‘La pharmacie de village est vouée à disparaître’

Mike Vandenhooft et Jérôme Gobesso : "Nous voulons moderniser le business" © Debby Termonia

La pharmacie de village telle que nous la connaissons est vouée à disparaître. Les pharmaciens en ligne de Newpharma en sont persuadés. L’association professionnelle des pharmaciens (APB) essaie parallèlement de maintenir le caractère commercial du métier de pharmacien dans des limites acceptables.

Le nombre de pharmaciens est en diminution depuis 2000. La Belgique en compte encore 4.954, soit une pharmacie pour 2.220 habitants. Beaucoup d’autres pays européens font avec encore moins. Mais tout comme la machine à vapeur se trouvait à l’origine de la révolution industrielle, internet est le moteur d’une révolution numérique dans le marché protégé de la pharmacie.

Il n’y a pas de chiffres précis, mais selon certaines sources, la part de marché de la pharmacie en ligne a grimpé à 3% en quelques années dans notre pays. Et cette proportion croît. En témoignent les pharmaciens qui démarrent leur petit commerce en ligne. Ils s’appellent Apotheek-Online d’Itegem, 24pharma.be de Bilzen ou Optiphar de Geel, pour n’en citer que quelques-uns. Le pharmacien en ligne le plus important de Belgique est toutefois le pionnier Newpharma.

“Le pharmacien tel que nous le connaissons actuellement va disparaître”, affirme Jérôme Gobesso, l’un des quatre fondateurs de Newpharma. “Et ce n’est pas de notre faute. Le métier de pharmacien est en constante évolution. Il y a cinquante ans, les préparations magistrales étaient par exemple la norme. Aujourd’hui, elles sont plutôt l’exception.”

Options pour poursuivre la croissance

En 2008, Newpharma a commencé, au départ d’une pharmacie existante, la vente en ligne de médicaments de délivrance libre et de parapharmacie. La société liégeoise est depuis lors devenue la pharmacie en ligne la plus importante de notre pays. Après des acquisitions en 2014 et 2015, elle a développé une position forte en France, aux Pays-Bas, en Allemagne et en Autriche. Newpharma délivre à présent douze pays. Mike Vandenhooft et le Français Jérôme Gobesso, deux des quatre fondateurs, sont toujours les actionnaires.

Nous voulons moderniser le business

Mike Vandenhooft et Jérôme Gobesso

“Notre recette est une somme de compétences”, explique Gobesso. “Nous avons commencé comme des novices dans la vente sur internet et nous n’étions pas pharmaciens. Nous avons démarré d’une page blanche, sans tabous. Or, je pense que c’est précisément la raison pour laquelle nous avons poursuivi l’excellence en tout.”

Le Français naturalisé Belge souligne aussi l’intérêt croissant pour la vente de médicaments en ligne. “Lorsque nous avons commencé, les médicaments en ligne étaient assimilés au Viagra, au spam et à la fraude. Aujourd’hui, les gens savent qu’il y a aussi des pharmacies en ligne parfaitement légales.”

Avec 2.500 livraisons par jour, Newpharma occupe la 31e place du classement des sociétés d’e-commerce belges. En France, la société est dans le top trois des pharmacies sur internet. Le chiffre d’affaires de la société d’e-commerce croît exponentiellement : en 2016 il avait déjà atteint 43 millions d’euros.

Pour 2017, la société liégeoise prévoit à nouveau une croissance de plus de 40%, elle fait en outre du profit, environ 800.000 euros en 2016.

“Mais comme notre croissance est très forte, nous étudions actuellement les options pour ouvrir notre capital”, nous confie Jérôme Gobesso. “Il n’y a encore rien de décidé. Peut-être poursuivrons-nous seuls, mais quand on croît à ce rythme, il est nécessaire de s’interroger si c’est bien la meilleure solution pour l’entreprise.”

Ordre des pharmaciens

Newpharma compte plus de 100 travailleurs. Le quartier général se situe à un jet de pierre de la frontière belgo-néerlandaise et l’entreprise a déjà déménagé trois fois depuis sa création. Et il y aura peut-être une quatrième fois. La pharmacie en ligne s’est déjà fait taper sur les doigts à plusieurs reprises par l’Ordre des pharmaciens concernant les actions publicitaires.

Cela suscite des questions, parce que le concurrent néerlandais a le droit de faire librement de la publicité à la télévision. Comme elle a son quartier général aux Pays-Bas, cette entreprise est en dehors de la sphère d’influence de l’Ordre belge des pharmaciens.

Envisagez-vous un déménagement chez Newpharma ? Gobesso : “Nous attendons. Je suis Belge depuis 2014 et je veux pouvoir dire que j’ai tout essayé pour maintenir Newpharma ici. Mais s’il le faut, nous déménagerons. Ce n’est qu’à 13 kilomètres de notre quartier général et je suis déjà des leçons de néerlandais.”

Nous motivons nos membres à prendre part à la numérisation

Lieven Zwaenepoel, Association Pharmaceutique Belge

Selon la responsable marketing Ilse Van Dyck, la Belgique perdrait un important acteur de l’e-commerce. “Alors que nous déplorons constamment que nous avons raté le train de l’e-commerce”, dit-elle. Gobesso ajoute : “Personne ne peut arrêter le commerce en ligne. La question est plutôt de savoir si nous accordons de l’espace à un acteur belge ou si nous laissons les acteurs étrangers envahir le marché.”

