“Il faut renouer avec le protectionnisme européen”

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Le “made in France” est particulièrement en vogue à quelques semaines de l’élection présidentielle outre-Quiévrain. Pour Adrien de Tricornot co-auteur d'”Inévitable protectionnisme”, c’est à la fois insuffisant et contre-productif pour réindustrialiser le pays. Interview.

Le “made in France” est particulièrement en vogue en cette période pré-électorale. Tous les candidats ou presque en ont fait un axe stratégique de leur programme. Pourquoi ?

Au contact de l’opinion et de leurs électeurs, les candidats comprennent les inquiétudes que provoque la désindustrialisation. Ils sont donc obligés d’y apporter des réponses, plus ou moins satisfaisantes d’ailleurs. Mais derrière cette réaction un brin démagogique, les candidats sont surtout en train de prendre conscience que le déficit commercial est la cause du déficit budgétaire, et non l’inverse. En clair, que nos problèmes ne sont pas liés à l’excès de dépenses publiques mais à la désindustrialisation croissante de la France. Ceci est plutôt rassurant puisque le diagnostic est le bon. Malheureusement les réponses qui y sont apportées ne sont pas à la hauteur.

Pourquoi? Favoriser la production française n’est pas un bon point de départ ?

C’est à la fois superficiel, et contre-productif. Superficiel, parce que cela ne répond pas à la problématique de départ : ce n’est pas avec un label tricolore ou une rente au produit français que l’on va arriver à réindustrialiser la France. Contre-productif voire dangereux, parce que cela nous conduit à nous renfermer sur nous-mêmes alors que nous sommes partie intégrante d’un ensemble qui s’appelle l’Union européenne. Notre priorité doit être de faire converger nos modèles plutôt que de les opposer entre eux. Or donner l’avantage aux produits franco-français obligerait in fine à remettre des frontières entre nous et nos voisins européens. Autant dire que l’on perdrait 50 ans de progrès et de construction européenne.

La TVA sociale de Nicolas Sarkozy vous paraît-elle plus à même de répondre à la question de la désindustrialisation de la France ?

Un droit de douane intelligent aux frontières européennes me semble une réponse plus appropriée, quoique plus difficile à mettre en oeuvre. Quoi qu’il en soit, instaurer une TVA sociale en cette période de chômage et de croissance faible semble particulièrement dangereux. Taxer la consommation conduira à une compression immédiate de la demande, ce qui n’est évidemment pas souhaitable. A l’inverse, le succès du dispositif en matière de coût du travail est loin d’être évident. Pour que la mesure soit la plus efficace possible, il faudrait en effet une assiette large et une forte hausse de la TVA, soit l’inverse de ce que propose le gouvernement. C’est pourquoi, il semblerait plus judicieux de privilégier d’autres pistes pour compenser la baisse du coût des charges comme l’augmentation de la CSG par exemple, ou encore la taxe sur les transactions financières.

L’Allemagne l’a mise en place avec succès…

Il est temps d’arrêter avec le mythe du modèle allemand. La compétitivité allemande n’est pas due au coût du travail, mais à sa forte spécialisation dans l’industrie lourde. En effet, le pays a su se tourner vers l’industrie haut de gamme et profite maintenant des inégalités de croissance dans le monde, en construisant les machines des usines chinoises. Par ailleurs, la démographie allemande est très différente de sa voisine française, ce qui lui confère pour le moment un avantage comparatif. Quoi qu’il en soit il me semble que la comparaison n’est pas pertinente entre les deux pays. De manière plus générale d’ailleurs, l’instrumentalisation des modèles étrangers, fréquente en politique, conduit le plus souvent à un appauvrissement du débat économique. Souvenez-vous quand dans les années 2000, l’Allemagne mettait l’Irlande et la Grande Bretagne sur un piédestal…

Dans votre ouvrage “Inévitable protectionnisme”, vous estimez que la seule réponse à notre problème de compétitivité est le protectionnisme, pourquoi ?

