La complexe réalité de l’inégalité salariale

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Fin juin, le SPF Emploi, Travail et Concertation sociale publiait un nouveau rapport sur l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes. Les chiffres qui y sont présentés annoncent des améliorations, même si des écarts sensibles existent toujours. La discrimination de genre est-elle encore une réalité ? Si la question est simple, sa réponse l’est en revanche beaucoup moins.

“Vous vous lancez sur une question bien complexe, il va falloir s’accrocher “, sourit d’emblée Isabella Lenarduzzi, la directrice de Jump, une entreprise sociale qui promeut l’égalité des genres en entreprise. Il y a quelques semaines, le SPF et l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes publiaient un rapport sur le sujet. On y apprenait ainsi que la différence de salaire entre les hommes et les femmes est de 20,6 % en moyenne, sur base annuelle.

Si le constat est net et sans appel, son analyse est, en revanche, bien plus complexe. Car derrière ce chiffre, se cache une montagne de critères et autres caractéristiques. Certains d’entre eux permettent de rendre ce 20 % plus compréhensible. ” En réalité, on peut considérer qu’il s’agit de deux populations qui présentent des caractéristiques professionnelles différentes. Ces différences auront donc un impact sur le marché du travail. Parmi les causes pouvant expliquer l’écart salarial hommes-femmes, figure la discrimination… mais pas uniquement “, explique Arnaud Dorsimont, chercheur spécialisé en économie du travail à l’Université Saint-Louis. Ainsi, la différence sur base annuelle s’explique, par exemple, en bonne partie par le nombre d’heures prestées, largement différent que l’on soit un homme ou une femme. Ces dernières sont bien plus nombreuses que les hommes à travailler à temps partiel. Si l’on se penche sur le salaire horaire, la différence n’est plus ” que ” de 7,6 %.

Le temps partiel féminin est surreprésenté

Arnaud Dorsimont, chercheur spécialisé en économie du travail à l'Université Saint-Louis.
Arnaud Dorsimont, chercheur spécialisé en économie du travail à l’Université Saint-Louis.© PG

Mais une nouvelle fois, la nuance est de mise. ” La question est de savoir pourquoi les femmes sont plus représentées dans le travail à temps partiel. Est-ce vraiment un choix ? Nous pourrions même nous demander pourquoi il serait juste que leur travail en dehors de leur métier ne soit pas reconnu “, s’interroge Isabella Lenarduzzi. Car si elles sont nombreuses à passer en temps partiel, c’est souvent pour la famille. L’analyse a d’ailleurs pu montrer que les femmes célibataires possédaient même un avantage salarial sur leurs homologues masculins célibataires.

” Effectivement, en 50 ans, la tendance a bien évolué, continue la directrice de Jump. Mais dès qu’arrive le premier enfant, la société reprend son côté patriarcal, où les hommes amènent l’argent à la maison et les femmes s’occupent de la famille. On est encore à un stade où elles sont stigmatisées et considérées comme carriéristes si elles ont des ambitions professionnelles. De plus, un travail à temps partiel est plus précaire qu’un temps plein. Si l’entreprise doit faire des économies, ce seront les premiers emplois visés. ”

Des causes objectives, mais pas suffisantes

D’autres éléments entrent encore en jeu pour expliquer la différence salariale, comme l’ancienneté, le secteur d’activité ou le niveau de formation. Au final, selon le rapport du SPF Emploi, les raisons dites objectives ne parviennent qu’à expliquer qu’un peu moins de la moitié (48,2 %) de la différence salariale. Faut-il pour cela considérer que tout ce qui ne peut s’expliquer serait forcément de la discrimination ? ” Ce n’est probablement pas le cas car dans tous les modèles statistiques, il y a une part d’inexpliqué. Il y a probablement d’autres variables explicatives qui pourraient encore accroître le pourcentage d’explications. Une discrimination (culturelle, sociétale, systémique) latente mais bien ancrée, existe certainement, mais elle n’explique probablement pas à elle seule ce pourcentage “, répond le chercheur de Saint-Louis.

Le fait d’avoir désormais plus de femmes sortant des études supérieures que d’hommes devrait faire changer les choses”, Isabelle Lenarduzzi, directrice de Jump.

L’avis est plus tranché pour Isabella Lenarduzzi. ” La discrimination est bien une réalité. En travaillant pour Jump, je la constate régulièrement. Récemment encore, j’ai été contactée par une femme travaillant dans le milieu bancaire. Elle voulait savoir quel écart salarial était acceptable. Il n’est pas compréhensible qu’on pose aujourd’hui encore ce genre de question alors que c’est interdit par la loi “, se fâche encore la responsable.

L’inégalité homme-femme ne se limite d’ailleurs pas qu’aux salaires. L’étude s’est également penchée sur les avantages extralégaux comme les voitures et les téléphones de société, dont peuvent bénéficier certains travailleurs. Ici encore, mieux vaut être un homme qu’une femme. ” Systématiquement, ces avantages sont inférieurs pour les femmes, à l’exception des transports en commun “, lance la directrice de Jump. L’écart est également fort marqué pour la contribution à une pension complémentaire et les stock-options. Ces dernières sont bien moins importantes pour les dames : ” 0,52 % des femmes et 1,06 % des hommes en ont bénéficié. En moyenne, les hommes ont reçu des options d’une valeur de 13.043,53 euros, contre 7.847,75 euros pour les femmes “, indique le rapport.

