“Jack”, l’expression du Tennessee

Plus de 130 millions de litres de Jack Daniel's sont produits chaque année à Lynchburg. © Photos: PG

Toujours produit à Lynchburg, petite ville du Tennessee où la vente d’alcool est interdite, le Jack Daniel’s est le plus emblématique des whiskeys américains. Même s’il refuse l’appellation de bourbon.

“If you only know Jack, you don’t know George “. Même George Dickel, le principal et quasi unique concurrent de Jack Daniel’s sur le segment du Tennessee whiskey, se sert de Jack Daniel’s dans sa publicité. Disponible dans tous les bars du monde, le Black Label Old N°7, reconnaissable à sa bouteille carrée emblématique lancée en 1895, fait partie de la culture populaire américaine. On recense ainsi une bonne vingtaine de chansons faisant référence à cette marque, tandis que Lemmy Kilmister, le chanteur de Motörhead disparu en 2015, se vantait d’en avoir bu une bouteille par jour pendant 38 ans !

La distillerie est classée aux monuments historiques depuis 1972.
La distillerie est classée aux monuments historiques depuis 1972.© Photos: PG

Aux Etats-Unis, la marque domine largement le marché. A l’international, le ” Jack ” trône à la deuxième place des whiskys les plus vendus, derrière Johnnie Walker et devant Chivas, deux scotchs. Chaque année, ce sont en effet plus de 130 millions de litres de Jack Daniel’s qui sont produits à Lynchburg, petite ville du Tennessee où fut inaugurée la distillerie en 1866. Ce qui en fait l’une des plus anciennes du pays toujours en activité aux Etats-Unis, classée aux monuments historiques depuis 1972.

Lors de la visite du site, on s’arrête ainsi devant la source d’eau utilisée pour la distillation. Alimentant un affluent de l’Elk River, celle-ci est la même que celle que Jack Daniel utilisait il y a plus d’un siècle et demi, lorsqu’il lança la marque qui porte toujours son nom…

Né en 1850, en tout cas si l’on en croit sa tombe dans le petit cimetière de Lynchburg (la date est vraisemblablement antérieure), Jasper Newton ” Jack ” Daniel est rapidement orphelin de mère, puis de père. Il est alors recueilli par Dan Call, un pasteur luthérien. C’est auprès de l’esclave de ce dernier, Nearest Green, que le jeune homme aurait appris à distiller. Sur une photo prise lors de l’inauguration de la distillerie en 1866, à la droite de Jack, se trouve sans doute l’un des fils de Green. Signe des positions progressistes du fondateur de la distillerie, un an seulement après l’abolition de l’esclavage.

Jack Daniel et son équipe lors de l'inauguration de la distillerie en 1866.
Jack Daniel et son équipe lors de l’inauguration de la distillerie en 1866.© Photos: PG

Coup de pied fatal

Devant la source de la distillerie, une statue de bronze présente l’image d’Epinal de Jack Daniel. Celui-ci pose fièrement avec sa redingote, son noeud papillon et sa petite barbichette soignée. La mort du grand homme (qui était en fait très petit) est nettement moins grandiose… Celle-ci est l’une des anecdotes dont se régale le guide, lors de la visite de l’ancien bureau du fondateur, où l’on découvre un lourd coffre-fort métallique. L’histoire officielle raconte qu’un matin de 1906, ayant oublié le code du coffre, Jack lui aurait asséné un grand coup de pied. Refusant de se soigner, il contracte la gangrène et doit se faire amputer. Jack mourra d’un empoisonnement sanguin le 9 octobre 1911, sans s’être jamais marié, ni avoir eu d’enfants.

Lynchburg Le souvenir de Jack Daniel hante encore la petite bourgade du Tennessee.
Lynchburg Le souvenir de Jack Daniel hante encore la petite bourgade du Tennessee.© © Todd Rosenberg Photography

Avec 280.000 visiteurs annuels, la distillerie Jack Daniel’s est l’une des attractions touristiques les plus populaires du Tennessee. Datant de 2000, le nouveau visitor center est magnifique, presque trop propret par rapport au reste de la distillerie, beaucoup plus roots. Que ce soit le grand bâtiment centenaire où, sur sept étages, sont entreposés les milliers de tonneaux dans lesquels vieillit le whiskey, ou l’impressionnant rickyard. C’est dans ces installations qu’est fabriqué le charbon de bois d’érable, qui fait la particularité du ” Tennessee whiskey “.

