“L’hôtellerie et les croisières sont les moteurs de la rentabilité de TUI”

© Jasper Jacobs (Belgaimage)

La Belgique est un marché important pour TUI Group, le premier acteur mondial du tourisme. Friedrich Joussen, son patron, explique comment il utilise la technologie pour concurrencer les géants de l’Internet.

Tout va bien pour TUI en Belgique, la filiale du groupe allemand TUI Group, premier tour-opérateur actif dans le Royaume. Et qui possède chez nous une flotte de 27 avions, portée à 32 d’ici l’été prochain, avec des recrutements à la clé. Trends-Tendances a rencontré le patron du groupe, l’Allemand Friedrich Joussen. Il vient du monde des télécoms, a consolidé le groupe TUI et l’a converti à la distribution et la gestion numérique.

TRENDS-TENDANCES. Votre groupe se présente comme le numéro un mondial dans le tourisme, qu’est-ce que cela représente exactement ?

FRIEDRICH JOUSSEN. Cela signifie que nous emmenons plus de 20 millions de personnes en vacances vers plus de 100 destinations. Nous exploitons 150 avions, 330 hôtels, 16 paquebots, occupons 65.000 employés et réalisons près de 20 milliards d’euros de ventes. Nous sommes un groupe intégré, qui suit le client de la réservation à l’hôtel ou à la croisière. Nous développons et exploitons des hôtels et des paquebots. Voilà la taille !

– Profil –

1963. Né à Duisburg (Allemagne).

Profession. CEO de TUI Group (Hanovre) depuis 2013.

Expérience. Carrière dans les télécoms. Dernière fonction occupée : CEO de Vodafone Germany de 2005 à 2012, année où il est entré au board de TUI AG, avant d’en devenir CEO. Il a joué un rôle important dans le développement de la téléphonie mobile en Allemagne.

Formation. Ingénieur électricien formé à la RWTH à Aix-la-Chapelle.

Est-ce le résultat d’une fusion ?

Oui, initialement, il y avait TUI AG en Allemagne, une entreprise née de la transformation d’un conglomérat industriel, Preussag, reconverti dans l’hôtellerie et les croisières. Elle avait acquis la majorité d’une société britannique, First Choice, rebaptisée TUI Travel. Nous avons décidé de fusionner les deux groupes voici presque quatre ans, pour former TUI Group, basé en Allemagne et coté en Grande-Bretagne.

Toutes les fusions ne donnent pas de bons résultats, qu’en est-il pour TUI Group ?

Quand je suis arrivé à la tête de TUI AG, en 2013, la capitalisation boursière s’élevait à 1,5 milliard d’euros. Elle atteint maintenant 10 milliards. La profitabilité a fortement augmenté, elle a connu une crois- sance à deux chiffres chaque année. Nous visons au moins 10 % de progression pour l’Ebitda. En trois ans, la profitabilité des hôtels et des croisières est passée de 30 à quasi 60 % du total des bénéfices, c’est le moteur de notre rentabilité. Cela présente deux avantages. Le premier est que ces activités ne sont pas trop saisonnières. L’hôtellerie et les croisières sont profitables toute l’année, alors que l’activité de tour- opérateur ne l’est qu’en été. Deuxième atout : une excellente génération de cash. Même si ces activités exigent beaucoup d’investissements, elles produisent de bonnes liquidités. Vous pouvez alors faire trois choses en même temps : payer des dividendes, ce que les actionnaires apprécient, investir dans le futur de la compagnie, dans la digitalisation ou le CRM ( customer relationship management, Ndlr), et désendetter l’entreprise. Cela nous permet, par exemple, d’acheter des avions plutôt que de les prendre en leasing.

Nous avons adopté une approche de vente horizontale, à l’aide du principe de la ‘blockchain’.

Est-il plus profitable d’acheter des avions que de les louer ?