Depuis des années, l’emploi et la valeur ajoutée de la production manufacturière française, européenne et américaine sont en chute libre. Pendant longtemps, la croissance du système financier a permis de cacher cette réalité. Le recours à l’endettement public et privé permettait en effet de soutenir la croissance. Mais la crise de 2007 a fait tomber les masques : après l’explosion de la bulle financière, il est devenu impossible de renouer avec la croissance. D’une manière ou d’une il faut donc retrouver les chemins de la production.

Comment ?

La grande idéologie du libre échange, toujours largement dominante, nous a bercés dans l’illusion que la concurrence mondiale pouvait être pure et parfaite, et qu’elle conduirait à un abaissement des prix pour les populations, et à un enrichissement des pays les plus pauvres. En réalité, ceci n’est jamais arrivé, et surtout très vite, de nouvelles formes de protectionnisme (déloyales) sont apparues. C’est par exemple le cas de la monnaie chinoise, aujourd’hui très largement sous-évaluée, et face à laquelle il est impossible de rivaliser! C’est aussi le cas de la fiscalité qui permet à certains pays d’attirer la richesse des autres. Face à ce terrible constat deux possibilités : soit on attend notre faillite les bras croisés, soit on réagit par des mesures de protection fortes, mais transparentes et loyales.

Concrètement, quelles sont les mesures que vous proposez ?

Nous proposons de mettre en place des barrières douanières aux frontières de l’Europe et plus généralement de régionaliser le commerce dans des ensembles cohérents. L’idée est d’augmenter le prix des importations en provenance des pays qui ne respectent pas un certain nombre de normes fiscales, sociales en environnementales. Au niveau social par exemple, on peut imaginer un système où l’on taxerait le produit si la hausse des salaires ne suit pas la hausse de la productivité. Ainsi, si l’écart entre la hausse de salaire de l’ouvrier textile chinois et le gain moyen de productivité de l’entreprise est de 15%, on taxe à 15% le produit tant que l’écart ne se réduit pas. Pour ne pas payer de droits de douane, l’entreprise a alors intérêt à augmenter les salaires. Ceci est transposable au niveau environnemental : tout produit dont la fabrication n’a pas respecté les critères du protocole de Kyoto par exemple pourrait être taxé. Pour être parfaitement concret, nous avons tenté de faire le calcul, en intégrant aussi le dumping monétaire : à son arrivée en Europe, un textile chinois serait taxé à hauteur d’au moins 50%.

L’Europe vous semble prête ?

Ce sera long et compliqué, mais pas impossible. L’Allemagne surtout défend ses intérêts bec et ongles, mais a bien conscience qu’elle a éminemment besoin de la zone euro, principale destination de ses exportations. Par ailleurs, dans les traités européens, les droits de douane relèvent de décisions à la majorité qualifiée, ce qui offre une latitude plus importante. Toutefois nous avons bien conscience que ce type de mesures ne seront mises en place en un claquement de doigt. Il est seulement temps d’y réfléchir, au risque que seuls les extrêmes politiques ne s’emparent de la question et la détournent.

Ne risque-t-on pas de se mettre à dos tous nos partenaires commerciaux ?

Aujourd’hui personne ne peut se passer de l’Europe comme partenaire commercial, ni les Etats-Unis ni la Chine, qui n’ont d’ailleurs pas les mêmes réticences que nous à recourir au protectionnisme. Par ailleurs, il me semble que pour certains de nos partenaires, notre manque de réaction est presque analysé comme un signe de faiblesse et de décadence de l’Occident. C’est pourquoi ils ne seront pas surpris d’assister au réveil de l’Europe ! Quand Barack Obama a augmenté les droits de douanes sur les pneus chinois, cela a affecté les relations entre les deux pays pendant un temps, et puis les échanges sont repartis de plus belle, comme les droits de douanes d’ailleurs ! C’est pourquoi il est temps d’arrêter de stigmatiser a priori tout protectionnisme, qui n’est ni assimilable en tant que tel à la guerre ou à la fermeture des frontières comme voudraient nous le faire croire les chantres du libéralisme…

Propos recueillis par Julie de la Brosse, L’Expansion.com

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