“Il nous faut une équipe de jeunes entrepreneurs aussi ambitieuse que celle des Diables Rouges”

© Karel Duerinckx

Voilà six ans que Bieke Claes a pris les rênes de BelCham, la Chambre de commerce belgo-américaine. Les jeunes entrepreneurs belges suivent ses conseils à la lettre.

BelCham fêtera son centenaire l’an prochain. L’organisation célébrera cet anniversaire avec faste, sous la houlette de Bieke Claes (36 ans). L’avocate s’est coupée en quatre pour rajeunir et assurer la croissance de l’organisation non lucrative qui semblait moribonde jusqu’à ce que son prédécesseur Olivier Smekens, banquier de la KBC, ne la remette sur les rails. Bieke Claes est arrivée à Miami en 2010 pour faire des recherches dans le cadre de sa dernière année de stage de droit. Pour financer son séjour, elle n’a pas hésité à vendre quelques-uns de ses tableaux. Elle a créé à Miami une division locale de BelCham avant de succéder à Olivier Smekens à New York.

En Belgique, avec 5.000 euros, votre logo est omniprésent. A New York, 5.000 euros ne suffisent pas à acheter une table dans un restaurant.

Ex-championne de karaté dans une vie antérieure, Bieke Claes a développé pour BelCham un large éventail de services à l’attention des entreprises belges et a réorienté BelCham davantage vers les scale-up, ces jeunes entreprises dont le nombre d’employés et le chiffre d’affaires augmentent en moyenne de 20 % par an. Si BelCham peut aujourd’hui se vanter de deux incubateurs pour jeunes entreprises, c’est également grâce à Bieke. Le premier Atelier a ouvert ses portes à New York en 2004, le deuxième a été inauguré à San Francisco il y a deux ans. BelCham organise en outre chaque année plus d’une centaine d’événements de réseautage pour les entreprises belges aux Etats-Unis, ainsi qu’un gala annuel lors duquel est décerné le prestigieux prix de l’entreprise belgo-américaine de l’année.

TRENDS-TENDANCES. Comment êtes-vous arrivée à BelCham ?

BIEKE CLAES. A Miami, j’organisais des événements pour les résidents belges, puis néerlandais et luxembourgeois également. Du pur bénévolat. J’ai contacté BelCham à New York pour suggérer la création d’une division à Miami. La Chambre était alors une organisation de bénévoles principalement. J’ai obtenu l’autorisation d’utiliser le logo mais la Chambre n’avait pas les moyens de me payer. Il se trouve qu’à ce moment-là, le conseil d’administration de BelCham cherchait une personne capable de professionnaliser l’organisation, sans quoi elle préférait jeter l’éponge vu les nombreuses organisations représentatives de la Belgique et de ses régions : FIT (Flanders Investment & Trade), Awex, Brussels Trade, les agences de tourisme wallonne, flamande et bruxelloise, l’ambassade, Flanders House. J’ai saisi la balle au bond.

Profil

– Née à Rotselaar, le 19 juin 1982

– Mariée à Pieter Mees, fondateur et CTO de la société de technologie Zentrick

– Études de droit à la KU Leuven, MBA Babson College (Massachusetts)

– 2011 : fonde la division de BelCham à Miami

– Depuis 2014 : “managing director” de BelCham

– 2014 : fonde l’Atelier NY, cofonde la plateforme commerciale pour les femmes Dreamers//Doers

– 2016 : cofonde l’Atelier à San Francisco

Comment les choses ont-elles évolué ?

