L’Ecailler du Palais Royal: la renaissance d’une vénérable maison

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Propriété de Debora Abraham depuis fin 2015, l’Ecailler du Palais Royal connaît une véritable résurrection. Avec Maxime Maziers aux fourneaux, la maison créée il y a 50 ans par ce diable de Marcel Kreusch vient de se voir gratifiée d’une étoile par le guide Michelin. La seule progression bruxelloise de l’année.

Installé dans une maison de maître classée du 17e siècle dans le quartier bruxellois du Sablon, l’Ecailler du Palais Royal a longtemps attiré les gastronomes bruxellois en quête de poissons, de coquillages et de crustacés. Créé par Marcel Kreusch, le restaurant est vite devenu un must du paysage gastronomique bruxellois. Comme à la Villa Lorraine, autre bébé de celui que l’on appelait ” Le prince de la gastronomie “, la maison a longtemps été un rendez-vous traditionnel pour les familles qui venaient y fêter les grands moments de leur existence. Tradition, classicisme et excellence y régnaient en maître et c’est logiquement qu’elle arbora longtemps deux étoiles Michelin sur sa façade. Avant que le temps ne fasse son oeuvre, dévastatrice…

L'Ecailler du Palais Royal: la renaissance d'une vénérable maison
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C’est cette nostalgie d’un passé glorieux qui a poussé Debora Abraham à racheter l’Ecailler du Palais Royal quand son dernier propriétaire, Richard Hahn, a cherché un repreneur. ” Je suis très attachée à cet endroit, explique-t-elle. J’y suis allée avec mon père et mon grand-père. Et mon père y allait déjà avec son grand-père. C’est une maison dans laquelle j’ai énormément de souvenirs. Quand j’ai appris qu’elle était à reprendre, j’ai vraiment eu à coeur de redorer son blason et de restaurer la tradition. C’est un beau challenge. Je n’avais aucune expérience dans le domaine mais j’ai eu la chance de m’entourer des bonnes personnes. L’étoile vient valider les choix que nous avons faits. Cette récompense donne un coup de boost à toute l’équipe, notamment les plus anciens comme Ludo, le sous-chef, qui est là depuis 30 ans. Pour eux, l’Ecailler est toute leur vie et ils ont à coeur de le voir briller à nouveau. ”

Garder l’ADN de la maison

Evidemment, reprendre un tel monument de la gastronomie n’est pas sans risques. D’autant que les habitués sont encore nombreux et que fatalement, on va être jugé à l’aune du passé. Mais pour retrouver une vraie clientèle variée, il fallait moderniser les lieux. ” Nous avons refait une bonne partie de la décoration, poursuit Debora Abraham. Il n’y a plus de tapisserie ou de velours côtelé mais le restaurant reste aussi feutré et chaleureux qu’à la belle époque. J’ai coutume de dire que le changement de déco ressemble au lifting réussi d’une femme. On ne voit pas qu’elle a changé, juste qu’elle a pris un coup de frais (rires). Les habitués et les anciens clients vont retrouver l’ambiance d’avant et les souvenirs. Il ne fallait pas bousculer cela. Il m’importait de garder l’ADN de la maison. Evidemment, il fallait entrer dans la modernité. Nous avons créé un logo, lancé un page Facebook et un compte Instagram, refait tout le site et nous nous lançons aussi dans les menus digitaux. ”

L'Ecailler du palais royal conserve cette ambiance de club anglais, feutré et chaleureux.
L’Ecailler du palais royal conserve cette ambiance de club anglais, feutré et chaleureux.© BELGAIMAGE