Depuis 1941, l’appellation exige en effet qu’après distillation, l’alcool soit filtré au goutte-à-goutte à travers du charbon. Appelée mellowing, l’opération est très lente – il faut cinq jours à une goutte d’alcool pour s’écouler du haut en bas de la cuve de charbon – mais elle permet d’ôter les impuretés et de conférer au Jack Daniel’s son profil aromatique reconnaissable entre tous.

” Lincoln County Process ”

Remis au goût du jour par Jack Daniel’s, ce procédé s’appelle Lincoln County Process, du nom de l’ancien comté où se situe la distillerie. Cocasse quand on sait qu’au sortir de la Prohibition en 1933, le comté de Moore (qui a englobé Lynchburg en 1871) est resté un dry county. La vente de l’alcool y est en effet formellement interdite. Même si, depuis 2012, la distillerie a obtenu une dérogation pour organiser des dégustations – qui se déroulent depuis peu dans un superbe ancien chais entièrement réaménagé – et vendre, dans sa boutique, des bouteilles de Jack, dont quelques éditions non commercialisées en Belgique.

Plus de 130 millions de litres de Jack Daniel's sont produits chaque année à Lynchburg.
Plus de 130 millions de litres de Jack Daniel’s sont produits chaque année à Lynchburg.© Photos: PG

A quelques centaines de mètres de là, sur la petite place de Lynchburg, le vaste magasin Jack Daniel’s, installé dans l’ancien General Store, ne peut par contre écouler que des produits dérivés : t-shirts, verres, livres, charbon et copeaux de bois pour le barbecue ou même des tonneaux, pour ceux qui ont de la place dans leur jardin.

Propriétaire de Jack Daniel’s depuis 1956, le groupe Brown-Forman possède également quelques bourbons emblématiques du Kentucky, comme le célèbre Maker’s Mark ou le Old Forester, marque historique qui vient d’inaugurer un musée-distillerie en plein coeur de Louisville. Un peu plus à l’est, à Versailles, près de Lexington, le groupe peut également s’enorgueillir de détenir dans son portefeuille la distillerie Woodford Reserve qui, dans un cadre idyllique typique des paysages soignés du Kentucky, fabrique parmi les meilleurs bourbons.

Inaugurée en 1996 dans des bâtiments classés du début du 19e siècle, Woodford Reserve a misé dès le départ sur la qualité, en ne distillant que son propre whiskey, contrairement aux grandes distilleries de l’Etat, comme Buffalo Trace ou Four Roses, qui embouteillent d’autres marques. Ce faisant, la distillerie de Versailles a largement contribué au retour en grâce du bourbon, qui s’est traduit, dans les années 2000, par une explosion de la demande aux Etats-Unis. Mais aussi de l’offre !

Un
Un “visitor center” flambant neuf pour l’attraction la plus populaire du Tennessee.© Photos: PG

Car si l’on produisait autrefois du whiskey essentiellement au Kentucky et au Tennessee, on trouve désormais des micro-distilleries ( craft) partout aux Etats-Unis, de New York à San Francisco, en passant par le Colorado ou la Virginie occidentale. La folie bourbon a également permis au rye (whiskey de seigle), autrefois méprisé, de connaître une seconde jeunesse. Aujourd’hui, tout le monde s’y est mis, y compris Jack Daniel’s, qui propose par exemple un excellent rye single barrel.

Pour pouvoir porter le nom de Tennessee Whiskey, l'eau-de-vie doit être filtrée au goutte-à-goutte à travers du charbon de bois d'érable.
Pour pouvoir porter le nom de Tennessee Whiskey, l’eau-de-vie doit être filtrée au goutte-à-goutte à travers du charbon de bois d’érable.

Et en Belgique ?

Responsable des whiskeys américains à La Maison du Whisky à Paris, le Canadien Jon Lac accompagne ce mouvement américain à travers sa gamme, même si les Français restent d’abord de gros consommateurs de single malt écossais. ” Tous alcools confondus, on compte 1.800 distilleries aux Etats-Unis !, explique-t-il. A Berlin, une distillerie vient d’ailleurs de lancer un whiskey à l’américaine ; on en trouve aussi en Italie, en Finlande, etc. ” Et même en Belgique d’ailleurs, où les distilleries Filliers, Biercée et De Moor se sont essayées (pas toujours avec succès) au rye.

