La grippe a généré 1 milliard d’euros pour GSK Biologicals

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Son vaccin contre le virus H1N1 a généré 1 milliard d’euros en 2009. Malgré la réduction des commandes décidée par les gouvernements, le groupe prévoit de réaliser à nouveau 1 milliard d’euros de chiffre d’affaires en 2010 avec son remède préventif. Le point avec Jean Stéphenne, son PDG.

Plus de 50 ans de savoir-faire belge

Fondée à Genval en 1945 sous le nom de RIT (Recherche et Industrie Thérapeutiques), GSK Biologicals est à l’origine une spin-off de l’université de Louvain. D’abord pionnière dans la production d’antibiotiques, elle s’est spécialisée, à partir des années 1950, dans les vaccins. Un savoir-faire qui n’a fait que s’accentuer au fil des acquisitions et fusions qui ont successivement fait d’elle, SmithKline-RIT (1969), SmithKline Beecham Biologicals (1989) et GlaxoSmithKline Biologicals (2000). Aujourd’hui, GSK Biologicals, filiale du géant pharmaceutique britannique, est le leader mondial des vaccins (environ 25 % du marché).

Plus de7.000 personnesen Belgique. GSK Biologicals emploie quelque 12.000 personnes dont plus de 7.000 sur les sites de Wavre (QG mondial), Rixensart, Gembloux et Genval (filiale commerciale de GSK qui distribue les médicaments et les vaccins du groupe en Belgique). Cela en fait l’un des premiers employeurs privés de Wallonie. La division possède 14 sites dans le monde, dont les principaux sont situés en Belgique, au Canada, en Allemagne, en Hongrie et dans le nord de la France, à Saint-Amand-les-Eaux.

1,1 milliard de doses vendues par an. Chaque seconde, 35 personnes dans le monde reçoivent un de ses vaccins. Ce qui revient à une livraison annuelle de plus de 1,1 milliard de doses. L’entreprise a mis une trentaine de vaccins sur le marché (contre la rougeole, la variole, les hépatites A et B, le tétanos, le cancer du col de l’utérus, la grippe, etc.). Une vingtaine de vaccins sont en développement clinique dont un remède contre la malaria, le sida et la tuberculose ainsi qu’une nouvelle génération de vaccins thérapeutiques contre le cancer du poumon et le mélanome.

30 % des investissements industriels du groupe. Au cours de ces trois dernières années, GSK a investi 650 millions d’euros par an en Belgique, soit 2 milliards au total. Et le même montant sera investi d’ici 2012. Chaque année, la division “vaccins” reçoit 30 % des investissements industriels du groupe.

Après l’appel du gouvernement français reçu quelques heures avant le réveillon de la Saint-Sylvestre, Jean Stéphenne et ses équipes n’en menaient pas large. C’est que la ministre de la Santé Roselyne Bachelot venait de décréter qu’elle résiliait la commande de vaccins contre la grippe mexicaine (A/H1N1). Un coup dur pour GSK Biologicals, principal fournisseur du remède préventif. Cette annonce unilatérale risquait, en effet, de créer un précédent et d’inciter tous les gouvernements européens, confrontés à un surplus de vaccins, à embrayer. “Notre premier travail de l’année a été de renégocier les contrats avec les gouvernements. Ce n’était pas très agréable”, confirme le PDG.

Finalement, plus de peur que de mal. Les résultats 2009, que la multinationale britannique vient de publier, démontrent que GSK a profité de la fameuse grippe même si la pandémie tant redoutée ne s’est pas déclarée. Sa division “vaccins”, dont le nouveau quartier général mondial a été inauguré en grande pompe la semaine dernière à Wavre, a enregistré, l’an dernier, une croissance de 30 % de ses ventes pour atteindre 4,2 milliards d’euros. Dont 1 milliard rien qu’avec le Pandemrix, son vaccin contre la grippe A/H1N1. “A la demande des gouvernements européens, nous avons mis la priorité sur ce vaccin, confie Jean Stéphenne. Conséquence : nos vaccins classiques ont moins progressé, comme par exemple celui contre la grippe saisonnière dont nous avons réduit notre production car on ne peut pas tout faire ! Par ailleurs, nous avons moins vendu de vaccins contre les hépatites A et B car les gens ont moins voyagé en raison de la crise et de la grippe.”

