La guerre des ondes aura bien lieu

© JY LIMET

Le gouvernement wallon vient enfin de dégager un montant conséquent de 5,4 millions d’euros pour le financement de la radio numérique en Fédération Wallonie-Bruxelles. Si cette “radio du futur” entend bouleverser le comportement des auditeurs, elle n’enterre pas encore la bande FM pour autant. En coulisse, la lutte se prépare pour le prochain plan de fréquences prévu en 2017.

Ça chauffe dans les états-majors des principales radios du pays. On observe l’ennemi, on scrute les fréquences, on avance ses pions, on noue des alliances. L’objectif stratégique est double et consiste, pour chaque force vive, à se positionner de la meilleure façon qui soit dans les dossiers délicats du nouveau plan de fréquences, d’une part, et de la radio numérique, d’autre part. A priori distinctes, les deux thématiques sont pourtant bel et bien liées, et les états-majors aiguisent d’ailleurs leur stratégie avec ces deux cibles dans le viseur.

Défini par le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA), le prochain plan de fréquences est le dossier qui suscite actuellement le plus de fébrilité puisque son adoption est prévue, en théorie, pour le 1er juillet 2017. Concrètement, le CSA communiquera à cette date les fréquences qui seront attribuées aux radios privées sur la bande FM et chacune d’entre elles fourbit donc ses armes pour y figurer, à commencer par RTL Belgique qui espère bien laver l’affront subi en 2008. A cette époque, l’organe régulateur de l’audiovisuel avait en effet sacrifié la station pop-rock Mint sur l’autel du pluralisme de l’ancien plan de fréquences, préférant privilégier Ciel Radio, propriété du groupe IPM (éditeur de La Libre et de La DH), plutôt qu’une troisième station de RTL Belgique, la maison mère de Mint, qui possède déjà les puissantes Bel RTL et Radio Contact.

Mint, le retour

Philippe Delusinne, le grand patron de la chaîne privée, n’a jamais avalé la pilule et revendique plus que jamais le retour de Mint dans le plan de fréquences version 2017. A vrai dire, le CEO de RTL Belgique a déjà amorcé le mouvement de ses troupes, aussi bien dans les studios radio que dans les coulisses du sérail politique. Depuis le 4 janvier, Mint a en effet retrouvé le chemin des ondes, via une petite entourloupe qui ne plaît guère au CSA. Le groupe RTL a en effet conclu un partenariat avec trois radios provinciales – Maximum FM à Liège, Must FM Namur et Must FM Luxembourg – pour donner à ces trois stations un petit goût ” mentholé “. Concrètement, ces trois radios gardent leur nom d’origine mais affichent désormais un habillage musical et des jingles 100 % Mint, histoire de donner une harmonie à l’ensemble et de ressusciter sur les ondes la radio pop-rock qui cible les 25-40 ans. Objectif à peine voilé de RTL Belgique : consolider les bases d’un bon dossier pour se positionner dans l’attribution du nouveau plan de fréquences.

Et la consolidation n’est pas terminée. Si Mint a tenté en vain d’élargir encore son réseau en visant des partenariats avec d’autres radios wallonnes comme Sud Radio dans le Hainaut et Antipode dans le Brabant wallon, c’est à Bruxelles qu’elle vient de réaliser un nouveau coup stratégique : ce 22 mai, BXFM en effet signé une convention de partenariat avec RTL Belgique et sa régie publicitaire IP Belgium.

Lobbying et contre-attaque

Mais c’est sur le plan politique que le groupe privé a mené visiblement sa plus belle offensive. Il y a deux mois à peine, Philippe Delusinne ne cachait pas ses objectifs dans une interview qu’il avait accordée à Trends-Tendances : ” Il faut adapter le décret qui prévaudra au prochain plan de fréquences en 2017 et nous faisons le tour des décideurs politiques pour expliquer notre point de vue “, affirmait-il alors. En clair : le patron de RTL Belgique voulait faire modifier cette fameuse clause du décret sur les Services de médias audiovisuels (SMA) qui stipule qu’un groupe privé peut porter atteinte au pluralisme s’il concentre à lui seul plus de 20 % des parts d’audience. Philippe Delusinne semble y être parvenu : pour le prochain plan de fréquences, le projet de décret prévoirait en effet le relèvement de ce seuil à 35 %, soit une marge confortable pour RTL Belgique. Avec une audience cumulée de 30,5 % de parts de marché pour Radio Contact et Bel RTL lors de la dernière vague CIM en 2015 et une audience qui flirtait avec les 3 % pour Mint au moment de sa suspension en 2008, le groupe privé peut enfin respirer.