Pour pouvoir porter le nom de Tennessee Whiskey, l'eau-de-vie doit être filtrée au goutte-à-goutte à travers du charbon de bois d'érable.
Pour pouvoir porter le nom de Tennessee Whiskey, l’eau-de-vie doit être filtrée au goutte-à-goutte à travers du charbon de bois d’érable.© © Todd Rosenberg Photography

A la tête de la maison familiale Corman-Collins à Battice, en région liégeoise, Hubert Corman propose, lui aussi, une large sélection de bourbons. Pourtant, il ne constate pas vraiment d’enthousiasme, le whiskey américain ne représentant qu’1% de ses ventes. ” En Belgique, l’évolution du whiskey américain n’est pas très marquée, regrette cet amateur du I.W. Harper et du Basil Hayden, deux Kentucky whiskeys. Le moteur reste Jack Daniel’s, qui tire le marché à lui seul, avec des progressions à deux chiffres. Pour les autres produits, c’est plus compliqué. Et les nouvelles taxes mises en place en juin dernier par l’Union européenne sur les produits américains ne vont pas aider… La gamme s’étoffe mais il n’y a pas véritablement d’attraction. Car ce sont beaucoup de petites structures, souvent familiales, qui n’ont pas les moyens d’envoyer des ambassadeurs en Europe et encore moins en Belgique, où le marché est beaucoup trop petit. “.

Pour pouvoir porter le nom de Tennessee Whiskey, l'eau-de-vie doit être filtrée au goutte-à-goutte à travers du charbon de bois d'érable.
Pour pouvoir porter le nom de Tennessee Whiskey, l’eau-de-vie doit être filtrée au goutte-à-goutte à travers du charbon de bois d’érable.

Responsable des ventes chez The Nectar, distributeur de spiritueux fins fondé en 2006 au Limbourg, Mario Groteklaes est sur la même longueur d’onde que son collègue liégeois. ” Le mouvement craft aux Etats-Unis est très important, avec des distilleries, mais aussi des brasseries innovantes. Mais il est pratiquement inconnu chez nous. Personne n’entre dans un magasin pour acheter un bourbon. Sauf un public de niche, à la recherche de bouteilles rares comme le Sazerac ou l’Antique Collection. ”

La Belgique reste en effet fidèle au whisky écossais, même si elle a adopté les whiskeys japonais et qu’elle redécouvre les vieux whiskeys irlandais. ” En Belgique, à part Jack Daniel’s, le whiskey américain n’existe pas, même Jim Beam, alors que c’est un géant en France et en Allemagne. Pourtant, de grandes marques essaient de faire bouger les choses, que ce soit Diageo avec Bulleit et George Dickel ou Brown-Forman avec Woodford Reserve. ”

Dans les bars

La seule petite tendance se trouve du côté des barmen. A Paris, Jon Lac fait le même constat. Si ses ventes de whiskeys américains ont augmenté de 16-18% ces dernières années, c’est en effet en partie grâce au développement des bars à cocktails. ” La base de beaucoup de cocktails classiques, que ce soit le Old Fashioned, le Manhattan ou le Mint Julep, c’est du bourbon ou du rye… Tandis qu’aujourd’hui, les cavistes, et même les supermarchés, veulent de plus en plus se différencier, en proposant autre chose que du Jack Daniel’s et du Jim Beam. ”

Fan du Pikesville Rye ou du Koval Four Grain (produit par une petite distillerie au nord de Chicago), Jon Lac apprécie la complexité qu’offre le whiskey américain. ” Sa particularité est de jouer sur trois céréales différentes : maïs, seigle et orge. Cela donne des profils très différents. De plus, chaque distillerie possède sa propre levure, voire ses levures, qui changent évidemment le produit final. “

Whisky, whiskey ou bourbon ?

© BELGAIMAGE

Le whisky, eau-de-vie distillée à partir de céréales, porte des noms différents selon les grains (seigle, orge, avoine, maïs, etc.), les régions de production et les méthodes de fabrication utilisées (on parle de scotch en Ecosse, de whiskey en Irlande, et de bourbon, rye ou whiskey aux Etats-Unis, entre autres).