Une longueur d’avance sur les concurrents

GSK n’est pas le seul laboratoire à avoir vu son chiffre d’affaires dopé par la grippe. Sanofi-Aventis, Novartis et Baxter ont également surfé sur la vague grippale. Mais c’est le groupe britannique qui s’est taillé la part du lion. “Selon les estimations, nous avons assuré plus de 50 % des commandes mondiales dans 60 pays et plus des deux tiers en Europe”, s’enorgueillit l’homme fort de GSK Bio. Et pour cause : la société, dont la majeure partie de l’activité(lire notre encadré) est située en Belgique, avait pris une longueur d’avance. “Le vaccin contre la grippe A/H1N1 n’est pas tombé du ciel, poursuit Jean Stéphenne. Nous avions investi une centaine de millions d’euros dès 2004, lors de la première flambée du virus H5N1 (Ndlr : qui circule parmi les oiseaux) pour mettre au point un produit pandémique avec l’aide financière des gouvernements américains et canadiens. Nous avons ainsi été les premiers, en 2008, à obtenir l’enregistrement européen d’un vaccin pandémique. Ceci nous a permis de mettre rapidement au point le vaccin contre la virus H1N1.” Un traitement qui comprend un adjuvant. “Grâce à celui-ci, détaille-t-il, une seule dose était suffisante pour tous les âges et la quantité d’antigène réduite – 3,75 microgrammes contre les 15 et 30 microgrammes de la concurrence.” Autre atout : GSK était le seul à offrir deux flacons différents. La durée de vie de l’adjuvant étant de trois ans, soit deux fois plus importante que celle de l’antigène. Un tel conditionnement permet aux autorités de garder plus longtemps l’adjuvant et de constituer des stocks stratégiques en vue de l’utiliser avec d’autres souches.

Plus de la moitié des doses produites ont été livrées

Si l’annonce tonitruante de Roselyne Bachelot a donné quelques sueurs froides aux équipes de GSK Bio, celle-ci fut toutefois, selon son PDG, moins stressante que les six derniers mois de l’année 2009. “Entre juin et fin novembre, il a fallu tout préparer pour respecter les délais de livraison auxquels nous nous étions engagés, souligne-t-il. Or, les incertitudes étaient nombreuses. Depuis lors, tous les jours, une réunion de crise est organisée à 14 h à Wavre pour faire le point.” La grippe mexicaine a mobilisé un millier de personnes au sein de l’entreprise. Concrètement, la matière active (l’antigène) a été produite dans les usines allemande et canadienne du groupe. L’adjuvant était fabriqué, lui, en grande partie en Belgique mais aussi en France et aux Etats-Unis. Pour le remplissage et le conditionnement, le groupe a engagé du personnel intérimaire et fait appel à une dizaine de sous-traitants en Europe et aux Etats-Unis.

Au total, GSK a fabriqué de l’ordre de 400 millions de doses dont 150 millions ont été livrées en 2009 et 60 millions données à l’OMS. Les livraisons se poursuivent actuellement encore un peu en Europe et en Amérique du Nord mais surtout en Amérique latine où l’hiver approche. “On estime aujourd’hui que 70 millions de doses de notre vaccin ont été injectées dans le monde”, chiffre le patron.

Des commandes réduites à 68 % du volume initial

Qu’a donné la renégociation des contrats ? “Nous avons conclu un accord avec la plupart des gouvernements européens, indique Jean Stéphenne. Celui-ci prévoit de réduire sans compensation la commande à 68 % du volume initial. Comme nous l’avons fait au niveau du prix, nous appliquons la même règle partout en Europe. A savoir : tout ce qui est livré ou en cours de fabrication doit être payé !” Pour le restant de la commande, GSK propose de fournir soit uniquement de l’adjuvant soit des doses de H5N1 ou de H1N1. Et le président directeur général de se justifier : “Pour les concurrents qui étaient moins loin dans la production, il était plus facile de faire un geste comme Sanofi l’a fait avec le gouvernement français. Nous, nous avions terminé la fabrication de la matière active à la Noël.”

