L’abonnement Premium d’Amazon : payer plus pour acheter plus

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Plus de 60 millions de personnes sont abonnées au programme ” prime ” d’Amazon (appelé premium en Belgique). Selon les pays, ces clients payent 19,5 euros à 99 dollars par an pour se faire livrer plus vite. Ce service est un vrai passeport pour l’addiction du client, et une arme stratégique.

Amazon Go, le supermarché expérimental sans caisses et sans files d’attente, a fait la Une des journaux la semaine passée. Il n’est pourtant pas près d’arriver en Belgique. En revanche, le service Amazon Premium (ou Prime aux Etats-Unis) a bel et bien fait son entrée sur notre marché cette année. En payant un abonnement à ce service, le client s’assure une livraison dans les deux jours. Mais Amazon Premium, c’est surtout un redoutable système pour fidéliser les clients et les pousser à acheter plus.

A son lancement aux Etats-Unis, en 2005, l’abonnement Prime, facturé alors 79 dollars, avait suscité pas mal de scepticisme. C’était un peu comme si Delhaize ou Carrefour ouvraient de nouveaux magasins mieux achalandés avec une entrée payante. Onze ans plus tard, Prime est devenu le moteur de la croissance de l’entreprise, faisant augmenter les ventes de 29 % au dernier trimestre clôturé en septembre pour arriver à 32,7 milliards de dollars.

L'abonnement Premium d'Amazon : payer plus pour acheter plus
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” Dès le premier jour, nous avons eu des dizaines de milliers d’inscriptions “, a expliqué au Washington Post Greg Greely, un cadre d’Amazon qui a participé au lancement du service. Après les Etats-Unis, où Prime coûte maintenant 99 dollars par an, le service a été proposé un peu partout. Il a été introduit en Belgique et en France sous le nom d’Amazon Premium, à 49 euros par an (24 euros pour les moins de 25 ans). Amazon est avare en chiffres sur cet abonnement. Les évaluations varient entre 60 millions d’abonnés dans le monde selon Morgan Stanley et 80 millions selon d’autres sources (Piper Jaffray, Business Insider). La part de marché atteindrait des niveaux spectaculaires à certains endroits. En Allemagne, par exemple, plus d’un ménage sur cinq serait abonné au service Amazon Prime. Or un client Prime est un très bon client. Selon Morgan Stanley, celui-ci achète (aux Etats-Unis en tout cas) presque cinq fois plus qu’un client non abonné : 2.486 dollars par an au lieu de 544 dollars. Un vrai mécanisme d’addiction : avec les années, le total des achats augmente.

Supprimer les freins à l’achat en ligne

” Le principe n’est pas nouveau, la Fnac a lancé depuis longtemps une carte d’adhérent payante donnant droit à des avantages, des réductions, c’est le principe d’un club, analyse Isabelle Schuiling, professeur de marketing à la Louvain School of Management (UCL). Mais sa mise en oeuvre par Amazon est très originale. Elle va très loin. L’entreprise a bien analysé ce qui freinait l’achat sur son marché. Le premier obstacle rencontré par le client était le délai d’attente pour obtenir le produit, le second, le coût de la livraison. Le service Prime supprime ces freins. ”

La plupart des abonnés sont motivés par la promesse d’une livraison rapide, le surlendemain de la commande, ou même dans les deux heures pour le service Prime Now là où il est disponible (à Paris par exemple). Amazon a ajouté une batterie de services pour augmenter rapidement le nombre de clients Prime et les dissuader de s’en aller. Cela inclut le streaming de films, de séries et de musique aux Etats-Unis, en Allemagne ou en Grande-Bretagne par exemple. En Belgique, le bouquet de services est limité, il compte le stockage gratuit et illimité de photos, le prêt de plus d’un million d’eBooks Kindle et un accès prioritaire aux ventes flash. Mais ce service devrait s’étendre, en particulier vers le streaming de films et de séries.

