“Il faut adapter l’enseignement aux besoins des entreprises”

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A un mois d’intervalle, HEC Liège a changé deux visages importants de sa direction. Wilfried Niessen a été nommé directeur général en remplacement d’Adrian Hopgood et Bernard Delvaux, le CEO du groupe Sonaca, est arrivé à la tête du conseil de gouvernance. Rencontre avec deux dirigeants qui ne manquent pas d’ambition pour leur école.

Dans le monde francophone des écoles de commerce, il n’est sans doute pas très aisé d’exister à côté de noms aussi connus que Solvay (ULB) ou l’IAG (UCL). Pourtant, avec plus de 2.600 étudiants en bacheliers et en masters, et plus de 100.000 heures d’éducation continue, HEC Liège fait preuve d’un beau dynamisme : création de nouveaux masters pour bien coller à la réalité du monde l’entreprise d’aujourd’hui, Smart City Institute, VentureLab qui favorise la création d’entreprises par les étudiants et les jeunes diplômés, réseau d’entreprises très développé, etc. Nous avons rencontré Wilfried Niessen, le nouveau directeur général d’HEC Liège, et Bernard Delvaux, le nouveau président du conseil de gouvernance.

WILFRIED NIESSEN. Je suis professeur dans l’école depuis longtemps et j’ai déjà occupé ce poste lors d’un intérim de 14 mois avant la nomination d’Adrian Hopgood. Je connais donc bien la maison. Mais l’expérience du passé est une chose, la curiosité de l’avenir en est une autre. Nous sommes dans une période avec de nombreux challenges dans un monde qui change très vite. Je vois trois défis principaux à ma tâche : le numérique, la position internationale de l’école qu’il faut renforcer et, enfin, avoir les moyens financiers pour réaliser nos ambitions.

BERNARD DELVAUX. Je suis Liégeois. Sérésien d’origine, j’ai toujours habité par ici. J’ai un diplôme d’ingénieur d’ULiège et j’ai d’ailleurs suivi une formation en économie et gestion dans l’école qui allait devenir HEC Liège. J’en suis donc un alumni ! J’interviens aussi dans certaines formations. HEC Liège entre dans une belle période. Elle s’internationalise et le numérique est un fameux défi. Il ne faut pas oublier que les entreprises contribuent au financement de l’école. Il est donc crucial, à mes yeux, que les besoins des unes soient alignés avec les capacités de l’autre. Je joue ce rôle-là avec mes deux vice-présidents.

Wilfried Niessen, directeur général d'HEC Liège:
Wilfried Niessen, directeur général d’HEC Liège: “Je vois trois défis principaux à ma tâche : le numérique, la position internationale de l’école qu’il faut renforcer et, enfin, avoir les moyens financiers pour réaliser nos ambitions.” © Christophe Toffolo/Belgaimage

Justement, à quel niveau se situe l’apport des entreprises par rapport aux autres écoles francophones ?

W.N. Il est plus important chez nous. Il y a l’aspect financier puisque leur soutien correspond à environ 45 % de notre budget. Cette importance se marque aussi dans le réseau développé et la présence des entreprises dans le conseil de gouvernance. C’est plutôt rare dans le monde universitaire.

B.D. L’orientation “entreprises” est très forte ici. HEC Liège a fait évoluer fortement son mode d’enseignement dans ce sens-là. Et plus que les autres. Nous sommes plus dans un mode anglo-saxon avec, notamment, le recours aux case studies. C’est dans ce cadre-là que les sociétés ont leur rôle à jouer.

W.N. Nous fûmes aussi les premiers à organiser une formation droit-gestion. En master, nos étudiants prennent une spécialisation droit. Ceux de la faculté de droit une spécialisation en gestion. Après une année complémentaire très difficile, ils sortent avec un double diplôme. Ce sont des profils très recherchés que les entreprises s’arrachent. Nous venons de faire de même avec nos ingénieurs de gestion, les ingénieurs industriels et les informaticiens d’ULiège. Mais nous ne serons plus les seuls l’an prochain. Nous sommes copiés, ce qui prouve que nous avions fait le bon choix.