Il faut un juste équilibre. Pour le moment, nous louons une bonne partie des avions, mais cela serait logique d’en posséder la moitié et de louer le reste. En location, vous devez garder l’avion pour la durée du contrat, par exemple 12 ans, même si les affaires vont moins bien. Mais vous ne prenez pas de risque sur la valeur de l’avion. Si vous êtes propriétaire, vous pouvez en revendre un ou deux rapidement lorsque le marché va moins bien. Nous achetons en propriété car les intérêts sont maintenant très bas, la fusion a amélioré notre bilan, nous pouvons emprunter à d’excellentes conditions.

En parlant d’avions, vous ne parlez pas de cette activité comme moteur de profitabilité…

Les avions ne sont pas des différenciateurs en eux-mêmes, mais la combinaison avec les hôtels et les croisières l’est clairement. Alors pourquoi opérer avec 150 avions (1) ? En principe, nous n’en avons pas besoin pour une destination comme Majorque, vers laquelle il y a beaucoup d’offre de transport disponible. Mais si l’on veut ouvrir une nouvelle destination comme le Cap Vert, où nous avons investi dans des hôtels, nous voulons avoir la certitude qu’il y aura une desserte régulière. Sinon c’est un désastre pour nous. Vous pouvez comparez les avions à une infrastructure routière. Si vous avez un hôtel, il faut une route pour y arriver. Disposer de compagnies aériennes est essentiel pour créer un marché, créer de nouvelles destinations. Nous allons développer la Croatie, nous devons donc être sûrs qu’il y aura assez de vols. Donc nous allons voler vers l’aéroport de Brac, où personne ne va actuellement. Nous avons fait cela avec la Jamaïque, destination que nous développons depuis près de huit ans. Nous avons acheté les Boeing 787 pour y aller. Lancer des hôtels sur ce type de destination est nettement plus profitable que de faire du trading sur des régions très fréquentées. Si vous voulez aller au Cap Vert ou à la Jamaïque, vous devez quasiment passer par nous pour le moment. Mais si vous voulez aller à New York, vous avez des dizaines de compagnies et vous pouvez réserver sur Booking.com.

Si les hôtels et les croisières sont si rentables, ne subissez-vous pas la pression d’actionnaires activistes pour séparer ces activités du business moins profitable ?

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Nous n’avons pas d’actionnaires activistes. Nos actionnaires sont des investisseurs à long terme.

Pourquoi un groupe allemand est-il coté en Grande-Bretagne ?

C’est un héritage de la fusion. Certains fonds de pension ne pouvaient investir que dans une entreprise cotée à Londres et en livres. Si nous avions été ailleurs, nous ne serions pas attractifs pour un certain nombre de nos actionnaires.

Votre premier actionnaire est russe…

Oui, c’est Alexeï Mordachov, il dispose de plus de 20 % des parts.

Cela n’a-t-il pas des conséquences dans la gestion de l’entreprise ?

Non, nos grands actionnaires sont présents au supervisory board, le conseil d’administration qui, en Allemagne, ne gère pas l’entreprise, mais supervise l’ executive board.

Est-ce que la croissance affichée pour l’exercice 2017 (+11,7 % des ventes) est le produit de la fusion ?

Il y a plusieurs raisons. Notre business model a changé en une entreprise intégrée. Nous investissons et gérons des hôtels et des bateaux de croisière, et l’activité de tour-opérateur les commercialise auprès de nos 20 millions de clients. Cette intégration nous a permis, l’an dernier, d’ajouter un million de clients en améliorant la rentabilité de ces actifs. Nous avons accru notre part de marché en Allemagne et en Grande-Bretagne, qui sont importants pour nous. Nous avons aussi bénéficié d’une augmentation des prix dûe aux effets du Brexit en Grande-Bretagne. La livre a reculé de 20 %, or le coût des vacances est établi surtout en euro et en dollar, cela a conduit à une hausse des prix outre-Manche.

Est-ce que les clients britanniques acceptent de payer plus ?

Ils continuent à partir en vacances, même s’ils paient plus. Une partie d’entre eux opte pour des pays moins chers, comme la Bulgarie, au lieu de l’Espagne, mais nous gardons ces clients car nous sommes présents dans plus de 100 destinations.

Que représente le marché belge pour TUI ?