Ensuite, voici quelques définitions liées aux whiskeys américains :

Barrel proof ou cask strenght. Appellation indiquant que le whiskey a été embouteillé directement à sa sortie du fût, sans le couper à l’eau pour réduire son degré d’alcool.

Blended whiskey. Aux Etats-Unis, le blended whiskey doit contenir un minimum de 20% de straight whiskey. S’il contient un minimum de 51% de straight whiskey d’un grain particulier, il peut s’appeler blended bourbon whiskey ou blended rye whiskey. S’il contient moins de 20% de straight whiskey (mais plus de 5%), il doit s’appeler spirit whiskey.

Bourbon. Whiskey produit sur le territoire des Etats-Unis par la distillation d’un moût composé au minimum de 51% de maïs (mélangé à d’autres grains : orge, seigle, blé, etc.). Le bourbon est distillé à maximum 80° d’alcool, mis en fûts à max 62,5 ° et embouteillé à minimum 40°.

Corn whiskey. Alcool produit à partir d’un min de 80% de maïs. Il est embouteillé à minimum 40 °, souvent sans être vieilli en fûts.

Kentucky straight bourbon. Est distillé dans l’Etat du Kentucky, principale région productrice des Etats-Unis. Les marques les plus connues sont Jim Beam, Four Roses, Woodford Reserve, Maker’s Mark, Bulleit, Knob Creek, Evan Williams.

Moonshine . Pendant la Prohibition et même avant, ce breuvage était produit illégalement au clair de lune (d’où son nom) par les Hillbillies des montagnes Appalaches. Autrefois distillé jusqu’à 95 ° d’alcool, à partir d’un moût composé essentiellement de maïs, il est non vieilli et vendu, pur ou aromatisé, dans des bocaux de cuisine, qui rappellent son origine artisanale.

Rye whiskey. Whiskey contenant 51% de seigle minimum. Les marques les plus connues sont le Sazerac, le Rittenhouse et le Old Overholt. Mais, comme Jack Daniel’s, la plupart des distilleries américaines ont désormais lancé leur rye , pour surfer sur son retour en grâce. On appelle encore parfois rye le whiskey canadien, parce qu’il était historiquement produit à base de seigle.

Single barrel ou single cask. Whiskey issu d’un seul fût.

Straight bourbon, rye ou whiskey . Bourbon, rye ou whiskey vieilli au minimum deux ans en fûts de chêne américain neuf brûlés et ne pouvant contenir aucun additif (colorant, arômes, etc.).

Tennessee whiskey. Whiskey produit dans un nombre limité de comtés du Tennessee. Sa particularité est d’utiliser le Lincoln County Process, soit d’être filtré au goutte-à-goutte à travers du charbon de bois d’érable. A côté de Jack Daniel’s, on trouve George Dickel, qui a été racheté par Diageo, mais aussi, depuis 1997, Benjamin Prichard’s.

White dog . Whiskey transparent, tel qu’il sort de la distillation, avant d’être vieilli en fûts. Certaines marques commercialisent désormais leur white dog, qui n’a pas droit à l’appellation bourbon, puisque non vieilli.

7 maîtres distillateurs

se sont succédé, seulement, depuis la création de la distillerie Jack Daniel’s. Le dernier en date, Jeff Arnett, a été nommé à ce poste stratégique en 2008.

Où trouver des whiskeys américains ?

© © Todd Rosenberg Photography

– A Battice, la maison Corman-Collins propose une centaine de références en whiskeys américains.76 rue de Verviers 4651 Battice.

www.corman-collins.be.

– A Bruxelles, le bar à cocktails LIB vient d’ouvrir, toujours rue Dansaert, une boutique-fleuriste qui propose une sélection d’une vingtaine de whiskeys américains.

www.libcocktailbar.com.

Chez Holy Smoke, smokehouse texane authentique située porte de Hal à Bruxelles, on peut déguster ses ribs avec plus de 70 bourbons et ryes différents.

www.holysmokebrussels.com.

– En France, La Maison du Whisky et le distributeur LMDW proposent quasi 200 références de whiskeys américains. Cinq magasins à Paris et boutique en ligne.

www.whisky.fr.

Hubert Heyrendt

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