Différence statutaire

Anne Lafère, CEO d'Artexis Easyfairs.
Anne Lafère, CEO d’Artexis Easyfairs.© PG

Autre constat, l’inégalité salariale ne touche pas le monde du travail de la même façon partout. Les fonctionnaires ont ainsi des salaires plus équitables que les employés et les ouvriers. Plus surprenant, les femmes statutaires y sont même mieux payées en moyenne que les hommes. ” Une nouvelle fois, il faut analyser avec précaution les chiffres. Si elles sont effectivement mieux rémunérées sous ce statut, on constate qu’elles sont beaucoup moins nombreuses que les hommes à être statutaires. Pourtant, les femmes sont plus nombreuses dans la fonction publique que les hommes “, nuance encore la responsable de Jump.

Tout n’est pas noir pour autant. La Belgique fait d’ailleurs figure d’assez bon élève à l’échelle de l’Europe, qui affiche en moyenne 16 % de différence salariale. Une amélioration est également visible dans les statistiques belges. ” Dix ans après le premier rapport officiel de l’écart salarial en Belgique, le chemin accompli est important. L’écart salarial sur base des salaires horaires s’élevait à 13,6 %. Celui sur base des salaires annuels, jusqu’à 25,3 % “, souligne, dans un communiqué, Michel Pasteel, directeur de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, qui précise néanmoins que de nombreux obstacles subsistent encore. Pour la responsable de Jump aussi, le chemin est encore long : ” Il faut casser ces idées stéréotypées qu’on a des genres et de l’attitude face au travail. Les choses évoluent et le fait d’avoir désormais plus de femmes sortant des études supérieures que d’hommes devrait faire changer les choses. Mais rien ne se fait naturellement “, conclut la responsable.

Par Arnaud Martin.

Un logiciel pour objectiver les augmentations de salaire

Eviter la discrimination salariale est un défi majeur pour un responsable des ressources humaines. Comment reconnaître la valeur d’un collaborateur et savoir la chiffrer de manière relative ? Difficile parfois d’y voir clair : qui mérite une augmentation et de combien ? Pour trouver la réponse idéale, YoumanCapital, une entreprise belge d’édition de logiciels, a mis en place depuis trois ans une application baptisée Reward Advisory Tool.

Ce logiciel, reposant sur une grille d’analyse très détaillée, permet de déterminer comment partager les salaires. Afin d’être la plus objective possible, l’application ne tient pas compte de critères individuels comme l’ancienneté, le sexe ou l’âge. A ceux-ci, la société en a préféré d’autres, répartis en quatre catégories : les compétences, la performance, le talent futur et le risque de perdre le collaborateur. Dans chacun de ces registres, différentes sous-catégories sont répertoriées, représentant les différents niveaux d’acquisitions, pouvant, par exemple, aller de “débutant” à “gourou” pour l’axe des compétences, ou de “insatisfaisant” à “excellent” pour le registre des performances.

“Il suffit alors d’indiquer les niveaux requis dans les quatre catégories pour obtenir les augmentations. L’algorithme répartira alors la hausse de salaire entre les collaborateurs en fonction des résultats calculés”, détaille Reggy-Charles Degen, managing partner de YoumanCapital et par ailleurs, également professeur à l’ULB. Au final, le logiciel propose une hausse de salaire personnalisée pour chacun des travailleurs. “Les variations sont parfois de plusieurs points de pourcentage. Mais tout le processus est justifiable. Le manager est libre de suivre ou non les recommandations. Néanmoins, s’il change un résultat dans le logiciel, la modification sera annotée. C’est donc très intéressant pour les syndicats, par exemple, qui peuvent vérifier la pertinence des choix de la direction. Avec ce système, il n’est plus possible de discriminer une femme simplement en raison de son sexe”, explique le responsable.

L’entreprise propose déjà son logiciel dans une quarantaine de pays. Parmi ses clients, elle compte notamment l’entreprise Artexis EasyFairs, spécialisée dans la gestion de salles d’exposition et l’organisation d’événements. “C’est un logiciel utile pour avoir plus de transparence dans notre politique salariale. On l’utilise également pour le recrutement”, explique la COO, Anne Lafère, qui apprécie l’objectivité qu’apporte une telle application. “Cela nous aide, par exemple, à justifier à quelqu’un qui le demande, pourquoi nous ne l’augmentons pas. C’est souvent difficile de l’expliquer car nous n’avons pas vraiment de ressources physiques pour soutenir un choix. Mais c’est également positif dans le sens inverse. Nous pouvons remarquer le mérite de certaines personnes qui n’oseront pas nécessairement faire la démarche de demander une hausse de salaire. Les résultats peuvent nous permettre d’en proposer une spontanément, ce qui est déjà arrivé”, continue la COO. Toutefois, il est difficile de juger si le logiciel a permis de diminuer les inégalités salariales hommes-femmes. “Le critère n’étant justement pas repris dans l’application, nous n’avons pas cette donnée directement et nous n’avons pas fait d’enquête en interne. Mais depuis que nous l’utilisons, on a pu constater une hausse du nombre de femmes à des postes de managers. Mais là aussi, il est également difficile de voir s’il existe une causalité”, explique encore Anne Lafère.

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