“Je veux dépoussiérer le secteur mutualiste!”

A l’exception notoire de Jean Hermesse (Mutualités chrétiennes) et, à l’époque, de Jean-Pascal Labille (Mutualités socialistes), les sorties médiatiques des dirigeants des mutuelles sont assez rares. Aujourd’hui, Camille D’Hulst, directeur général de Symbio, sort de sa réserve.

Il est effectivement loin le temps où les mutuelles se cantonnaient à rembourser des soins et à envoyer leurs médecins-contrôleurs chez les malades. Le service à valeur ajoutée sera demain la voie de salut. La taille critique est aussi un élément à prendre en compte. Chez Symbio, si la structure compte une cinquantaine de milliers de membres à peine, dont nombre d’expatriés installés en Belgique, sa croissance devrait cependant être boostée par le partenariat qui vient tout juste d’être signé avec le Group S. Une sorte de préambule à une entrée en force _ un retour _ de cette mutualité au sein des entreprises.

Trends-Tendances. Il est rare de vous voir dans les médias. Tout comme la plupart de vos confrères d’ailleurs…

Camille D’Hulst. La majeure partie de nos concitoyens sont dans la même mutuelle de génération en génération. D’ailleurs, jusqu’en 2000, il n’y avait pour ainsi dire pas de concurrence entre les mutuelles, nous ne faisions guère de publicité, on fonctionnait juste avec le bouche à oreille. Les choses ont cependant bien changé depuis le début des années 2000.

Que voulez-vous dire par là ?

La fusion entre Assubel et La Famille, qui a donné naissance à Partena, a changé la donne dans notre secteur. Partena a en fait été à l’origine d’un changement de mentalités consistant à muer, ni plus ni moins, les adhérents en “clients”, bref à donner une connotation plus commerciale à notre secteur. Il est cependant vrai que nous sommes constamment soumis à des défis de taille et que ceux-ci nous amènent forcément à réfléchir à un repositionnement stratégique.

Concrètement ?

Nous étions jadis la mutuelle de GB-Inno-BM. Pour pouvoir subsister, la législation nous avait à l’époque imposé de couvrir au moins 15.000 familles. Comme d’autres (Unerg, Tudor, etc.), nous étions loin du compte. Des regroupements ont ainsi été opérés pour donner au final notre structure actuelle.

Ce n’est plus le cas aujourd’hui ?

Si. Plus que jamais ! J’en veux d’ailleurs pour preuve que l’attestation de soins “papier”, telle que nous la connaissons aujourd’hui, est appelée à disparaître. Tout sera géré par des flux électroniques. Moins de tâches à accomplir dans notre chef, ce sera aussi moins de subsides dans nos caisses, avec des risques sous-jacents sur l’emploi. En France, la disparition de “l’autorisation préalable de soins” avait engendré des licenciements en masse dans les mutuelles. Mais grâce à une réorientation stratégique vers des services à valeur ajoutée, elles ont généralement pu, pour la plupart, réengager dans les mêmes proportions que les emplois perdus. Nous savons donc ce qui nous attend si nous n’anticipons pas. Concrètement, chez Symbio, cela passe à la fois par un élargissement de notre assise d’adhérents et par un élargissement de notre palette de services.

Comment ?

Nous croyons beaucoup au concept de “mutualité d’entreprise”. Au risque de me répéter, nous en sommes d’ailleurs issus. Notre ambition est en fait de travailler main dans la main avec les entreprises, en installant un point de contact de notre mutualité en leur sein. C’est là une opération win-win pour tout le monde : les entreprises, les membres du personnel et leur famille, notre mutualité et même la sécurité sociale. Pour les entreprises, il s’agit d’offrir un avantage supplémentaire aux membres du personnel, ainsi qu’à leur famille. Cela s’inscrit aussi dans le cadre de notre mission légale d’amélioration du bien-être physique et psychique des adhérents. Nous voulons de la sorte donner plus d’ampleur aux services de bien-être, de santé par le sport, de prévention des maladies (via, notamment, la promotion des vaccins), etc. Nous devons également apprendre aux gens à avoir d’autres comportements par rapport à leur santé, en jouant la carte du “prévenir plutôt que guérir”, ce qui répond de surcroît à la demande du gouvernement fédéral de faire des économies. En procédant ainsi, nous voulons _ et nous allons _ casser une image bien ancrée dans l’inconscient collectif, celle des mutuelles qui sont juste là comme de simples organismes de remboursement de soins et d’envoi de médecins contrôleurs. Nous allons offrir une large palette des services jusqu’ici non rencontrés. Un exemple ? Quand un couple se sépare, on voit souvent l’épouse en grande difficulté financière car son seul salaire ne permet généralement plus de régler toutes les charges du ménage, à commencer par le loyer ou le remboursement du crédit hypothécaire. En nous inspirant du modèle développé par nos collègues français de la Mutualité générale de l’éducation nationale (MGEN), nous pourrons proposer une formule de revenu garanti, certes limitée dans le temps, mais qui donnera au moins à l’épouse le temps de se retourner. Nous voulons aussi offrir une possibilité aux gens issus de l’immigration de pouvoir se faire inhumer dans leur pays d’origine. Bref, des services permettant aux gens de se sentir mieux, tant sous l’angle physique que l’angle psychique. Des gens moins stressés, en meilleure santé, cela n’est pas sans conséquence non plus sur le taux d’absentéisme et la productivité au sein des entreprises…

Pensez-vous que les employeurs soient effectivement prêts à vous accueillir dans leurs murs et à voir leurs travailleurs se rendre auprès de votre délégué pendant leurs heures de travail ?