Derrière ce lobbying, c’est la volonté de décrocher le précieux sésame d’une troisième radio sur la bande FM et donc d’augmenter ses parts de marché publicitaire qui motive évidemment RTL Belgique. Mais la RTBF n’est pas en reste et ses fins limiers ont déjà lancé une contre-offensive via la RMB, sa régie publicitaire. Détenue à 100 % par l’entreprise publique, la RMB n’a pas que des produits RTBF dans son portefeuille et vend aussi les espaces commerciaux de chaînes de radio et de télévision privées comme NRJ, DH Radio, AB3, BeTV ou encore BX1. Il y a un mois à peine, la RMB a ainsi réalisé un joli coup sur l’échiquier stratégique en ” volant ” deux nouvelles radios au nez et à la barbe de RTL Belgique. Pourtant en discussion avec le groupe privé pour nouer un éventuel partenariat avec Mint, les radios provinciales Antipode et Sud Radio ont en effet décidé de rejoindre finalement la régie publicitaire de la RTBF. Depuis le 1er mai, la RMB propose donc à ses clients un nouveau produit publicitaire baptisé ” DH Sud ” qui reprend trois radios régionales – Antipode, Sud Radio et DH Radio – et qui s’inscrit dans une thématique ” music & news ” visant la tranche des 25-40 ans… exactement comme Mint ! Avec le renforcement de son offre radio, la régie publicitaire de la RTBF conforte non seulement sa position de leader dans le paysage radiophonique francophone, mais elle peut désormais approcher davantage les annonceurs locaux tout en effectuant, au passage, un petit croche-pied aux ambitions de Mint.

” Un véritable camouflet ! “, commente ce cadre de RTL Belgique, déçu par l’issue de cet affrontement singulier…

Unis pour la radio numérique

Si la RTBF, RTL Belgique et le groupe NRJ-Nostalgie s’observent en chiens de faïence dans le cadre du prochain plan de fréquences dédié à la bande FM, ces trois grands acteurs avancent en revanche main dans la main dans le dossier de la radio numérique. Prévue en 2017 (si tout va bien), cette grande révolution des ondes permettra d’enrichir l’offre radiophonique grâce à l’élargissement considérable de ce fameux plan de fréquences, ce qui va donc calmer les forces en présence.

Véritable serpent de mer du paysage médiatique belge, la radio numérique présente, sur le papier, une série d’avantages par rapport au système analogique du bon vieux ” transistor de papa ” qui est toujours la référence aujourd’hui. Outre la compression du signal qui permet de diffuser plusieurs radios sur la même fréquence, la norme DAB+ (pour Digital Audio Broadcasting +) offre non seulement une meilleure qualité d’écoute – fini les interférences et autres parasites de la bande FM – mais surtout l’opportunité aux chaînes d’enrichir leurs contenus audio avec toute une série de données supplémentaires comme du texte, de l’image ou de la vidéo via l’écran d’une toute nouvelle génération de récepteurs, à la maison comme dans les voitures.

Si le dossier de la ” radio du futur ” a longtemps été reporté à l’agenda de la Fédération Wallonie-Bruxelles, les choses se mettent enfin en place pour passer à la vitesse supérieure. Le 12 mai dernier, le gouvernement wallon a en effet décidé de libérer un montant de 5,4 millions d’euros pour le financement des infrastructures qui permettront l’installation de la radio numérique sur l’ensemble du territoire de la Fédération.

” Pour la Wallonie et Bruxelles, cette nouvelle décision débouchera sur de belles opportunités, explique le ministre wallon de l’Economie, du Numérique et des Médias Jean-Claude Marcourt. Nous passons d’une radio datant du siècle dernier à une radio moderne et attractive regorgeant de potentiel de développement. Pour l’auditeur, c’est la garantie, outre la gratuité du média bien sûr, de bénéficier d’un choix plus large, d’une couverture et d’une qualité optimales et ce, sur l’ensemble du territoire. ”

Une transition en douceur

La révolution ne se fera toutefois pas du jour au lendemain. Pour ne pas déstabiliser les auditeurs et surtout leur permettre d’investir progressivement dans de nouveaux ” récepteurs 2.0 “, les principales chaînes de radio procéderont d’abord à une double diffusion de leurs émissions en FM et en DAB+. Ce ” simulcast ” – comme on l’appelle dans le secteur – devrait durer une petite dizaine d’années, avant de faire basculer tout le système d’écoute exclusivement vers le numérique et d’enterrer définitivement la bande FM à l’horizon 2025. ” C’est vrai qu’il y a encore des précisions à apporter sur les échéances et les appels d’offres, mais l’accord de financement sur le DAB+ est déjà une très belle victoire, commente Eric Adelbrecht, directeur des radios de RTL Belgique. C’est une avancée dont je suis fier car j’ai beaucoup bataillé depuis quatre ou cinq ans avec mon homologue de la RTBF pour pousser cette dynamique digitale. Je tire un grand chapeau à tous ceux qui ont oeuvré en ce sens. On ne peut que se réjouir de cette évolution vers le numérique. ”

” Le 12 mai 2016 est une date à marquer d’une pierre blanche, confirme Francis Goffin, le directeur général des radios du service public. Une solution a enfin été trouvée pour le financement des infrastructures et on peut clairement saluer le ministre Marcourt. Sur ce dossier de la radio numérique, nous avons effectivement avancé main dans la main avec RTL Belgique et le groupe NRJ- Nostalgie car il faut que les opérateurs arrêtent de se faire la guerre sur la technologie de distribution. Nous devons faire alliance. Nous entrons dans un nouveau paradigme. C’est plutôt sur les contenus et sur le marketing que nous devons nous affronter, mais dans un champ beaucoup plus large grâce au DAB+. ”

Et c’est là, précisément, que les états-majors des principales radios du pays entrent à nouveau en ébullition. On observe ” l’ennemi “, on scrute les plans de fréquences (pour la bande FM et le DAB+ puisque le nouvel appel d’offres sera sans doute conjoint), on replace ses pions, on peaufine les alliances…

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