Le changement le plus marquant réside évidemment dans la cuisine. Avec l’arrivée début 2016 de Maxime Maziers. Après des études à l’école hôtelière de Namur en même temps que Carl Gillain (L’Agathopède à Namur) et Stéphane Jacobs (étoilé du défunt Va Doux Vent à Uccle et, aujourd’hui en pop-up au Château de Bioul), Maxime Maziers a fréquenté de belles maisons : Jean-Pierre Bruneau comme commis, Traiteur Loriers, Wout Bru à Eygalières ou encore la Villa Lorraine (second d’Alain Bianchin pour le resto gastronomique). Il deviendra ensuite pendant sept ans le second de Jean-Pierre Bruneau avant de devenir le chef du Bowery à Schaerbeek. Cette filiation avec Jean-Pierre Bruneau a été déterminante pour le chef de l’Ecailler du Palais Royal. ” J’y ai fait tout mon apprentissage, confie Maxime Maziers. Il y a eu une belle synergie entre nous. Jean-Pierre m’a laissé beaucoup de liberté pour créer. Il m’a aussi transmis son éducation d’entreprise et comment gérer un restaurant. Il m’a aussi appris son style, son classicisme. Semblable à ce qu’était l’Ecailler avant finalement. Pour être un bon cuisinier, il faut d’abord apprendre les bases. Pour cela, Bruneau était une merveilleuse école. Regardez les chefs étoilés qui sont passés chez lui : David Martin, Karen Torosyan ou encore Alex Atala, un chef brésilien dont le resto a été classé il y a peu dans les cinq meilleurs du monde… ”

Debora Abraham, Maxime Maziers et une partie de la brigade Grâce à la formule
Debora Abraham, Maxime Maziers et une partie de la brigade Grâce à la formule ” L’Ecailler à la maison “, il est possible de s’offrir les menus, le service de la maison et le personnel dont le chef. Un programme auquel les services du Premier ministre ont déjà fait appel que ce soit au Palais d’Egmont (photo) ou à Val Duchesse.© pg

Une bonne école

Fatalement, à l’heure où Jean-Pierre Bruneau va remiser son tablier, la transmission de son savoir-faire prend tout son sens. Et aujourd’hui encore, Maxime Maziers utilise les méthodes qu’il a apprises chez l’ancien tri-étoilé de Ganshoren. ” Jean-Pierre prônait une cuisine classique pure et dure mais superbement exécutée. Quand vous avez travaillé à ses côtés, vous savez tout faire. Une recette est pesée, minutée, calculée. C’est fondamental car le client qui vient manger deux fois le même plat ne doit pas y voir de différence. Par son éducation, Jean-Pierre prônait discipline et régularité. Une telle école forge une façon de travailler et aujourd’hui, puisque ses méthodes sont très réfléchies, pourquoi travailler autrement ? Jean-Pierre, c’est le dernier dinosaure qui s’en va. C’eût été bien qu’il y ait une transmission chez lui. Mais vous savez, à un moment, ce n’est pas votre nom sur la façade et vous avez envie de voler de vos propres ailes… ”

A l’Ecailler, Maxime Maziers imprime doucement sa marque. Il dirige le restaurant au quotidien et tout ce que cela implique hors de la cuisine. Ouvert sept jours sur sept midi et soir, la maison emploie 25 personnes. L’arrivée de l’étoile et l’afflux des réservations qui l’accompagne vont sans doute permettre l’engagement de personnel supplémentaire. En tout cas, cette étoile, même si elle est méritée (lire l’encadré), personne ne l’attendait cette année. ” Je n’étais pas à la remise des prix, sourit Maxime Maziers. C’est mon sous-chef qui m’a prévenu et m’a envoyé une photo ! C’est une bonne nouvelle pour cette maison. En un an, j’ai revu progressivement toute la carte. A chaque saison, j’enlevais des plats pour mettre mes créations. Aujourd’hui, il ne reste plus que cinq ou six classiques et nous avons ajouté des plats de viande. Cette étoile, c’est aussi la récompense pour tout le travail effectué par toute l’équipe. Quand je suis arrivé, le pain n’était pas fait maison. Aujourd’hui, nous avons un pâtissier-boulanger et des mignardises accompagnent les boissons chaudes de fin de repas. Depuis l’étoile, le téléphone n’arrête pas de sonner et l’ancienne clientèle déçue revient, sans compter tous ceux qui ne nous connaissaient pas. ”

maxime maziers a beaucoup appris au contact de Jean-Pierre Bruneau.
maxime maziers a beaucoup appris au contact de Jean-Pierre Bruneau.© BELGAIMAGE

L’Ecailler à la maison

Désormais associé dans l’établissement, Maxime Maziers a aussi développé un service appelé ” L’Ecailler à la maison “.

Tout un chacun à titre privé ou professionnel peut donc s’offrir les menus, le service de la maison et le personnel dont le chef. Un programme qui marche bien et auquel, entre autres, les services du Premier ministre font régulièrement appel que ce soit au Palais d’Egmont ou à Val Duchesse. Avec l’ouverture sept jours sur sept, le chef et son équipe sont donc bien occupés.