A la première question, oui. A la seconde, au moins autant que de les voir sortir fumer leur cigarette à l’extérieur plusieurs fois par jour ! Et ici, ce sera pour une bien meilleure raison… (rires)

Comment allez-vous vous y prendre ?

Nous venons de signer un accord de collaboration avec le Group S. Il offrira à ses entreprises clientes la possibilité d’entrer, avec nous, dans une logique de “dossier social global”. Grâce à cette collaboration, nous pourrons ainsi étendre nos activités sur l’ensemble du territoire national alors que, jusqu’ici, nous n’étions pour ainsi dire que sur Bruxelles.

Vos concurrents pourraient cependant vous emboîter le pas…

Notre force, c’est notre caractère neutre. La crainte légitime d’un employeur serait évidemment que la mutuelle soit liée à un syndicat ou à une obédience religieuse. Dans un cas, la crainte serait de voir le loup entrer dans la bergerie, dans l’autre, afficher des convictions qui ne seraient pas nécessairement partagées par l’ensemble du personnel. Notre neutralité évite ce genre de situation !

Vous voulez promouvoir et développer le contact direct avec vos adhérents via une présence au sein des entreprises alors que dans bien des secteurs, on assiste dans le même temps à une émergence des services en ligne…

Il est un fait que deux tiers de nos concitoyens ne passent jamais par le bureau de leur mutuelle. Ils envoient leurs attestations de soins par poste et cherchent sur le site web les informations dont ils ont besoin. Demain, nous serons aussi sur Facebook parce que cela répond effectivement à une demande de la clientèle jeune. Cela étant, nous voulons vraiment privilégier le contact en face à face avec nos adhérents. C’est le contact direct qui est en effet le plus efficace en termes de conseil et d’orientation. C’est autour d’une table que nous pouvons par exemple le mieux expliquer les subtilités du conventionnement des prestataires de soins…

Que voulez-vous dire par là ?

A prestation identique, un même médecin ne vous réclamera pas nécessairement la même somme selon qu’il vous recevra à son cabinet ou à l’hôpital. Et à son cabinet, il se pourrait qu’il soit conventionné de telle à telle heure uniquement. Bref, le montant de ses honoraires pourrait varier selon l’heure à laquelle il vous reçoit. Bien souvent, les gens ne le savent pas…

Vous devez aussi affronter la concurrence des assurances privées…

Dans notre secteur, la solidarité n’est pas un vain mot, c’est l’essence même de la mutualité. Nous jouons la carte de la mutualisation des risques quand d’autres jouent celle de la segmentation. Chez nous, tout adhérent est dans les faits un potentiel coûteux. Chez nous, même les maladies chroniques sont prises en charge ! Chez nous, nous allons jusqu’à orienter des patients vers la France pour soigner des pathologies non traitables en Belgique et à prendre les coûts en charge. C’est aussi là une déclinaison de notre devoir de conseil… C’est ce que nous pouvons expliquer aux membres du personnel qui viennent nous voir au guichet de la mutualité ouvert au sein de leur entreprise…

Vous êtes également présent au Congo !

C’est exact. A l’initiative de la députée Gisèle Mandaila et grâce au soutien du ministre congolais de l’Enseignement, nous avons été partie prenante à un projet de création d’une mutuelle à destination des enseignants congolais. Cette structure vole à présent de ses propres ailes. Forts de cette expérience, nous avons imaginé différents produits : MNK Diaspora où, dans les faits, les expatriés cotisent au profit de leur famille restée au pays. Nous avons aussi approché les entreprises présentes sur place grâce à MNK PRO qui permet à la direction des entreprises d’affilier son personnel. MNK Espérance Fraternelle permet à chacun de cotiser et d’avoir droit aux meilleurs soins dans l’un de nos hôpitaux partenaires. Le Groupe S est, par ailleurs également actif là-bas (80.000 paies gérées sur place par leur secrétariat social). A petite échelle, cette expérience africaine montre que la solidarité permet l’accès aux soins de santé à un maximum de gens. C’est vrai aussi à plus large échelle. Obama l’a compris, même si on lui résiste encore.

Propos recueillis par Jean-Marc Damry

Profil * 59 ans

* Directeur général de la Fédération libre des mutualités neutres

* 1976. Bachelor en éducation physique et kinésithérapie (ULB/ISEP)

* 1976. Diplôme de gymnaste gradué (Institut Parnasse)

* Depuis 1978. Fédération libre des mutualités neutres, de comptable à directeur général

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