” C’est une approche par abonnement comme on en trouve de plus en plus, notamment dans les télécoms, avec les bundles téléphone/télévision/Internet, note Pierre-Alexandre Billiet, CEO de la revue Gondola. Avec ce type de relation, vous ne changez pas facilement de fournisseur. Amazon Prime est un outil quasiment existentiel, nécessaire à un modèle de croissance forte propre à cette entreprise. ”

Résumons en quatre questions le business model et les effets des services Prime sur la concurrence :

1. Quel est le “business model” ?

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Le business model d’Amazon Prime est acrobatique. L’abonnement ne couvre pas les frais qu’il engendre, c’est la croissance des ventes futures qui devrait rentabiliser le service. Les comptes publiés par Amazon détaillent l’écart entre les recettes pour les livraisons et leurs coûts : la perte s’élevait à 5 milliards de dollars pour 2015, contre 4,2 milliards en 2013. Le coût du contenu pour le service vidéo s’envole aussi (1,8 milliard de dollars en 2015, 5,5 milliards en 2018). Les investisseurs ne s’en inquiètent pas car chaque nouvel abonné Prime garantit des ventes supplémentaires demain. ” La progression de Prime est rassurant pour les analystes financiers, assure Isabelle Schuiling, ils aiment les flux d’argent garantis, prévisibles. En plus, la clientèle Prime est plutôt jeune, la moitié se situe entre 18 et 34 ans. Ces clients continueront à acheter pendant 30 ou 40 ans. ”

2.Quel effet sur les prix et le comportement du client ?

Amazon a ajouté une série de services pour augmenter le nombre de clients Prime et les dissuader de s’en aller.

L’abonnement Prime rend les clients accrocs. ” Un des bénéfices pour nous est qu’ils nous met à la première place dans l’esprit du consommateur “, explique encore Greg Greely. Les abonnés sont moins enclins à consulter la concurrence en ligne et à comparer les prix. Ils se concentrent sur les articles ornés du tag Prime. Ils ont alors l’impression que les prix sont plus bas, ce qui n’est pas forcément le cas. Amazon donne le sentiment que Prime est un club de bonnes affaires car ses abonnés ont accès aux ventes flash avec 30 minutes d’avance sur les autres clients. Amazon organise même une journée de ventes flash réservée, la Prime Day. La disponibilité d’un service pour abonnés encore plus rapide, Prime Now (en deux heures, gratuitement, ou en une heure au prix de 5,9 euros), encourage l’achat impulsif. Il est disponible à Paris, Lyon et Marseille, mais pas à Bruxelles, car il faudrait une plateforme Amazon dans la capitale, or Amazon est physiquement absent de la Belgique. ” Cela reflète une évolution du commerce électronique, explique Pierre-Alexandre Billiet. Il y a deux ans, le premier critère d’achat était le prix. Aujourd’hui c’est la facilité. ”

Le seul bémol est que tous les articles ne sont pas livrables gratuitement en deux jours. Seuls ceux tagés Premium/Prime font partie de l’abonnement. Les autres peuvent demander un coût de livraison ? C’est souvent le cas d’articles proposés par des partenaires extérieurs qui utilisent le site pour trouver des clients (le service marketplace), mais ont choisi de gérer eux-mêmes la livraison et la font payer à tous. Cette subtilité peut créer une confusion chez les clients Premium. Mais Amazon maintient cette situation un peu confuse car elle lui permet d’avoir une offre très étendue. De plus, ces partenaires rapportent une commission (10 % en moyenne) qui, selon Morgan Stanley, génère une forte rentabilité. Elle pourrait constituer une forme de source de subsidiation pour les services Premium qui coûtent si cher à Amazon.

3.Quel effet sur la concurrence ?

