Grégoire Dallemagne (Luminus) sur la sortie du nucléaire en 2025: “Le timing est très tendu”

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Bastien Pechon Journaliste

La sortie du nucléaire en 2025 devrait être un des dossiers chauds des négociations pour la formation du prochain gouvernement fédéral. Avec en ligne de mire : la construction de nouvelles capacités de production. Un timing très serré nous confie Grégoire Dallemagne, patron de Luminus.

Un point de vue à 360 degrés. En passant la tête par la trappe qui accède au toit, nous apercevons plusieurs éoliennes tournant à rythme continu sous l’effet du vent. A quelques pas de là, camions et voitures filent à toute allure sur la E40 en direction de Liège ou de Bruxelles. Nous sommes au coeur d’un des parcs éoliens d’EDF Luminus. Nous devrions plutôt écrire : ” Luminus “, la filiale belge du géant français vient en effet de raccourcir son nom. Seule référence désormais à sa maison mère : la turbine orange dans son logo.

Treize éoliennes tournent actuellement sur les territoires de Villers-le-Bouillet, Verlaine et Wanze. Le groupe compte en installer 13 de plus d’ici la fin de l’année, permettant ainsi à ce parc de fournir l’équivalent de la consommation annuelle de 30.450 ménages.

Soudain, en poursuivant du regard la ligne d’horizon, de longues pales cachent la suite du panorama. Arrêtées le temps de la visite, elles sont pratiquement immobiles. En retournant dans la cabine logée à 94 mètres de hauteur, nous distinguons mieux l’énorme rotor sur lequel sont fixés ces trois pales. Poussé par le vent, il transmet cette rotation à un multiplicateur, une sorte d’énorme boîte de vitesses, qui va multiplier ce mouvement. De 12 tours par minute, par exemple, il est ainsi possible d’atteindre 120 tours par minute. Cette rotation va ensuite être utilisée au coeur de l’alternateur pour créer de l’électricité. Lorsque le vent souffle fort, cette éolienne est capable d’atteindre 2,5 MW de puissance. Assurés par un harnais, nous descendons d’un étage à l’aide d’une échelle, entrons dans le monte-charge, et rejoignons le plancher des vaches. Grégoire Dallemagne nous attend.

Et le CEO de Luminus a le sourire. Le vent souffle de manière constante, il y a du soleil, une bonne journée pour le producteur d’électricité. Avant de grimper au-dessus du moulin, nous avons eu l’occasion de faire le point sur la stratégie du groupe, à l’approche, notamment des élections, et d’une possible réorganisation de sa maison-mère EDF, en France.

Grégoire Dallemagne (Luminus) sur la sortie du nucléaire en 2025:
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TRENDS-TENDANCES. Depuis quelques années, vous avez orienté votre stratégie vers les services énergétiques et le renouvelable. En 2017, vous parliez de doubler votre parc éolien pour atteindre une capacité installée de 600 MW à l’horizon 2023. Où en êtes-vous aujourd’hui ?

GRÉGOIRE DALLEMAGNE. Nous avons commencé à accélérer notre développement éolien en 2012. Nous avons plus que triplé notre parc pour atteindre 376 MW fin 2017. Nous allons accélérer ce développement. Nous espérons doubler cette capacité et passer à 720 MW en 2022. Avec la mise en service attendue de ce parc de Villers-le-Bouillet en 2019, nous atteindrons les 500 MW. Nous sommes donc tout à fait sur notre trajectoire.

Entre 2012 et 2022, nous aurons investi plus d’un milliard d’euros, en majorité dans le renouvelable. Nous rénovons aussi nos sites hydrauliques. Ils ont une cinquantaine d’années, il faut donc leur donner une nouvelle vie. Nous investissons enfin dans nos activités de production thermique, dans nos plateformes digitales, etc.

