Eric Mestdagh et Gerald Watelet: le Manager de l’année 2010 face au créateur caméléon

Eric Mestdagh et Gerald Watelet. © Julien Leroy (Belgaimage)

Ils ont le même âge, mais des parcours totalement différents. Elu Manager de l’Année en 2010, Eric Mestdagh incarne la quatrième génération d’une entreprise familiale qui s’est imposée dans le secteur de la grande distribution. Son destin semble tout tracé, alors que Gerald Watelet s’illustre par des changements de carrière à répétition dans l’hôtellerie, la haute couture, les émissions de télé et maintenant la décoration. Morceaux choisis.

Ils ont l’oeil taquin et l’éclat de rire facile. Quinquas épanouis, Eric Mestdagh et Gerald Watelet aiment la bonne chère et les concerts, mais aussi les débats sur le sens de la vie. Le Manager de l’Année 2010 et le créateur multi- facette se connaissent bien et il n’a donc pas fallu déployer des trésors d’imagination pour convaincre les deux hommes de s’asseoir à la table bruxelloise de L’Ecailler du Palais Royal. Au menu : croquettes de crevettes, solettes meunière et reconversion professionnelle.

ERIC MESTDAGH. Quand on examine nos C.V., on peut en déduire qu’il n’y avait aucune chance que l’on se rencontre un jour…

GERALD WATELET. Mais on a quand même réussi à se trouver via une connaissance commune !

E.M. Et ça a tout de suite matché.

G.W. Oui !

E.M. A part le fait que l’on vienne tous les deux de Namur – ma maman est Namuroise – et que l’on soit nés en 1963, nous n’avons a priori rien en commun et c’est ça que je trouve formidable parce que, au final, nous avons plein de points communs !

TRENDS-TENDANCES. Effectivement, vos parcours sont très différents avec l’un qui s’inscrit dans un certain déterminisme professionnel au coeur d’une entreprise familiale et l’autre, très artiste, qui n’a jamais cessé de changer de travail…

E.M. Je tiens toutefois à rappeler que, chez Mestdagh, nous sommes neuf petits-enfants et qu’il n’y en a que deux qui travaillent aujourd’hui dans l’entreprise de distribution, c’est-à-dire mon frère John et moi, même si nous sommes associés avec notre cousin Carl, mais lui n’y travaille pas. En fait, il n’y a jamais eu de pression de la part des parents pour nous pousser à reprendre l’entreprise ou pour y travailler. Nous étions tout à fait libres et, d’ailleurs, mes autres frères et cousins font tout autre chose. En fait, la pression vient plus tard, une fois qu’on y est et qu’on a fait son choix. Dans mon cas, cela s’est fait un peu par hasard. Je ne rêvais pas d’entrer dans le groupe et c’est en faisant un travail d’étudiant dans un supermarché que j’ai vraiment pris goût au métier. Parce qu’il y a de l’humain, de la découverte, de la surprise… Ça change toutes les minutes !

Je ne rêvais pas d’entrer dans le groupe familial et c’est en faisant un travail d’étudiant dans un supermarché que j’ai vraiment pris goût au métier. ” Eric Mestdagh

G.W. Aucun regret ?

E.M. Non, aucun regret ! Et je recommande ce secteur d’activité à tous ceux qui sortent des études et qui n’ont pas envie de s’ennuyer. C’est extrêmement complet. Alors, bien sûr, les horaires sont plutôt difficiles, les salaires ne sont pas mirobolants et on a beaucoup de tracas, mais, pour moi, c’est une vraie passion.

Et vous, Gerald, que faisaient vos parents ?

G.W. Ma mère était cheffe du rayon lingerie aux Galeries Anspach à Namur et mon père était chef-comptable du groupe de journaux Vers L’Avenir. De bons cathos ! ( rires) Je suis né dans une famille où l’on devait être heureux. C’était le leitmotiv : être heureux ! Et donc, on pouvait faire ce qu’on voulait, même pour les études. Alors, bien sûr, mon père aurait préféré que je fasse l’université et que je devienne médecin ou avocat, mais quand je lui ai dit, à 14 ans, que je voulais faire l’école hôtelière, il ne s’y est pas opposé. J’ai grandi dans une famille où l’on aimait bien manger et bien boire, et donc il s’est dit qu’il pourrait toujours m’aider à choisir les vins et les goûter. ( rires)

E.M. A quelle école hôtelière as-tu étudié ?