Reste le cas de la France, avec laquelle GSK négocie toujours. “C’est délicat car le gouvernement français est mis sous pression, dit-il. Il avait commandé des vaccins, comme la plupart des pays européens, pour plus de la totalité de la population (1,5 dose par habitant contre 0,3 dose dans les pays en voie de développement), car on pensait initialement que deux doses seraient nécessaires pour les enfants.” Et Jean Stéphenne de prendre la défense des autorités : “La pandémie a bien existé, ciblant essentiellement les enfants et les femmes enceintes. Mais sa propagation rapide a pu être enrayée grâce au dispositif mis en place par le corps médical dans les pays industrialisés. C’est facile de dire après coup que les gouvernements ont pris trop de précautions. S’ils ne les avaient pas prises, la population les aurait critiqués.” Est-ce alors la faute de l’industrie pharmaceutique qui aurait amplifié la menace de pandémie pour s’en mettre plein les poches comme l’avancent certains ? “Ce ne sont pas les laboratoires qui ont décidé des quantités à livrer mais bien les gouvernements, rétorque-t-il. Nous n’avons jamais pousséà deux doses car nous n’avions pas les capacités de production pour suivre.”

Un milliard d’euros de revenus encore cette année

Les problèmes se sont surtout concentrés sur l’Europe. Les deux autres grands marchés, le Canada et les Etats-Unis n’ont pas revu leur contrat. “Toutes les livraisons avaient été effectuées avant la fin de 2009”, note Jean Stéphenne. Il y aura néanmoins un manque à gagner pour le groupe en 2010 mais GSK profitera encore bel et bien cette année de la grippe mexicaine. “Andrew Witty (Ndlr : le CEO du groupe) a déclaré que le chiffre d’affaires de la grippe pandémique serait équivalent plus ou moins à celui réalisé en 2009, soit 1 milliard d’euros, confirme le patron de GSK Biologicals. Si je n’avais pas dû réduire les commandes, celui-ci aurait été forcément supérieur car la livraison des commandes annulées était prévue pour les premiers mois de cette année. Mais il faut se montrer raisonnable : s’il n’y a plus d’épidémie, prenons les mesures qui s’imposent” L’entreprise a donc mis fin aux contrats signés avec les sous-traitants, indemnités à la clé, et aux contrats des intérimaires.

Quid des stocks d’antigènes ? “Nous les gardons dans nos usines. C’est un produit concentré qui peut rester stable pendant quelques années.” D’après son patron, GSK Bio se retrouvera peut-être in fine avec un quart de la production (100 millions de doses) qui sera invendu.

Deux milliards d’investissements supplémentaires d’ici 2012

A présent que la crise de la grippe est passée, GSK Biologicals regarde vers l’avenir. L’inauguration de son QG mondial à Wavre incarne le rôle stratégique que jouent la division “vaccins” et la Belgique dans le groupe. “Ces trois dernières années, GSK a investi 2 milliards d’euros en R&D et en infrastructure en Belgique et engagé trois personnes par jour ouvrable (Ndlr : 600 personnes par an)“, souligne Jean Stéphenne qui prévoit pour cette année encore l’engagement d’une à deux personnes par jour. Les réductions d’emplois annoncées récemment par le groupe ne concernent donc pas la Belgique.

D’ici 2012, la multinationale investira encore 2 milliards d’euros dans le royaume. Notamment pour y développer une nouvelle gamme de vaccins thérapeutiques contre le cancer du poumon et le mélanome et des traitements contre le sida et la malaria. Autrefois considéré comme le parent pauvre de l’industrie pharmaceutique, le vaccin a depuis quelques années le vent en poupe. La multinationale l’a bien compris : en 2000, les vaccins représentaient 4,5 % de ses revenus pharmaceutiques. Aujourd’hui, ils connaissent une croissance annuelle à deux chiffres et dépassent les 15 %.

Sandrine Vandendooren

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