Fermeture de Kaesong: “C’est comme si on nous ordonnait de sauter d’une falaise”

© Reuters

L’angoisse le disputait à la colère parmi les chefs d’entreprise sud-coréens qui franchissaient jeudi la frontière avec la Corée du Nord pour mettre la clé sous la porte, après plus de 10 ans dans la zone intercoréenne de Kaesong.

Comme pour ajouter aux inquiétudes, Pyongyang a enjoint dans l’après-midi aux entrepreneurs sud-coréens d’évacuer immédiatement cette zone située en Corée du Nord, annonçant que leurs avoirs seraient saisis.

La veille, Séoul avait annoncé la fermeture de Kaesong, située à 10 kilomètres de la frontière entre les deux Etats rivaux, en représailles au quatrième essai nucléaire nord-coréen du 6 janvier et au tir de fusée dimanche par Pyongyang.

Les chefs des 124 usines et entreprises en activité de Kaesong n’ont eu que très peu de temps pour réagir et tenter de récupérer ce qui pouvait l’être. Quelques heures après l’annonce de Séoul, des centaines de camions sud-coréens prenaient la route du Nord.

“Je suis sans voix face à ce qu’il se passe”, a déploré Jang Ik-Ho, directeur dans une société d’ingénierie de Kaesong, avant de franchir la frontière dans la matinée.

“Toutes les entreprises ont fait de leur mieux pour que tout marche et maintenant, voilà ce qui arrive! Qu’est-ce qu’on a fait pour mériter ça?”.

Ces propos reflétaient un sentiment de révolte très répandu parmi les entrepreneurs sud-coréens concernés.

Kaesong avait été ouverte en 2004 et vantée comme le symbole de la coopération entre les deux Corées. Jusqu’alors, la zone industrielle avait été relativement épargnée par les tensions récurrentes dans les relations bilatérales.

Séoul était toutefois parfaitement conscient qu’une bonne partie des devises récupérées par Pyongyang par ce biais finissaient dans le cercle des intimes du dirigeant nord-coréen Kim Jong-Un et servaient à financer le programme d’armements nucléaires de Pyongyang, ce qui a toujours eu du mal à passer.

Le tir dimanche de la fusée nord-coréenne a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase.

Peurs et frustrations

La fermeture était “inévitable”, a dit le gouvernement sud-coréen. Mais les entreprises considèrent avoir été sacrifiées sur l’autel de la politique.

“C’est comme si on nous ordonnait de sauter d’une falaise”, a lancé Jeong Gi-Seob, président de l’association représentant les entreprises manufacturières sud-coréennes de Kaesong.

Avant même que la Corée du Nord ne donne aux Sud-Coréens l’ordre de partir en n’emportant que leurs affaires personnelles, les chefs d’entreprise se disaient inquiets.

Séoul a demandé à Pyongyang d’assurer la sécurité de ses ressortissants mais ils craignaient d’être arrêtés par les autorités nord-coréennes pour servir de monnaie d’échange.

“Je mentirais si je disais que je ne suis pas inquiet pour ma sécurité personnelle”, a témoigné Yoon Sang-Young, qui travaille depuis huit ans dans une usine textile de Kaesong. “Mais je fais confiance au gouvernement, la sécurité des travailleurs sera assurée”.

Kim Hak-Ju, directeur pour une entreprise de services, a été chargé de fermer les arrivages de gaz de pétrole liquéfié.

Il n’a pas particulièrement peur. “Mais comme les autres, je suis très frustré. Quand j’ai entendu la nouvelle, je me suis dit +ce que nous craignions tous est finalement arrivé+”.

Les rares Sud-Coréens qui traversaient la frontière dans l’autre sens ont expliqué qu’aucun des 53.000 Nord-Coréens employés à Kaesong n’était venu au travail jeudi.

Kim Soo-Hee, une infirmière qui travaillait dans un centre médical de la zone, a raconté qu’une partie des Nord-Coréens semblaient se douter du sort qui serait réservé à Kaesong car ils lui demandaient depuis quelques jours si elle serait fermée.

“Je m’inquiète pour eux car, très franchement, ils sont en meilleure santé du fait d’avoir travaillé à Kaesong. Ils ont l’eau, l’électricité et ont pris du poids car ils mangent bien”, expliquait-t-elle.

Elle a aussi raconté avoir vu arriver plusieurs camions militaires. “Il y avait plus de soldats que d’habitude”.

A Kaesong, les entreprises sud-coréennes versaient les salaires en devises. Mais les autorités nord-coréennes s’appropriaient cet argent et ne reversaient aux employés qu’une petite fraction, en monnaie locale.

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