G.W. A Namur. J’ai terminé mes études avant l’âge de 18 ans et je suis entré assez rapidement à La Villa Lorraine. C’est la seule fois de ma vie où j’ai cherché du travail. Ensuite, tout s’est enchaîné et je n’ai plus jamais dû chercher du boulot. Je ne sais pas ce que c’est de rédiger un C.V.

Eric, à partir du moment où vous entamez votre vie professionnelle, vous dites-vous que vous allez rester dans l’entreprise familiale jusqu’à la fin de votre vie ?

E.M. Absolument pas ! Vous savez, ce n’est pas facile de travailler en famille. Comprenez-moi bien : je vais préciser ma pensée. Quand vous commencez et que vous travaillez dans les rayons d’un magasin, on vous fout la paix. Mais quand vous prenez du galon et que vous côtoyez votre père, votre grand-père et vos oncles, ce n’est pas toujours facile, surtout lorsque vous essayez d’apporter des nouvelles idées sur les méthodes, sur la vision d’entreprise, etc. Heureusement, mon père nous a rapidement fait confiance, à mon frère et à moi, et nous avons pu vite prendre nos responsabilités. Il faut aussi préciser que nous avons racheté l’entreprise à trois, comme je l’ai dit, avec mon cousin Carl, et que nous nous sommes dès lors endettés. A partir de ce moment-là, on sait que l’on est impliqué pour quelques années et on y met toute son énergie. Tout tourne autour ça ! Je me souviens, par exemple, que nous ne sommes pas partis en vacances pendant 10 ans – parce que nous étions endettés – et que je m’endormais à table lorsque nous allions manger le samedi soir chez des copains ( rires) !

G.W. Tu étais crevé !

E.M. Oui et à ce moment-là, je ne me posais pas la question de savoir si j’allais travailler dans le groupe jusqu’à 65 ans ou pas, mais il est clair que j’y mettais toute mon énergie parce que c’est une neverending story. Cela ne s’arrête jamais. Il n’y a pas un moment où l’on se dit que les dossiers sont clôturés et que tout va bien. Quand vous n’avez pas de problèmes de recrutement, vous avez des problèmes légaux. Et quand ce ne sont pas de problèmes de permis, ce sont des problèmes informatiques. En fait, vous n’avez jamais fini ! Et donc j’aimerais savoir comment Gerald Watelet fait pour passer à autre chose. Parce que, vu de l’extérieur, on pourrait croire qu’il papillonne…

G.W. Les gens pensent effectivement que j’ai fait plein de métiers différents, mais en ce qui me concerne, je n’exerce qu’un seul et même métier qui touche à l’art de vivre. L’école hôtelière, c’est un bel établissement, du beau linge, du bon vin, des gens bien habillés, etc. Moi, j’aime le luxe, mais pas dans le sens ostentatoire…

E.M. Tu aimes le raffinement.

G.W. Oui. Et donc ensuite, j’ai ouvert une maison de couture. J’ai dessiné des vêtements, des bijoux, des chaussures, des imprimés, etc. C’est un métier que j’ai éperdument aimé, mais qui est trop compliqué. Entre-temps, la télé était venue me chercher. J’ai fermé la maison de couture à Paris et je suis revenu en Belgique. Parallèlement à ça, j’ai aussi développé une activité de décorateur pour la Brafa Art Fair. Mais ce qui est vraiment très important à mes yeux, c’est que j’ai toujours travaillé pour avoir la reconnaissance de mes pairs. Quand j’ai commencé la couture, je voulais avoir une espèce de sauf-conduit de la part de gens comme Yves Saint Laurent, Hubert de Givenchy et même des premières dames d’atelier. Je ne voulais pas qu’elles me regardent comme le petit coco qui dessinait des robes. Je voulais que l’on noue des relations très professionnelles, cordiales et même amicales avec certaines. Moi, j’ai une passion pour l’académique qui permet d’être créatif. Si tu ne sais pas cuire un steak, cela ne sert à rien de commencer à essayer d’inventer des recettes…

Eric Mestdagh et Gerald Watelet: le Manager de l'année 2010 face au créateur caméléon
© Julien Leroy (Belgaimage)

E.M. Tout à fait !