 En s'abonnant à ce service, le client s'assure une livraison dans les deux jours.
En s’abonnant à ce service, le client s’assure une livraison dans les deux jours. © PG

Le poids d’Amazon étant considérable en Grande-Bretagne et en Allemagne, il en devient très embarrassant pour les concurrents locaux. C’est un avant-goût de ce qui pourrait arriver en Belgique. Le service Prime l’aide à croître sur ces marchés. Morgan Stanley estime qu’Amazon est devenu le n°1 du non-food dans ces deux pays. En Allemagne, ses ventes devraient se situer à 22,4 milliards d’euros pour 2016, soit plus de 8 % du marché non-food. ” A mesure qu’Amazon élève la barre, les retailers européens sont obligés de renforcer leur service en ligne. Le problème auquel ils doivent généralement faire face est que pour protéger leurs parts de marchés, ils impactent négativement leur rentabilité “, indique une note de Morgan Stanley.

4.Et en Belgique ?

Les distributeurs belges peuvent avoir l’impression d’être épargnés car Amazon n’est pas présent directement dans le pays. Pas d’Amazon.be en deux langues par exemple. Le marché est couvert par débordement au départ des dépôts français, allemands ou britanniques. L’abonnement Premium est aussi cher qu’en Allemagne mais compte moins de services. Un Coolblue ou un Media Markt livrent plus vite sans abonnement, le lendemain de la commande et non le surlendemain. Cela laisse du champ aux acteurs locaux. Les néerlandais Bol.com et Coolblue connaissent une excellente progression. Ils profitent de l’approche encore soft d’Amazon en Belgique, qui peut choisir à tout moment d’aligner ses services sur ceux disponibles en Allemagne ou en Grande-Bretagne. ” Face à Amazon, Bol.com et Coolblue ne bénéficient pas de la même taille critique, ils ne peuvent rivaliser avec l’étendue de l’offre “, estime Pierre-Alexandre Billiet.

Le coup suivant : Amazon Go ?
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Coup de pub ou vraie révolution ? Le magasin Amazon Go ouvert à Seattle, au numéro 2131 de la septième avenue, n’a pas de caisse (et donc pas de files). Les clients s’identifient à l’entrée avec leur smartphone, grâce à une application spécifique, mettent les articles choisis dans un paquet, et partent sans payer. Enfin presque : le système du magasin détecte en fait leur sortie et facture via le compte Amazon. Le magasin, toujours testé par le personnel d’Amazon, ouvrira vraiment l’an prochain. Il reflète l’intention d’Amazon d’entrer dans le vaste marché de la distribution alimentaire, en ligne mais aussi en ouvrant des supérettes. La société reste discrète sur ses intentions, centrant sa communication sur le paiement sans caisse, sans préciser la technique utilisée. Ni les développements futurs d’ailleurs. Il faut relier Amazon Go au projet révélé en octobre par le site Business Insider (dont le patron d’Amazon possède des parts). Amazon projetterait l’ouverture de 2.000 magasins aux Etats-Unis dans la prochaine décennie. Ce magasin du futur pourrait être le premier d’une série de points de vente test, dont certains seraient à la fois des supérettes high-tech et des points de collecte de commandes en ligne. Objectif : améliorer les performances fort modestes de l’offre Amazon Fresh, ces courses alimentaires en ligne, disponibles dans quelques villes américaines et à Londres. Amazon peut difficilement éviter l’énorme marché alimentaire où il est peu présent. Aucun de ces plans n’a été confirmé par Amazon. L’annonce du magasin Amazon Go est un pied de nez, une opération symbolique en direction du monde de la distribution (Walmart et consorts), pour montrer qu’il est parvenu au Graal du secteur, la fin des caisses. Que personne n’a vraiment pu réaliser jusqu’à présent, malgré des approches avec le self scanning.

L’approche distante d’Amazon n’a pas empêché que les acteurs belges soient déjà progressivement en position de faiblesse. Le marché belge est de plus en plus moissonné par de grandes machines de vente en ligne des pays voisins. ” Dans le vêtement, l’allemand Zalando a pris une grande place, illustre Isabelle Schuiling. Quant à Bol.com et Coolblue, ils pèsent de plus en plus lourd, mais ce sont des acteurs néerlandais. Je crains qu’à terme la consommation générée en Belgique passera directement à des sites étrangers. C’est une menace pour l’activité de distribution en Belgique lorsqu’elle n’est pas suffisamment forte dans l’e-commerce. ”

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