Il ne se passait pas grand-chose quand j’ai débuté. Nous offrions deux services, nous nous occupions d’un nombre limité de visas, organisions une dizaine de petits événements par an et comptions 80 membres. Insuffisant pour bénéficier d’un certain prestige et inciter les entreprises à adhérer. C’était une belle boîte vide. Aujourd’hui, nous organisons 10 fois plus d’événements, traitons 200 à 250 demandes de visa et dénombrons plus de 500 membres. Nous offrons un large éventail de services comme la validation du plan de développement commercial. Quand une entreprise s’adresse à nous, nous exigeons un executive summary et la présentation des objectifs stratégiques et des problèmes rencontrés. Nous mettons sur pied une équipe de 6 à 10 membres. Et cela marche. Aux Etats-Unis, l’esprit du partage est une réalité. Si nous contactons un CEO ou un investisseur pour lui demander d’aider une entreprise un soir, il prendra le temps de le faire. Nous nous mettons autour de la table pendant trois heures et cela donne des résultats fantastiques.

Collaborez-vous avec les autres entités belges à New York ?

Nous poursuivons les mêmes objectifs mais nous sommes complémentaires. Elles cherchent à attirer les entreprises américaines en Belgique, s’occupent de relations diplomatiques, de tourisme et de culture. Ce n’est pas notre tasse de thé. Ceci dit, nous nous entraidons, même si la dynamique et les moyens ne sont pas toujours comparables. Nous sommes une organisation non lucrative de huit employés et deux stagiaires, gérée comme une start-up.

Comment BelCham se finance-t-elle ?

Avant, la cotisation des membres constituait la principale source de revenus, aujourd’hui elle est la moins importante. Notre programme de visa J1 qui délivre des visas aux stagiaires leur permettant de travailler 18 mois maximum aux Etats-Unis rapporte plus. Autrefois, nous offrions ce service exclusivement aux Belges, jusqu’au jour où nous nous sommes rendu compte que ces visas pouvaient générer pas mal de rentrées. A l’heure actuelle, nous traitons aussi des demandes de visa de Coréens et d’Espagnols par exemple. L’argent qu’ils paient pour ce service est réinjecté dans les services aux Belges. Quelque 34 % de l’ensemble des visas délivrés par nos soins sont destinés à des étudiants ou à de jeunes professionnels belges. La troisième source de revenus est la collecte de fonds liés à des projets. C’est ainsi qu’est né l’Atelier, un lieu de coworking pour jeunes entrepreneurs belges, grâce au support de neuf partenaires fondateurs et neuf partenaires de soutien.

D’où vous est venue cette idée ?

© KAREL DUERINCKX

J’ai interrogé les entrepreneurs. Un des gros problèmes rencontrés est de trouver des bureaux à des prix abordables. Pour pouvoir louer aux Etats-Unis, il faut un numéro de sécurité sociale, voire un credit score (une cote de crédit, reflétant votre capacité à rembourser un prêt, Ndlr), même pour acheter un téléphone. Les entreprises sont souvent obligées de signer directement un bail de cinq, six voire sept ans. Un système assez bizarre.

Prenez l’exemple de Showpad (spécialisée en logiciels pour entreprises, Ndlr) qui croît tellement vite qu’elle emménage chaque année dans des bureaux plus spacieux. L’entreprise ne veut pas être bloquée par un bail de x années. Pas plus que les autres entreprises qui ignorent si leur rêve américain va se concrétiser ou non. J’ai expliqué aux partenaires fondateurs qu’il est impossible pour les entrepreneurs de percer sur le marché américain s’ils sont obligés de faire constamment la navette. Ils doivent être sur place pour trouver des investisseurs et des clients, et ont donc besoin d’un lieu de travail physique.

J’ai aussi expliqué qu’il me fallait environ un million de dollars pour tenir les trois premières années, après quoi le projet serait autofinancé. Verlinvest (la holding d’investissement des familles belges AB InBev, Ndlr) a été la première à répondre positivement. Nous avons aussi reçu de l’aide de Telenet, Capco et Fortino qui ont mis 150.000 dollars à notre disposition, soit 50.000 par an.

Au bout de 19 mois, l’Atelier avait tellement de succès que je disposais de fonds excédentaires. J’ai recontacté les partenaires pour leur faire part de mon souhait d’investir cet argent dans un deuxième Atelier à San Francisco et j’ai sollicité un an de financement supplémentaire. Les neuf partenaires fondateurs ont une fois de plus appuyé mon initiative et les partenaires de soutien ont tous mis 25.000 dollars sur la table, en liquide ou en nature. Tout ce qu’il y a dans l’Atelier vient des partenaires. Le tapis a été offert par Desso, la peinture par Dankers Decor, le bar par AB InBev, les meubles par Bulo.

