L’insecte s’installe dans nos assiettes

© PG

Un grillon ça vous dit ? S’il y a quelques années cette question vous aurait probablement dégoûté, aujourd’hui, l’idée de manger une petite bête, pas franchement ragoûtante, semble peu à peu faire son chemin dans l’esprit des Belges. Les initiatives dans le domaine des insectes comestibles se développent d’ailleurs de plus en plus.

Manger des insectes est parfois présenté, par les plus convaincus, comme la solution pour répondre aux interrogations sur l’alimentation globale face à la croissance démographique. Il faut dire que les sauterelles, grillons et autres vers de farine ont plus d’un atout gustatif à revendre. Le premier sans doute est son apport en protéines, très important. Même s’il existe des différences selon les espèces, les insectes ont des taux en protéines souvent plus élevés que les viandes mangées sous nos latitudes. ” L’intérêt est donc clair pour une partie de la population, à la recherche d’aliments riches en protéines comme les sportifs ou les personnes ayant des problèmes de santé, en perte de poids ou allergiques au gluten “, explique Frédéric Francis, responsable du service d’entomophagie de l’Université de Gembloux Agro-Bio Tech. Outre l’aspect nutritionnel, l’intérêt est aussi écologique car produire des insectes est très efficace. ” Avec 10 kg de biomasse, il est possible de produire environ 8 kg d’insectes, 5 kg de volaille, 3 kg de porc et un seul de bovin “, poursuit le professeur. L’intérêt est d’autant plus grand que ces petites bêtes ne sont pas vraiment difficiles et peuvent être nourries par des coproduits alimentaires.

Si son CV est donc plutôt prometteur, l’insecte n’est toutefois probablement pas la solution miracle pour nourrir les 10 milliards d’êtres humains qui peupleront la planète d’ici quelques dizaines d’années. ” La consommation d’insectes ne suffira pas à elle seul à résoudre le problème. La baisse du gaspillage ou la simple réduction de la consommation de viande sont aussi des pistes mais l’entomophagie fait partie de l’équation “, analyse Frédéric Francis.

L'insecte s'installe dans nos assiettes
© PG

Une majorité prête à goûter

L’Université s’intéresse d’ailleurs largement à la question et notamment à la perception du public, qui s’habitue peu à peu à ce nouvel aliment. ” Par rapport au millier de tests que nous avons effectué dans différents cadres (en salle blanche à l’Université, en rue, etc.), deux tiers des personnes à qui on propose un insecte tentent l’expérience. Nous avons donc passé le stade ‘est-ce que j’en mange ? ‘ pour celui de ‘lequel je mange ? ‘ “, explique le professeur. Les résultats sont donc plutôt encourageants, mais il y a encore du chemin à parcourir avant que les insectes ne convainquent totalement. ” On a pu par exemple constater que la cuisson est très importante. En faisant le test avec des insectes bouillis et qui sont donc ‘mous’, il n’y a plus qu’une personne sur 10 qui est prête à en manger “, continue Frédéric Francis. Des possibilités existent pour contourner ce dégoût, en réduisant, par exemple, des insectes sous forme de farine ou en les intégrant directement dans la matrice des aliments. ” Faire un burger 100 % à base d’insectes est possible mais le goût est assez prononcé et ne plaira pas à tout le monde. En revanche, à base de 50 % d’insectes, le goût est plus accessible et une telle proportion garde de son intérêt écologique et nutritif “, ajoute le professeur.

Aujourd’hui, les élevages d’insectes sont encore rares en Europe. A Bruxelles, l’entreprise Little Food est un des producteurs les plus importants. ” A l’échelle européenne, nous nous situons dans le top trois des producteurs de grillons “, explique Raphaël Dupriez, l’un des fondateurs. Aujourd’hui, l’entreprise produit chaque mois 80 kilos d’insectes mais espère rapidement accroître la production. ” Nous serons rentables à 400 kilos. On vise le break-even pour 2019 mais ce sera peut-être avant. ” L’entreprise propose aujourd’hui plusieurs recettes de ses grillons et débute la production de farine. La start-up nommée Kriket fait d’ailleurs partie des clients de Little Food. Lancée il y a moins d’un an, la jeune pousse développe une barre aux noix, à base de farine d’insectes. ” On cherchait à créer un encas bon mais aussi intéressant d’un point de vue nutritif et produit de manière réfléchie “, explique Michiel Van Meervenne, le fondateur de l’entreprise. Dans un premier temps, Kriket produira 5.000 barres pour plusieurs magasins ayant déjà fait part de leur intérêt. ” Ce sont les magasins eux-mêmes qui nous contactent. Nous avons déjà des accords avec des boutiques d’Anvers, de Gand et de Leuven “, détaille encore le cofondateur, qui espère bien voir la nourriture à base d’insectes être intégrée dans nos habitudes. ” On espère que, dans le futur, manger de l’insecte deviendra banal et qu’on ne se fera plus la réflexion à chaque fois. Nous essayons d’ailleurs d’aller dans ce sens. Nos packagings seront par exemple assez semblables à des barres classiques, sans de référence ou de photo de grillon. ”