C’est un très bon marché pour nous. Le seul où nous exploitons plus d’avions que ce qu’il nous est nécessaire pour notre activité de tour-opérateur. La raison est la structure de coûts favorable obtenue, qui rend TUI Fly très compétitive face à la concurrence. Nous sommes un low cost avec un bon réseau de vente. C’est une grande flotte, développée par Elie Bruyninckx ( CEO de TUI Western Region, qui a lancé Jetair Fly, devenu TUI Fly, Ndlr). C’est la raison pour laquelle nous y venons d’y placer le premier Boeing 737 Max du groupe.

Vous semblez accorder une grande importance à la vente en direct à vos clients, sur le Net ou dans vos agences propres. Vous ne croyez pas à la vente indirecte ?

Si c’est possible, nous préférons une relation directe avec les clients, de la manière qui leur convient. Dans les pays nordiques, les achats se font quasi à 100 % en ligne et nous avons fermé nos agences. Là-bas, les gens sont habitués à tout faire par le Net, sans doute à cause des distances et de la géographie du pays. En Belgique ou au Royaume-Uni, la vente en ligne représente 65 % du total, 35 % des clients passent par des agences. En Allemagne, c’est très différent, l’activité en ligne ne représente que 20 %, nous avons 30 % de vente directe en agences, et 50 % via des réseaux indépendants. Nous sommes une consumer company : nous ne pouvons éduquer les consommateurs, nous devons aller là où ils sont. S’ils aiment les agences, nous ouvrons des agences. En direct, vous avez le contrôle, mais ça peut coûter cher en zone rurale, alors nous y distribuons aussi nos services dans des magasins indépendants qui commercialisent un peu de tout, même de l’alimentation. Mais nous préférons la vente directe.

L’offre de logements en ligne, via Booking.com ou Airbnb, représente-t-elle une concurrence importante pour TUI ?

Il y a quatre ans, notre core business portait plutôt sur le trading : nous achetions et revendions des nuitées dans des établissements que nous ne possédions pas forcément. Maintenant, nous sommes une société intégrée. Au lieu de faire du trading, nous développons nos propres hôtels et nos croisières. Notre activité de trading nous aide à commercialiser le maximum de capacité. Les acteurs tiers sur Internet ne sont pas forcément des concurrents de ce point de vue, c’est une chance de vendre ce que nous n’avons pas pu commercialiser en direct. Nous utilisons beaucoup Booking.com pour vendre nos hôtels aux Caraïbes et aux Etats-Unis, où nous n’avons pas de canaux directs. Mais en Europe, nous ne le faisons pas, car nous avons nos canaux de vente. Historiquement, un Booking.com était un concurrent, mais aujourd’hui nous le voyons comme un canal de vente supplémentaire. Un client de Booking.com doit aussi dormir dans un lit.

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Booking.com est encore plus rentable que TUI…

Sa capitalisation boursière est beaucoup plus élevée ( 72 milliards d’euros vs 10,2 milliards d’euros pour TUI, Ndlr). C’est une chose d’être une trading company, une autre d’être une product company, et encore une troisième chose d’être une plateforme en ligne. Serait-il possible, aujourd’hui, de construire un autre Booking.com ? La réponse est non. Je veux dire que l’on ne peut jouer au venture capitalist, investir dans des dizaines ou des centaines de sociétés, en espérant qu’une seule gagnera, avec un return énorme. Cela étant, Internet favorise les plateformes monopolistiques. Booking a des coûts de marketing, mais sa structure de profit est nettement plus avantageuse que celle d’une compagnie de marketing et de commercialisation traditionnelle. Car Booking dispose d’une immense base de données : elle sait tout. En revanche, la blockchain, que nous utilisons , n’a pas la structure d’Internet. Elle est hors du Net qui est hiérarchique et où les données sont concentrées sur les plateformes. Dans la blockchain, les données sont réparties, distribuées. Chacun peut savoir ce qu’il veut, vous ne pouvez pas créer de monopole. C’est une structure publique. Dans les grandes plateformes du Net, les données sont concentrées. Dans une blockchain, qui a l’avantage d’être très sûre, elles sont disponibles pour tous.