Comment avez-vous fait pour convaincre vos partenaires ?

C’est avant tout une question de chance et de timing. En 2012, l’entrepreneuriat commençait à être hot & trendy. Bon nombre de ces grosses entreprises avaient dégagé un budget pour oeuvrer dans l’entrepreneuriat, au moment où j’ai présenté mon projet d’Atelier.

Voilà six ans que vous travaillez pour BelCham. Combien d’entreprises sont passées par là depuis lors ?

Plus de 100 par l’Atelier, environ 500 par BelCham. Pour rappel : BelCham ne soutient pas les start-up mais les scale-up. Il faut un proof of concept. Les sociétés doivent avoir des clients en Belgique ou en Europe et être financièrement saines. La plupart disposent déjà d’un capital d’amorçage, ont accompli un premier tour de financement et envisagent un second tour aux Etats-Unis.

Lors du premier entretien avec un candidat, on se dit : ‘my god, j’ai tiré le gros lot’. Les Américains n’ont pas leur pareil pour se vendre.

Comment qualifieriez-vous les performances de nos scale-up ?

Deux seulement ont fait faillite, 4D Dynamics et NeoScores. Ce n’est pas facile. Beaucoup commettent l’erreur de projeter leur première vente au bout de six mois mais il leur faut généralement patienter neuf à 12 mois, voire plus.

Quel conseil donneriez-vous aux entreprises ?

Certaines erreurs sont récurrentes. Ainsi par exemple, le budget HR & marketing est toujours sous-estimé. Les coûts HR sont ridicules en Belgique comparé à San Francisco et New York. Quand une société sponsorise un événement à concurrence de 5.000 euros en Belgique, son logo s’affiche un peu partout. Mais à New York, 5.000 euros ne suffisent pas à acheter une table dans un restaurant.

D’autres erreurs sont tout aussi fréquentes. La prudence est de mise dans le domaine des HR. Les employés sont nettement moins fidèles. Si un collaborateur peut gagner 200 dollars de plus dans l’entreprise d’à côté, il n’hésitera pas une seconde. Mais, par contre, le patron peut vous licencier du jour au lendemain sans se justifier. Les Belges se laissent trop facilement impressionner par le titre et le discours de leur interlocuteur. Lors du premier entretien avec un candidat, on se dit : ‘ my god, j’ai tiré le gros lot’ ( rires). Les Américains n’ont pas leur pareil pour se vendre. Aux Etats-Unis, madame pipi se fait appeler hygiene manager. Les Américains vont négocier bec et ongles pour un titre plus ronflant pour leur job. Et si vous accédez à leur demande, attention car un mois plus tard, ils ont scruté le site glassdoor.com qui répertorie les salaires et exigent d’aligner le salaire au titre.

L’activité professionnelle est réglementée jusque dans les moindres détails. Ainsi par exemple, aux Etats-Unis, pas question d’avoir des contacts physiques sur le lieu de travail et certains n’hésitent pas à exploiter ce filon. Vous pouvez vous retrouver avec un procès sur les bras sans avoir fait quoi que ce soit d’incorrect. Si un homme et une femme se trouvent dans la même pièce pour une réunion, la porte doit rester ouverte. Les entrepreneurs belges font parfois preuve d’une naïveté confondante. Quand vous consultez un docteur ou un banquier en Belgique, vous pouvez lui faire confiance dans 95 à 98 % des cas. Un médecin ne vous conseillera pas une opération du genou qui n’est pas absolument indispensable. Il en va tout autrement aux Etats-Unis. Les soins de santé sont un business comme un autre. Tout est business ici. Nous conseillons toujours de soigner tout particulièrement les contrats de travail. Nous avons connu le cas d’un employé qui a réussi à se faire indemniser pour une coupure au doigt due à une page de magazine. Mieux vaut donc prévoir une bonne couverture juridique.

