Et si l’économie s’inspirait des forêts et des océans ?

Mark Eyskens, entouré d'Emmanuel Mossay et de Michel de Kemmeter, a réalisé la préface du livre Shifting Economy. © PG

En publiant “Shifting Economy”, Emmanuel Mossay et Michel de Kemmeter lancent un nouvel appel à une économie plus douce, plus humaine et plus en phase avec le fonctionnement de la nature. Mélange de plusieurs années passées dans des ” business models ” traditionnels et d’inspirations multiples pour en sortir, leur ouvrage creuse au moins deux sillons dans lesquels l’économie nouvelle doit s’implanter : un rapport au travail ancré dans les émotions et une place centrale accordée à la nature.

Le changement, ça commence à l’intérieur de nous. Dans nos tripes, avec nos émotions et en se connectant aux forces ” supérieures ” qui nous entourent, à commencer par cette nature dont on ferait bien de s’inspirer davantage. Oui, on parle bien d’économie et de business. Et non, on n’est pas dans la rubrique ” développement personnel ” d’un magazine psy. Dans leur livre Shifting Economy, fraîchement publié, Emmanuel Mossay et Michel de Kemmeter (lire l’encadré ” Parcours ” plus bas) expliquent comment basculer d’un business model à bout de souffle vers une autre approche de l’économie, holistique, humaine et soutenable. S’inscrivant dans un vaste mouvement qui génère de plus en plus de publications, d’adeptes mais aussi de concrétisations, les deux auteurs s’appuient sur des années d’expériences, de rencontres et de lectures de tous types.

Conclure un deal… avec soi-même !

Leur point de départ, qu’ils déroulent comme un fil rouge, c’est l’individu. Dans l’économie nouvelle, notre activité se bâtit idéalement sur ce que l’on aime faire, et donc sur ce que l’on fait bien. Nos émotions et nos valeurs sont la source de la viabilité d’un projet. Sans connaissance de ces dimensions intérieures (qui vont jusqu’à la maîtrise du langage corporel), l’affaire s’engage de manière hasardeuse. Les phénomènes de burn-out et de dépression, pointés du doigt comme des indicateurs d’un travail déboussolant de plus en plus de monde, sonnent comme des rappels amers d’une société trop souvent malade de son job…

Peu de business se font sans collègues, sans inspiration, sans échanges. La manière dont l’individu se relie au monde intéresse beaucoup Emmanuel Mossay et Michel de Kemmeter. Parmi les bonnes pratiques, les deux auteurs pointent notamment : s’inspirer des hommes et femmes qui ont fait bouger les lignes (Gandhi, Mandela, Luther King…) et des sociétés primitives (pour leur rapport particulier à la nature et la manière dont ils évitaient le gaspillage). Bref, ne pas vouloir coûte que coûte réinventer la roue ; partager sans arrêt ses connaissances, ses ressources, ses réseaux ; mixer innovation et tradition, reconnexion à soi et aux autres. Ces bonnes intentions sont étayées et exemplifiées à l’envi dans leur opus.

Inspirant, certes. Mais comment s’y prendre ? Le livre propose plusieurs étapes au cours desquelles il faut secouer nos vieilles habitudes de pensée pour entrer dans ce new economy game : faire des choix ” conscients ” à partir de ses valeurs, savoir que presque tout, dans ce monde de plus en plus complexe, est techniquement, géographiquement et économiquement relié ; se créer une équipe soudée ; confronter son business, sa ” viabilité minimale ” avant de vouloir croître à tout prix ; vendre de la valeur plutôt que des services ; envisager la création d’une communauté active de clients plutôt qu’un rapport commercial et ponctuel avec de banals ” acheteurs ” ; opter pour un modèle d’affaires progressif, évolutif, partagé et remis en question avec ses partenaires.

Les tentatives de conversion vers la nouvelle économie peuvent s’évaluer à l’aune de sept paramètres. (lire l’encadré de “Les 7 paramètres de conversion” plus bas).