Les entreprises se plaignent fréquemment qu’elles ne trouvent pas les profils qu’elles recherchent. D’ailleurs, de nombreux emplois ne trouvent pas preneurs en Belgique. Adapter l’enseignement est-ce votre réponse à leurs besoins ?

B.D. Il y a ici une volonté de voir nos étudiants sortir avec des compétences pointues. Des profils qui correspondent aux besoins et nous avons développé, depuis quelques années, des filières en ce sens. Par exemple, nous avons lancé un master en digital marketing. Il y a un énorme besoin dans ce genre de profils, notamment au niveau des PME. Nous faisons preuve d’agilité en créant cela. Oui, il faut adapter l’enseignement aux besoins des entreprises. J’insiste sur la notion de profil. Les sociétés recherchent des gens capables de continuer à apprendre, de s’adapter à leur environnement, d’avoir un impact sur cet environnement. Finalement, ce n’est pas si grave s’il manque une matière technique. L’ouverture sur le monde, l’adaptation à des cultures différentes, ce sont des compétences inestimables. Et nos programmes à l’étranger servent à cela. Quand je vois nos diplômés aujourd’hui, je me dis que notre école offre quand même de beaux débouchés.

Nous sommes copiés, ce qui prouve que nous avions fait le bon choix.”

W.N. Nous avons adapté notre enseignement aux changements importants vécus par le monde de l’entreprise ces dernières années. Le contenu, certes, mais aussi la technologie de l’enseignement. Il y a beaucoup de pédagogie inversée chez nous et beaucoup moins d’ex cathedra. Les étudiants se préparent au cours avec tout ce que nous leur mettons à disposition via une plateforme ad hoc : moocs (massive open online courses, Ndlr), spocs (small private online courses, Ndlr), bibliothèque de contenus, etc. Le professeur répond aux questions, puis passe aux case studies et autres éléments pratiques. Nous avons même construit un studio ici et on pourrait imaginer avoir bientôt des auditoires virtuels.

Avez-vous de nombreux programmes d’échange avec l’étranger ?

W.N. Quatre-vingts pour cent de nos étudiants ont une expérience internationale de type Erasmus. Nous envoyons aussi des élèves dans le cadre d’échanges : au Québec, à l’université Sapienza de Rome, en Allemagne, en Espagne, etc. En tout, nous offrons 24 doubles diplômes. Cinquante étudiants sont dans cette voie très exigeante cette année. Mais quelle fierté lorsque nous les proclamons !

Bernard Delvaux parlait de profils et de compétences. On est au-delà d’un enseignement classique, notamment avec vos ateliers de compétence.

W.N. Cette notion de profil est très importante. A côté des matières à maîtriser, nous essayons de former l’étudiant au savoir-être, au leadership, à la communication de crise, aux médias, à tout ce qu’on appelle les soft skills. Et nous encourageons aussi tout ce qui se fait hors cursus. Je compare cela à un permis à points mais dans ce cas-ci, il faut les gagner ces points. Les étudiants doivent les accumuler et, à la fin, nous validons les compétences acquises et nous les certifions avec le diplôme.

Finalement, pourquoi venir ici plutôt qu’à Solvay ou à l’IAG ?

W.N. Pour les programmes transversaux dont je viens de vous parler, pour la connexion, unique et forte, avec les entreprises et pour l’environnement international. Nos masters se donnent en anglais. Et 35 % de nos étudiants sont étrangers. Nous avons même des cours en chinois…

B.D. La situation de l’école aux confins de trois frontières accentue cet aspect international et cela mérite d’être encore plus développé.

En examinant vos différents programmes, j’ai découvert l’existence d’un mentoring des femmes…

W.N. Les garçons nous le demandent aussi maintenant. Ils sont jaloux ! Nous avons créé ce programme et l’histoire récente démontre que nous avons eu raison. Il est basé sur notre réseau très fort d’alumnis. Ils parrainent des étudiantes et les guident. Je précise que le mentor n’est pas exclusivement féminin. D’une manière générale, nous essayons de mélanger très rapidement nos jeunes diplômés aux plus anciens pour qu’il y ait un vrai partage d’expérience.