© KAREL DUERINCKX

Nos entreprises débarquent-elles aux Etats-Unis trop tard ?

Elles passent souvent à côté de l’avantage de first mover tellement elles sont concentrées sur leur produit plutôt que sur la vente. Les entreprises américaines commencent généralement par vendre un produit qui n’existe pas encore. Elles bluffent, signent un contrat et engagent ensuite une vingtaine d’ingénieurs pour créer leur produit qui n’a généralement pas la qualité de ceux proposés par nos entreprises. Mais dès que nos entreprises percent sur le marché américain, le succès est au rendez-vous car leurs prix sont très raisonnables, voire beaucoup trop bas. Elles devraient mieux comparer les prix avant de venir Outre-Atlantique. Leurs offres de prix sont souvent très modestes, ce qui fait douter les Américains quant à la qualité.

Quels sont vos projets ?

Nous avons de grands projets en perspective mais je ne peux pas vous en dire plus pour le moment. Un projet plus modeste consiste à réunir une équipe de jeunes entrepreneurs aussi ambitieux que les Diables Rouges. Vu l’engouement suscité par la Coupe du Monde de football, je me dis qu’on pourrait faire pareil avec les entrepreneurs. Nous pourrions afficher des posters dans toutes les écoles de Belgique pour faire connaître notre projet. Les entrepreneurs pourraient raconter leur parcours sur des blogs d’étudiants par exemple. Ils pourraient donner des conférences à gauche et droite qui seraient diffusées en live streaming dans toutes les écoles. Ce sont des entrepreneurs de top niveau, de 25 à 35 ans, une catégorie d’âge encore connectée au monde des étudiants. Ce projet a pour but d’inspirer les jeunes.

Rentabiliser ses études

“Un jour, pendant mes études aux Etats-Unis, un professeur est arrivé avec un quart d’heure de retard. J’ai proposé d’aller boire un verre. Mais mes condisciples américains ont exigé que le professeur prolonge son cours d’un quart d’heure car ils estimaient avoir payé pour. Je ne plaide pas pour que les frais d’inscription à l’université soient plus élevés en Belgique mais les étudiants devraient être davantage conscients du cadeau qu’on leur fait. Les candidats au MBA raisonnent en ces termes : le professeur doit m’apprendre quelque chose pour rentabiliser les 120.000 dollars payés pour deux ans d’études. Si le MBA ne leur permet pas d’obtenir un meilleur job et un meilleur salaire, l’investissement n’en vaut pas la peine.”

L’effet Trump

“J’ai récemment assisté à une réception en présence de commissaires au commerce et d’ambassadeurs. Ils étaient unanimes : le commerce ne s’était plus aussi bien porté depuis longtemps. Trump a diminué les taxes, d’où un vent d’optimisme général chez les hommes d’affaires. Ils sont beaucoup plus nombreux à avoir voté pour Trump qu’on ne le pense, y compris des membres de notre communauté. Pour ce qui est des visas, rien n’a changé mais la loi est désormais appliquée à la lettre. Auparavant, les autorités délivraient un visa d’investisseur de trois ou cinq ans. Aujourd’hui, d’un an seulement, après quoi le cas est réexaminé. Il faut donc se montrer plus créatif ( sourire). Et pour obtenir une évaluation positive, il faut embaucher. Des Américains, bien entendu. Et avoir des clients évidemment.”

Le hamac belge

“Le système de sécurité sociale belge est devenu un hamac. Les gens s’y vautrent et finissent par se démotiver. Les Américains fonctionnent davantage en mode survie. Ils ont en moyenne 10 jours de congés payés mais 23 % n’en ont pas un seul, pas même à Noël. Quant aux congés maladie, huit jours maximum sont payés. Alors qu’en Belgique, le travailleur peut bénéficier d’un mois de congé maladie et toucher son salaire complet payé par l’employeur.”

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