“Imite la nature dans chacune de tes décisions”

D’un bout à l’autre de leur démarche, Emmanuel Mossay et Michel de Kemmeter plaident pour une approche circulaire, économe en dépenses mais abondante en ressources. Comme la nature. Et d’en rappeler une leçon maîtresse : ce que la faune et la flore gaspillent et consomment sert à nourrir d’autres, pour que tout recommence dans un cercle vertueux… Côté business, cela équivaut à privilégier les réseaux de production locaux, les contrôles, le partage et l’émulation entre pairs, l’absence de spéculation et de régulation trop éloignée des contextes locaux. Feu vert également au partage des bénéfices de manière plus large et collective (et non plus au seul avantage des actionnaires). ” Inspirons-nous des systèmes qui fonctionnent réellement “, concluent les deux auteurs. Ce que l’économie traditionnelle nous a légué n’en fait définitivement plus partie… Reste à accomplir l’essentiel de ce grand virage : traduire ces préceptes dans les gestes quotidiens. Si les principes défendus dans Shifting Economy font de plus en plus d’adeptes dans les nouvelles générations d’entrepreneurs, s’extraire des sillons dans lesquels l’économie occidentale a fait son chemin n’a rien d’évident. Mais il est temps de s’y mettre : ” Pour la nature, pour les citoyens, pour une économie équilibrée. Pour une société belle et réinventée “. Parole d’auteurs convaincus.

Par Olivier Standaert.

Parcours

Après quinze années dans la communication et l’événementiel, notamment chez Mobistar et Mondial Telecom, Emmanuel Mossaya fait son propreshiften quittant le monde du privé pour d’autres horizons, “où on ne vire pas des femmes revenant de congé de maternité alors que les bilans affichent des profits à deux chiffres”. Sans vouloir tomber dans l’autre extrême “où tout serait rose”, il a collaboré notamment avec la Croix-Rouge, Oxfam et la Fédération bruxelloise des entreprises de travail adapté (FEBRAP), avec déjà, dans un coin de la tête, l’envie de travailler à la construction d’une autre façon de faire des affaires. Sa rencontre avecMichel de Kemmeteraura été le point de départ de la rédaction deShifting Economy. Lui aussi a connu le monde des affaires “à l’ancienne” avant d’opérer une remise en question lors de la naissance de ses enfants, au début des années 2000. Après avoir travaillé entre autres dans les fusions-acquisitions et dans le secteur atypique de la pierre naturelle, “qui m’a permis de voyager tant et plus et de pouvoir observer de près le monde assez particulier des grandes fortunes”, il décide de s’intéresser aux mutations de notre économie. “J’ai fait une sorte de bilan de ma vie en 2001, explique Michel de Kemmeter. Qu’allais-je léguer à mes enfants hormis un patrimoine ? Cette question se posait d’autant plus qu’on était déjà en train de basculer dans une autre époque. Il était temps, pour moi, d’y participer et d’apporter une pierre à l’édifice .” Parmi ses centres d’intérêt, bien développés dans l’ouvrage, la reconnexion de l’humain dans l’entreprise. “Les mutations que nous vivons traversent l’économie et bien plus encore : c’est très profond… En voyant notamment le développement inquiétant des psychopathologies liées au travail, j’ai eu le besoin d’aller plus loin dans cette réflexion .”

Les 7 paramètres de conversion

1. Qu’apportons-nous comme valeurs, services et biens communs ?

2. Que produisons-nous comme connaissances ? Comment innovons-nous ?

3. Notre communication est-elle stimulante ? Apporte-t-elle des idées ? Inspire-t-elle nos partenaires ?

4. Que génère notre travail comme envies, émotions, passions ? Avons-nous confiance en nos partenaires ?

5. Le processus de développement est-il soutenable, financièrement et éthiquement ? Est-il sécurisé ?

6. Notre situation financière est-elle solide, mais aussi souple, à même d’encaisser un revers, un imprévu ?

7. Nos décisions sont-elles pesées en fonction de leur impact collectif et environnemental ? Compensons-nous notre impact négatif sur l’environnement ?

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