Rôle de conseiller

Newpharma ne vend pas de médicaments soumis à prescription médicale. Ce n’est pas autorisé. Pas encore, selon certains. “La ministre Maggie De Block y voit tout de même du potentiel. Dès que ce sera permis, nous le ferons, mais nous ne poussons pas ce dossier”, dit Gobesso.

Cela laisse supposer qu’il y a encore suffisamment de croissance dans les médicaments en vente libre, les suppléments alimentaires et les produits de beauté. Même si les prix chez Newpharma sont en général inférieurs. “Nous ne voulons pas casser les prix”, souligne Gobesso. “Le prix juste est important, car nous voulons encore exister dans vingt ans. Mais grâce à notre dimension, nous pouvons acheter à meilleurs prix.”

Le pharmacien en ligne dit surtout miser sur la satisfaction du client et le conseil pour faire croître son chiffre d’affaires.

“Ce n’est pas le Far West”, dit Gobesso. “Nous voulons moderniser le business. La qualité et le rôle de conseil du pharmacien restent essentiels. Nous avons cinq pharmaciens à notre service, ils ont la décision finale sur chaque commande. Nous refusons des commandes si sur base de l’historique des achats nous soupçonnons une surconsommation ou s’il y a des dangers physiques. Nos pharmaciens sont assistés par l’informatique, mais les ordinateurs ne les remplaceront jamais. Comprendre le contexte reste une tâche dévolue à nos pharmaciens.”

Cet autre challenger

Un autre phénomène avec lequel le pharmacien indépendant doit apprendre à vivre est le supermarché de la pharmacie. L’exemple type est MediMarket. “Le concept de supermarché n’est pas souhaitable”, considère Lieven Zwaenepoel de l’Association pharmaceutique belge (APB). “Une pharmacie se trouve selon nous à l’intersection des soins de santé et du commerce de détail. Si l’aspect commercial prime, cela ne correspond plus à notre déontologie. Nous n’avons en soi aucun problème avec un acteur à bas coûts ou une pharmacie en ligne, nous ne voulons simplement pas que notre métier se résume à un focus commercial sur les produits. Un pharmacien a un important rôle de conseil.”

Le fondateur de MediMarket, Yves Verougstraete, peut toutefois faire état d’un joli parcours. Il a ouvert son premier MediMarket en 2014. A peine trois ans plus tard, il y a quinze sites. Et pour l’année prochaine, il en planifie encore dix. “Nous avons 180 personnes en service et nous visons cette année un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros”, dit Verougstraete. “Dans le marché de la pharmacie, il y a la place pour différents business model, je pense néanmoins que la part de marché de la pharmacie de quartier va se réduire. Dans certains domaines, nous sommes meilleurs, dans d’autres, la pharmacie de quartier est plus appropriée. Comparez cela avec le marché de détail : à côté du supermarché, il y a la place pour l’épicerie fine.”

Verougstraete ne considère pas exclusivement sa chaîne comme un casseur de prix. “Grâce à notre stratégie d’achat, nous pouvons offrir des prix plus bas, mais ce n’est que l’une des raisons pour lesquelles les gens viennent vers nous. L’accessibilité, les places de parking et la possibilité de conseil spécialisé motivent également nos clients.”

La pression du moratoire

Depuis 1999, un moratoire est imposé qui limite le nombre de pharmacies. Selon la loi qui régule la répartition depuis les années septante, il faut en moyenne une pharmacie pour 2.500 habitants. Une diminution du nombre de pharmacies en résulte. Ce processus était en fait déjà engagé par la formation de chaînes sous l’impulsion des mutualités, mais il s’accélère ces dernières années du fait d’un mouvement de consolidation général et de l’émergence de l’e-commerce.

L’association pharmaceutique belge APB est également consciente de la diminution progressive du nombre de pharmacies. “Les économies d’échelle ne sont pas une menace”, considère Lieven Zwaenepoel. “Elles sont même souhaitables. Sans le moratoire, il y aurait indubitablement encore plus de pharmacies et sans la loi de répartition, elles seraient encore plus concentrées dans des zones densément peuplées. La législation qui maintient le nombre sous contrôle fait qu’elles sont bien réparties sur le territoire. De cette manière, la population a partout un bon accès aux médicaments et aux soins pharmaceutiques. Mais nous observons néanmoins encore une concentration. Cela conduit à ce qu’un certain nombre de pharmacies restent de petite taille et se trouvent économiquement sous pression.”

Cela ne s’applique pas pour toutes. Pas mal de pharmaciens s’aventurent aussi dans l’e-commerce. Zwaenepoel : “Nous motivons nos membres à prendre part à la numérisation. Mais en fonction des soins pharmaceutiques, pas en fonction d’une logique commerciale. Nous voulons préserver la relation de confiance entre patient et pharmacien. On peut essayer de simplifier et améliorer les processus logistiques et administratifs, offrir un accès permanent aux services via le web, mais avant tout, une pharmacie doit être au service de la délivrance de soins et de la santé. Cela signifie que la rentabilité est certes importante, mais que la maximisation du profit ne peut pas conduire à une dégradation ou à moins d’accompagnement personnel.”

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