une semaine à destination, il ne reste pas forcément sur place, il peut repartir à vide pour assurer d’autres vols. Ces trajets sont dans la mesure du possible commercialisés à moindre coût ; les sites des compagnies les proposent parfois, comme FlyingGroup. Certains sites regroupent ce type d’offres (Lunetjet par exemple). Quant à Abelag, elle ne publie pas ses empty legs sur son site mais les propose à ses clients réguliers.

Luxaviation, numéro deux mondial

L’achat d’un avion est une autre histoire. Cela peut aller de 2 à 50 millions de dollars pour un avion neuf, du jet ultra-léger au long-courrier qui vole directement entre Bruxelles et Los Angeles. D’occasion, comptez entre 3 et 5 millions de dollars pour un jet Cessna CJ2 de trois ans (six places, 2.600 km). Plus les coûts de pilotage, de maintenance, de gestion, d’assurances, de carburant, de parking. Les grands acteurs sont rares dans le marché ; rien à voir avec le monde des compagnies régulières qui s’est fort consolidé. L’aviation privée relève souvent de petites sociétés propriétaires d’un ou deux avions, et de quelques acteurs gérant des dizaines d’avions. Avec ses 700 avions, NetJets constitue une exception. Son modèle est basé sur la taille, qui permet d’acquérir des avions à meilleur compte pour les vendre en copropriété. Luxaviation fait aussi figure d’exception : ce groupe né au Grand-Duché en 2009 a grandi à coup d’acquisitions. Le rachat, l’an dernier, d’un acteur suisse plus grand que lui, ExecuJet, l’a propulsé à la deuxième place mondiale, derrière NetJets, en ajoutant 146 avions en gestion.

Luxaviation a été fondé par le Luxembourgeois Patrick Hansen, ingénieur commercial formé à l’Ichec. Il vise les 500 avions d’ici 2019 et une expansion aux Etats-Unis, où il est encore absent. Cette progression de Luxaviation est dopée par l’arrivée d’un actionnaire chinois, China Minsheng Investments, qui contrôle 33 % de la société. L’idée de grandir rapidement est une obsession pour Patrick Hansen. Cet ancien de Deloitte et de Fortis Bank a cofondé un fonds au Grand-Duché, Edison Capital Partners, spécialisé dans le financement de bateaux et d’avions. Il s’est intéressé à l’aviation d’affaires et a vite été persuadé que la gestion des avions privés était peu efficace, car organisée dans des petites sociétés disposant d’un ou deux avions. ” Je pense que cela s’explique par l’importance des relations personnelles, les relations de confiance avec tel ou tel pilote “, avance Patrick Hansen. Les propriétaires des avions ne cherchent pas tous à ” rentabiliser ” un avion à tout prix, ” mais avoir un seul avion pose un problème de disponibilité quand il est en réparation ou en maintenance, alors que si on dispose d’un avion géré par un groupe, il y a moyen de trouver un appareil de remplacement”, continue le manager luxembourgeois.

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L’ascension rapide de Luxaviation stresse et intrigue ses concurrents, mais le marché des entreprises de management d’avion offre des perspectives intéressantes pour tout le monde. Gérer seul ou en petit comité un avion devient de plus en plus difficile, car la pression réglementaire augmente. ” Depuis août dernier, les avions privés doivent être gérés de la même façon que les avions de ligne, avec une maintenance, une formation et une gestion des pilotes par des organisations certifiées, des NCC, indique Bernard van Milders, CEO de FlyingGroup, un autre grand acteur de l’aviation d’affaires en Belgique, qui gère 40 avions. Cela signifie que les avions doivent en pratique être gérés par des sociétés comme la nôtre, qui sont organisées et certifiées pour toutes les opérations. ”

Avantages et inconvénients de la copropriété

Les formules d’avions en copropriété ou gérés par une société ont chacune leurs atouts et leurs faiblesses. La première offre le bénéfice de la propriété d’un avion sans en payer le prix total. De plus, la part peut être revendue et il y a moyen d’acheter des parts dans des avions de tailles différentes, pour mieux coller aux besoins. L’inconvénient est que l’avion n’est pas personnalisable. Dans le cas de NetJets, la part ne peut être revendue qu’à la compagnie, même s’il y a un acquéreur potentiel. Le copropriétaire ne volera pas forcément dans l’avion qui figure sur son contrat de copropriété, mais au moins dans le même modèle. En cas de défaut, un modèle plus grand lui sera proposé, sans supplément de prix. C’est un peu la même chose avec les sociétés de management d’avion : lorsqu’un client souhaite utiliser son avion et que ce dernier est loué, il peut en utiliser un autre.

HERVÉ LAITAT, CEO D'ABELAG :
HERVÉ LAITAT, CEO D’ABELAG : “Nous avons vendu 30 % d’heures de vol de plus pour le premier semestre.”© PG

Les entreprises locales de management d’avion, tel Abelag ou FlyingGroup, ont l’avantage d’une longue présence en Belgique et des contacts personnels. La première est surtout installée à Courtrai et à Zaventem (Brussels Airport). La seconde, à Deurne-Anvers, et, depuis cette année, à Zaventem, avec un hangar et des bureaux.

NetJets, en revanche, a une approche un peu distante en Belgique. Elle n’y tient aucun bureau. ” Notre siège opérationnel est à Lisbonne “, explique Pascal Lhoest. Ce Belge, ancien pilote militaire de F16 et de la Sabena, gère les 600 pilotes employés par Netjets en Europe, pour mener les 100 avions européens de NetJets à leurs clients. ” Il n’y a pas de base NetJets, nous amenons les avions aux clients selon leurs demandes. ” Malgré cette organisation à distance, NetJets annonce une part de marché de 10 % des vols privés en Belgique, contre 6 % en Europe.

” Le contact personnel est très important dans ce type de service “, avance Hervé Laitat (Abelag). Les dirigeants de ces entreprises connaissent chacun de leurs clients, leurs préférences, tout l’inverse d’une compagnie aérienne régulière, même en première classe. Ce facteur oblige Luxaviation à la prudence lors des acquisitions. ” Nous pratiquons une intégration très soft “, assure Patrick Hansen (Luxaviation). Seuls les éléments non visibles pour les clients sont centralisés, comme l’achat d’assurances ou les demandes de permis de survol. ” Nous avons gardé chaque fois le personnel local, la relation clientèle est restée la même “, continue Patrick Hansen.

La seule intégration visible est la marque ou plutôt les marques. Les activités d’Abelag vont changer de nom. L’aérogare sera rebaptisé ExecuJet, du nom de l’opérateur suisse racheté en 2015 par Luxaviation, qui gère 24 terminaux d’aviation d’affaires dans le monde. ” Ce nom va devenir notre marque pour les terminaux et les prestations de handling “, explique Patrick Hansen, ” tandis que l’activité de gestion d’avions prendra le nom de Luxaviation “. Ainsi le nom Abelag va progressivement disparaître, il ne subsistera que le terminal ExecuJet et la compagnie Luxaviation Belgium.

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