Vous avez aussi fait une série d’acquisitions dans le domaine des services énergétiques…

Nous avons également initié cette stratégie en 2012, puis nous avons effectué les premiers achats il y a environ cinq ans. Nous avons acquis des sociétés comme ATS, Dauvister, Van Parijs Engineers, Newelec, etc., qui sont très actives dans les métiers du génie électrique, le chauffage, la ventilation, l’air conditionné, les contrats de performance énergétique, la cogénération, les batteries, les bornes de recharge électrique, etc. Face au réchauffement climatique, la meilleure énergie que l’on puisse trouver est celle qui ne sera pas consommée. Notre stratégie est donc d’aider nos clients à réduire leur consommation d’énergie, et ainsi réduire leur facture. C’est devenu le coeur de la stratégie de Luminus.

Fondations de l'une des 13 éoliennes actuellement en construction.
Fondations de l’une des 13 éoliennes actuellement en construction.© OLIVIER ANBERGEN – I LOVE LIGHT / PG

Cette activité de services est-elle en train de prendre le pas sur vos activités historiques : la production et la fourniture d’électricité ?

Aujourd’hui, la majorité de notre personnel travaille dans les services d’efficacité énergétique. En cinq ans, nous avons doublé notre nombre d’employés : nous sommes passés de 1.000 à 2.000 personnes. Aujourd’hui, 1.200 personnes travaillent dans nos filiales qui sont actives dans ces métiers, et qui sont en forte croissance. Et pour les cinq années à venir, nous comptons recruter plus de 1.000 personnes supplémentaires au sein du groupe.

Si nous regardons le résultat de l’entreprise, donc le bénéfice brut avant amortissements, l’Ebitda, nous pouvons dire qu’aujourd’hui plus de la moitié de cet Ebitda est constitué de nos activités dans le domaine du renouvelable et dans les services d’efficacité énergétique.

Vous possédez une participation de 10% dans quatre des sept réacteurs nucléaires que compte le pays. Fin 2018, plusieurs ont dû être arrêtés pour entretien ou pour cause de problèmes. Quel a été l’impact de cette indisponibilité sur votre bilan financier ?

La plupart des coûts du nucléaire sont fixes. Lorsqu’un réacteur est à l’arrêt, vous supportez donc la majorité des coûts, mais vous n’avez plus de revenus. Et comme nous nous sommes engagés à livrer cette énergie à nos clients, nous devons racheter l’électricité qui n’est plus produite par ces réacteurs sur les marchés. Entre-temps, lorsqu’un réacteur est à l’arrêt, le prix augmente. Nous avons donc dû racheter cette électricité sur les marchés à un prix qui avait environ doublé. Sur le plan financier, c’est très pénalisant. Ça se chiffre à plusieurs dizaines de millions d’euros.

A la veille des vacances de Pâques, le cadre légal du mécanisme de rémunération de la capacité (CRM) a été approuvé par le Parlement. Objectif : encourager les producteurs à investir dans de nouvelles centrales pour assurer l’approvisionnement du pays en électricité après l’arrêt des centrales nucléaires. Vous possédez actuellement cinq centrales au gaz. Ce mécanisme vous poussera-t-il à investir ?

Luminus est l’acteur qui a créé les premières turbines gaz-vapeur en Belgique. Le prochain gouvernement devra déterminer un certain nombre de modalités d’application. Nous analyserons cela avec grand intérêt.

Une fois ces modalités fixées, vous allez pouvoir décider d’investir ou non. Si vous vous lancez, serez-vous capable de construire une ou plusieurs centrales au gaz d’ici 2025, date de sortie du nucléaire ?

Il ne faudra pas tarder à clarifier ce cadre, idéalement encore cette année. Je ne vous cacherai pas que le timing est très tendu. Nous sommes déjà en 2019. Il s’agira bientôt d’une situation d’urgence. Avoir toutes les autorisations nécessaires, passer au travers des recours, et construire une centrale prend plusieurs années. C’est très difficile de passer en dessous de cinq ans pour la construction d’une centrale au gaz. Si nous laissons passer trop de temps, nous n’y arriverons pas.