Bernard Delvaux, président du conseil de gouvernance d'HEC Liège:
Bernard Delvaux, président du conseil de gouvernance d’HEC Liège: “L’orientation entreprises est très forte ici. HEC Liège a fait évoluer fortement son mode d’enseignement dans ce sens-là.”© Christophe Toffolo/Belgaimage

B.D. Ce partage d’expérience, on le vit aussi à travers d’HEC Entrepreneurs. Pour la mission bras droit, chaque participant doit trouver un mentor qu’il suit pendant huit semaines. Nous restons souvent en contact après, c’est très chouette.

Parlez-nous de cette année complémentaire HEC Entrepreneurs…

W.N. C’est aussi un concept unique. Nous l’avons créé il y a une dizaine d’années sur le modèle d’HEC Paris. Cette année complémentaire est destinée à tous les diplômés universitaires ou de l’enseignement supérieur de type long ou équivalent. Elle pousse les étudiants vers l’entrepreneuriat et l’intrapreneuriat. Après une courte période de cours, les étudiants ont des missions pratiques à remplir et, à la fin de chacune, ils doivent défendre leur travail devant un jury.

B.D. J’ai été mentor à plusieurs reprises. Notamment quand j’évoluais encore à la Poste. En pleines négociations très difficiles sur Géoroute, j’ai eu un étudiant à côté de moi pendant huit semaines. C’est très formatif car les personnes qui choisissent une telle année aiment l’opérationnel, la com’, l’action, etc. Ils agissent un peu comme un sounding board gratuit puisqu’ils vous posent des questions, après coup, sur ce que vous avez dit ou fait et donnent leur avis. D’une manière générale, ils ne voyaient pas le management sous cet oeil-là. Ils s’imaginaient quelque chose de plus analytique et se retrouvent face à beaucoup d’utilisation de soft skills, de la conviction, de l’explication et parfois aussi de l’autorité.

HEC Liège est aussi reconnu pour son Smart City Institute qui prône le développement économique durable ou le VentureLab…

W.N. Avec le VentureLab, nous avons été les premiers à formaliser un tel incubateur de start-up. Notamment au niveau du statut étudiant-entrepreneur. Il faut préciser qu’il est ouvert à tout l’écosystème d’ULiège. Le Smart City Institute est devenu une vraie référence en la matière et il est reconnu comme tel par la Région wallonne. Tout le mérite en revient au Docteur Nathalie Crutzen et à son équipe de chercheurs. Et aussi aux entreprises qui les soutiennent.

Votre école est aussi très active dans l’éducation exécutive et se veut à la pointe de l’actualité avec notamment des formations aux nouvelles méthodes de travail (NWOW) ou au bonheur au travail.

W.N. D’abord, je voudrais préciser que 500 personnes suivent nos formations en horaire décalé. Elles sont certifiantes comme celles données en journée. C’est terrible car notre école est noire de monde jusqu’à 22 h en semaine et le samedi toute la journée… L’éducation exécutive, ce sont plus de 100.000 heures de formation par an. Soit elle est ouverte et les professionnels viennent suivre nos séminaires et formations organisés avec l’aide de nos centres de recherche. C’est le cas de ceux que vous avez cités. Soit nous réalisons des programmes sur mesure pour les entreprises. Et nous pouvons nous associer avec une école néerlandophone comme l’UAntwerpen pour que la formation soit bilingue. L’apprentissage tout au long de la vie, nous le pratiquons depuis longtemps.

Une des missions d’HEC Liège est d’être un acteur-clé pour le développement socio-économique de sa région. C’est une fierté ?

W.N. C’est un objectif, oui ! Mais une école comme la nôtre a aussi besoin de reconnaissance internationale au niveau des publications scientifiques.

B.D. HEC Liège doit être un acteur du développement wallon, c’est une certitude. La recherche en est un aspect, comme le lien fort avec les entreprises.

W.N. Nous sommes la seule école qui réalise un school impact survey. Soit l’effet que nous avons sur notre ville, notre région, etc.

B.D. Cet impact régional ne doit pas nous empêcher de nous distinguer. Nous essayons de trouver un domaine où nous serions les meilleurs du monde. Qui ferait qu’il faut venir chez nous pour cela et nulle part ailleurs. L’enjeu ? Inspirer l’école pour le futur…

Par Xavier Beghin.

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