” Ouvrir tous les jours était un choix économique, conclut Maxime Maziers. Nous disposions d’une équipe et demi. Et pour six jours, c’est un peu trop. Alors, nous avons fait le choix de garder tout le monde et d’ouvrir le dimanche. Une option payante puisqu’au bout de huit mois, le dimanche est un vrai succès. Le midi, c’est familial et relax. Le soir, ce sont surtout des hommes d’affaires qui arrivent en ville et sont très contents de trouver en plein centre un restaurant haut de gamme ouvert. Quant à l’activité traiteur, c’est un vrai plus pour la reconnaissance du restaurant. Evidemment, personne ne travaille les sept jours. Mais recevoir une étoile prouve que la régularité est présente chez nous… “

L’Ecailler du Palais Royal, 18 Bodenbroek à 1000 Bruxelles. Tél. :02 512 87 51. www.lecaillerdupalaisroyal.be

L'Ecailler du Palais Royal: la renaissance d'une vénérable maison
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Une récompense entièrement méritée

Avouons-le tout de go, nous n’avions plus mis les pieds à l’Ecailler du Palais Royal depuis très longtemps. Depuis que cette vénérable maison avait solidement perdu de son lustre. La surprise n’en a été que plus grande lors de notre visite un dimanche. La salle à manger du rez-de-chaussée a été rafraîchie. Comme au bon vieux temps, elle exhale un parfum élégant de club anglais avec son bar tout en bois. La couleur turquoise des écailles au mur trouve son harmonie avec les variations océanes de la nouvelle moquette et des banquettes rénovées. L’ensemble est plus lumineux, plus épuré qu’avant.

Les serveurs, dont certains (Jacky et Michel) y travaillent depuis 30 ans, sont discrets et efficaces avec leurs tabliers noirs aux couleurs de la maison. Le grand changement se trouve dans l’assiette. Evidemment, l’habitué pourra toujours retrouver à la carte du caviar Petrossian et un banc d’huîtres ainsi que quelques classiques de la maison comme les ravioles de homard, la bouillabaisse comme à Marseille, les croquettes de crevettes grises, etc. Mais pour bien comprendre les raisons qui ont poussé Michelin à accorder une étoile, il faut explorer les créations de Maxime Maziers ou se laisser aller à la découverte via le menu surprise (125 euros hors boissons).

Franchement, en laissant carte blanche au chef, nous avons fait l’un de nos meilleurs repas de l’année. Pour accompagner l’apéritif (du champagne Billecart-Salmon, cuvée spéciale de la maison), un feuilleté de saumon très aérien et un carpaccio de bar tout en délicatesse. Avant de commencer le menu en lui-même, le chef nous a permis d’avoir un avant-goût de deux de ses créations proposées en entrée à la carte : le bonbon de thon rouge et king crabe et le foie gras avec pommes vertes et anguille fumée. Deux bouchées plus que prometteuses et qui demandent qu’on y revienne. En première entrée, avec un Touraine blanc de François Chidaine, une fraîcheur de homard et déclinaison d’artichauts. Travaillé en mousse et avec des morceaux de fond encore croquants, l’artichaut sublime un homard parfaitement cuit et sans artifices. Un plat de produits pour les produits, parfaitement équilibré. La première claque du repas viendra avec un couteau géant d’Ecosse servi avec du caviar, des pensées et un beurre blanc. C’est créatif, très goûteux et joliment présenté. La troisième entrée est de la même veine : noix de saint-jacques, fregola sarda et cappuccino de crustacés. Une assiette digne des plus grandes maisons. En plat, un canon de chevreuil aux épices et déclinaison de raves. Le gibier est cuit à la perfection et fond dans la bouche. C’est plus classique mais la sauce est une merveille. Bon accord de Grégory, le maître d’hôtel, avec un Château de Chambert, un cahors 2010 tout en puissance et élégance. Un granité de fruits rouges, fleurs de samba, hibiscus, églantier et bleuet, suivi d’une déclinaison de chocolat ont clôturé un excellent repas. Cette étoile décrochée en novembre est amplement méritée et s’il continue dans la même veine, Maxime Maziers en décrochera d’autres.

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