Historiquement, un Booking.com était un concurrent, mais aujourd’hui nous le voyons comme un canal de vente supplémentaire.

Vous vendez donc via un système de “blockchain” ?

Nous utilisons cette technologie pour gérer la capacité de nos hôtels, mais nous envisageons aussi de l’étendre à d’autres services, comme les vols ou les excursions. Nous verrons si les structures monopolistiques continueront à être com- pétitives. Au bout du compte, les consommateurs paient ce qui représente aujourd’hui les énormes bénéfices de ces plateformes. Je suis confiant sur le long terme. Dans le futur, nous développerons notre blockchain.

Vous semblez passionné par l’informatique !

Exact, je suis ingénieur software de formation.

Vous avez dirigé un opérateur télécom, Vodafone Allemagne, et maintenant vous êtes dans le tourisme, quelle est la différence ?

Il y a 20 ans, traiter les données de 20 millions de clients coûtait des centaines de fois plus cher qu’aujourd’hui. De nos jours, cela ne coûte plus rien. Un exemple : hier, établir le planning des 60 avions que nous utilisons en Grande-Bretagne demandait énormément de travail. Il fallait intégrer des destinations, le temps au sol, le planning des équipages. Les ordinateurs tournaient pendant 36 heures. La saison dernière, toutes les informations ont été mises dans le cloud d’Amazon et traitées par notre software : le traitement a pris 90 secondes pour un coût nettement plus bas.

Cela veut dire que vous n’avez plus besoin de “data center” ?

Exact. C’est le genre de réflexion à avoir aujourd’hui si vous avez un data center.

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Est-ce que vous utilisez aussi l’intelligence artificielle ?

Oui, d’ailleurs c’est l’intérêt apporté par les services informatiques en cloud. Vous pouvez utiliser une puissance informatique énorme. Prenez l’exemple des trolleys ( chariots de services, pour les boissons et les repas, Ndlr) dans les avions. La question est : comment adapter le contenu des trolleys selon les spécificités des passagers ? Ce qui est demandé va varier selon que le vol soit rempli d’enfants, en période de vacances scolaires, ou rempli d’adultes. Avec de l’intelligence artificielle traitée sur le cloud d’Amazon, nous allons pouvoir établir des listes en fonction des précédents des voyageurs, de ce qui a marché ou pas. Cela nous permet de prendre de meilleures décisions et de gagner de l’argent.

Quel est le marché du futur pour vous ?

Nous pensons beaucoup à l’Asie du Sud-Est. Si vous regardez nos marchés, le plus profitable est celui des Caraïbes, vous pouvez y attirer des clients européens l’été, des Canadiens et des Américains en hiver. Nous pouvons assurer le remplissage toute l’année. Si vous regardez l’Asie du Sud-Est (avec des pays comme le Vietnam, la Malaisie, le Sri Lanka, les Maldives, l’Indonésie), cela pourrait devenir la même chose. Nous volons l’été depuis l’Europe, un peu l’hiver depuis l’Australie. Pour les Caraïbes, le marché important est l’Amérique, pour l’Asie du Sud-Est, cela pourrait être la Chine. Le challenge, c’est que les Chinois ne sont pas encore portés sur les vacances au soleil. Ils vont plutôt en groupe en Europe, visiter 11 villes en 9 jours. Cela change, la nouvelle génération semble plus intéressée par des vacances à l’occidentale.

Vous aurez besoin d’un actionnaire chinois pour y arriver, comme Fosun ?

Nous sommes ouverts à tous les actionnaires. Nous sommes focalisés sur notre business. Notre mission et priorité stratégique est l’Asie du Sud-Est et le marché chinois. z

(1) TUI Group dispose en Europe de cinq compagnies aériennes – dont TUI Fly Belgique – qui opèrent chacune sur leur marché. La gestion des flottes a été centralisée sous la forme d’une compagnie virtuelle pour mieux exploiter les avions et modérer les coûts.

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