L'insecte s'installe dans nos assiettes
© PG

Passer le cap de la curiosité

Si la farine se développe, Little Food ne considère pas qu’il faille pour autant renoncer à la vente d’insectes entiers, qui reste d’ailleurs le premier produit de l’entreprise bruxelloise. ” A l’origine, nous avons lancé les grillons natures puis des nouvelles recettes en gardant l’insecte entier. L’aspect peut aussi avoir de l’intérêt car ça a un côté ‘fun’. On pense donc qu’il y aura aussi de la place pour le produit entier. Il ne faut pas essayer de contourner le dégoût en cachant l’insecte “, explique le responsable. Les spécialistes restent néanmoins bien conscients que les insectes restent atypiques dans nos régions. ” Tout le monde n’en mangera pas. Mais il y a 25 ans, manger du poisson cru était impensable. Aujourd’hui, est-ce que tout le monde mange des sushis ? Non, mais y a-t-il une niche pour ce produit ? Oui. Le défi sera de passer cet actuel cap de curiosité et d’en faire une habitude de consommation “, explique Frédéric Francis. Pour y arriver, les producteurs pourront s’appuyer sur l’intérêt des plus curieux. ” En général, les enfants sont très intéressés par la nouveauté. Mais nous avons aussi constaté que les personnes de plus de 60 ans sont également plutôt curieuses. C’est une bonne surprise car on aurait pu croire que cette population avec des habitudes alimentaires bien installées serait plus réticente. ” Avec un peu de recul, manger des petites bêtes n’a d’ailleurs rien de vraiment innovant. ” Deux milliards de personnes mangent des insectes ailleurs qu’en Europe. Sur notre continent, on en a aussi mangé dans notre histoire, notamment au temps des Romains “, rappelle d’ailleurs Raphaël Dupriez, de Little Food.

L'insecte s'installe dans nos assiettes
© PG

Le prix reste sans doute un frein au développement actuel. ” C’est probablement l’un des aspects qui va le plus jouer. Actuellement, on tourne autour de 300 à 600 euros le kilo. Même s’il y a beaucoup de curieux, ils préféreront sans doute se tourner vers les crustacés “, explique Frédéric Francis, de l’Université de Gembloux Agro-Bio Tech. Un prix qui devrait néanmoins être revu à la baisse avec le développement du marché. ” A terme, les insectes pourraient même être moins chers que certaines viandes, dont le prix va augmenter. Pour être concurrentiel, on doit être mainstream. Beaucoup de consommateurs veulent attendre que le prix diminue pour en consommer. Or, il faut d’abord qu’il y ait plus d’acheteurs qui consomment pour que le prix baisse. Cela se fera donc petit à petit “, conclut Raphaël Dupriez.

Par Arnaud Martin.

Quels insectes ?

Aujourd’hui, il n’est évidemment pas possible de manger n’importe quel insecte. En Belgique, l’Afsca tolère la consommation de 10 espèces comme le grillon domestique, le ver de farine ou encore la chenille du bombyx. Une liste extrêmement réduite qui pourrait peut-être un jour s’élargir à d’autres espèces. Les possibilités sont en effet nombreuses. Les insectes représentent ainsi 80 % de la biodiversité animale, il en existe 2 millions d’espèces. “Elles ne sont évidemment pas toutes comestibles : on en recense pour le moment environ 2.000 dans le monde. Il ne vaut donc mieux pas se risquer à manger la première bête que vous trouvez dans votre jardin car vous avez une chance sur 1.000 qu’elle soit comestible, sourit Frédéric Francis. Mais il est clair qu’il y a beaucoup de possibilités pour élargir cette liste.” Certaines régions du monde ont d’ailleurs une consommation d’insectes déjà très diversifiée. Sur son site internet, la FAO explique que des études scientifiques évoquent “la consommation de 250 espèces d’insectes en Afrique, 549 au Mexique, 180 en Chine”.

Si le nombre d’espèces mangées en Belgique reste assez restreint, notre pays fait néanmoins partie des plus avancés dans ce domaine en Europe. En l’absence pour le moment de législation à l’échelle de l’UE, chaque Etat dispose de sa propre réglementation concernant la consommation d’insectes. Aujourd’hui, seuls une poignée de pays européens autorisent leurs habitants à déguster ces petites bêtes. “Les Pays-Bas et le Royaume-Uni sont les véritables précurseurs dans le domaine, notamment au niveau de la recherche. La Belgique et la France sont également bien avancés sur la question”, explique encore le professeur. L’université belge travaille d’ailleurs sur le sujet depuis une dizaine d’années. Cette politique favorable de notre pays est bénéfique : “Nous avons eu de la chance de nous lancer ici. Quand nous avons créé Little Food, nous ignorions que la Belgique était pionnière. C’est un véritable avantage pour nous car, quand l’Europe autorisera de manière générale la consommation d’insectes, nous aurons déjà une longueur d’avance sur les futurs concurrents étrangers”, conclut Raphaël Dupriez.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content