Le 26 mai prochain, les élections européennes, fédérales, et régionales, vont rebattre les cartes du jeu politique. La N-VA se dit favorable à une prolongation des centrales nucléaires. Vous attendez-vous à une prolongation de ces réacteurs par le prochain gouvernement ?

Ce sera en effet une question intéressante à suivre après les élections. La loi prévoit une sortie complète du nucléaire d’ici 2025. Jusqu’à présent, le gouvernement a confirmé cette loi de sortie.

Grégoire Dallemagne (Luminus) sur la sortie du nucléaire en 2025:
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Néanmoins, cela ne crée-t-il pas, pour un acteur tel que Luminus, une certaine incertitude ?

L’incertitude et la gestion du risque sont le propre des industriels. Evidemment, dans le contexte dans lequel nous opérons, tout ce qui tend à réduire les risques permet aux industriels de s’engager davantage. Donner le plus rapidement une feuille de route la plus claire possible est toujours important pour assurer un développement industriel le plus prometteur. C’est une évidence.

Vous êtes un des signataires de la campagne ” Sign for my future “, qui demande aux prochains gouvernements de s’engager à maintenir le réchauffement climatique en dessous de 2 degrés et que la Belgique devienne climatiquement neutre à l’horizon 2050. Le nucléaire est-il une des solutions pour atteindre ces objectifs ?

Dans un contexte de réchauffement climatique, il est permis de s’interroger sur le mix idéal. Si vous regardez les rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), les priorités sont de réduire les consommations d’énergie et de se diriger vers un mix décarboné. Il faut à tout prix éviter de brûler des combustibles fossiles. Et il y a urgence aujourd’hui. La maison brûle. Quand vous voyez la Californie en feu, les inondations au Mozambique, la sécheresse en Allemagne, les records de températures en Belgique, etc. Le réchauffement climatique est tangible. Il va falloir y apporter des réponses. Je crois que toutes les énergies décarbonées ont un rôle à jouer pour combattre les émissions de CO2.

Le gouvernement français et la direction d’EDF envisagent de réorganiser le groupe en deux filiales distinctes : l’une pour les activités nucléaires et, peut-être, l’hydraulique, l’autre pour le renouvelable, les services et les autres activités. Quelle seraient les conséquences de cette réorganisation pour Luminus, sa filiale belge ?

Je m’attends à ce que ce soit assez limité. Le plus important pour nous, en matière d’organisation, ce sont les métiers que nous gérons de manière industrielle. C’est pour ces métiers que nous employons du personnel. Nous ne sommes pas exploitant nucléaire en Belgique. L’exploitant des centrales de Tihange et de Doel, c’est Engie-Electrabel. Dans la mesure où, d’un point de vue industriel, Luminus est principalement concentré sur les métiers de production d’énergie renouvelable, les services d’efficacité énergétique, la fourniture d’électricité et de gaz, je ne m’attends pas à des conséquences importantes en matière d’organisation et de stratégies. Je ne pense pas que cette éventuelle réorganisation aura d’impacts sur Luminus.

A l’intérieur d’une éolienne

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Profil

– 46 ans, ingénieur commercial, diplômé de l’UCL, titulaire d’un MBA de l’Université de Chicago.

1995 : commence sa carrière en tant qu’auditeur chez Arthur Andersen.

2000 : oriente sa carrière vers les télécoms en intégrant le groupe Tele2AB en tant qu’assistant du CEO de l’époque. Il travaille ensuite pour les filiales luxembourgeoises du groupe en tant que CFO, et devient, en 2003, CEO de Tele2 Belgique.

2008-2011 : executive vice president strategy chez Belgacom.

2011 : CEO de Luminus.

Mars 2018 : directeur Europe d’EDF.

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