G.W. C’est valable pour la gastronomie, pour la mode, pour la décoration, pour faire du vin, etc. Il y a des choses essentielles à maîtriser. Bref, tous ces métiers que j’ai faits dans la mode, l’hôtellerie, la déco et même la télé représentent un univers. C’est, pour moi, de la mise en scène. Quand on commençait un service à La Villa Lorraine, j’estimais que le rideau du théâtre se levait. C’était La Veuve joyeuse, c’est parti mon kiki ! Quand je fais de la décoration et que j’entre dans une maison, j’ai le même feeling. Chez moi, quand je reçois des invités, le simple fait d’imaginer le menu et de faire les courses est déjà une super aventure !

Des courses dans un Carrefour Market, évidemment…

G.W. ( Eclats de rire) What else ?

E.M. Non, non, on est dans une parenthèse, ici ! ( rires)

G.W. Sérieusement, si on me demandait aujourd’hui quel est le métier ultime que je voudrais faire, ce serait metteur en scène de théâtre ou de cinéma. Parce que là, on a tout !

E.M. Mais dans la couture, il y a quand même des codes. Comment fait-on quand on débarque dans ce métier sans aucune expérience ?

G.W. J’ai tout appris sur le tas. Cela a duré 20 ans, mais pendant les 10 premières années, je pense que je n’ai pas été vraiment heureux, justement parce que je ne maîtrisais pas le métier. C’est très bizarre parce que, à la fin d’un défilé, tout le monde t’applaudit et toi, tu es malheureux comme les pierres parce que tu trouves que ton travail n’est pas vraiment abouti. Tu te dis que les gens qui applaudissent ne le font pas pour toi, mais parce qu’ils se réjouissent tout simplement d’être au premier rang. C’est un peu vicieux ce que je dis…

E.M. C’est ce que je disais précédemment, ce sentiment de n’avoir jamais vraiment clôturé le dossier…

G.W. Non et c’est ça qui fait que tu recommences la collection suivante !

E.M. J’ai visité récemment le musée Yves Saint Laurent à Paris. Pour un ignare comme moi, la mode, c’était avant tout très bling-bling. Ce sont les belles filles, les défilés et le luxe. Mais là, j’ai compris tout le travail qu’il y avait derrière. C’est incroyable ! Les couturiers sont torturés ” H 24 ” ! J’ai beaucoup travaillé, mais eux…

G.W. Ce sont des sensibilités différentes. Toi qui es dans les affaires, tu peux aussi t’offrir le luxe d’être créatif, mais sans le stress d’être connu. Tu vois ce que je veux dire ? Tu peux décider de t’acheter un vignoble et faire du vin pour le fun !

E.M. Oui, quand je vais visiter une galerie d’art contemporain, c’est un ressourcement, c’est une bulle d’oxygène, mais je ne vais pas pour autant devenir galeriste. C’est formidable d’avoir des passions qui ressourcent.

Parce que la grande distribution manque terriblement de glamour ?

E.M. Non, mais parce que c’est un autre univers. J’adore aussi la musique rock, mais je ne vais jamais en faire mon métier. Et donc j’admire les gens qui arrivent à faire de leur métier quelque chose qui ressource une grosse partie de la population. Ils ont un stress qui est tout aussi important que le mien et je suppose que les couturiers, les veilles de défilés, ne doivent pas dormir. Mais ils vendent du rêve…

G.W. Une collection, c’est trois mois de travail pour 20 minutes de défilé. C’est une frustration énorme parce qu’en plus, on ne voit pas son travail sur le podium puisqu’on est en coulisses. On lance les mannequins et, à la fin, on sort comme un grand nigaud avec une gueule enfarinée et on sourit à côté de la mariée. Tout le monde applaudit, on boit du champagne et on vient te serrer la pince. Mais moi, à ce moment-là, je n’ai qu’une seule envie : c’est de prendre une douche, mettre un pull et aller au cinéma tout seul. Parce que je suis lost et que je n’ai pas envie de rire. Je n’ai même pas envie qu’on me parle…

E.M. Ce que j’admire chez toi, c’est que tu sois cash. Mais comment tes clientes ont-elle vécu ou vivent encore ce franc-parler et cette espèce d’insolence ?

G.W. Avec l’âge, c’est plus facile ! ( rires) Quand j’ai commencé, j’étais profondément timide. Je le suis toujours, mais je me suis soigné ! C’est un métier qui m’a aidé à être plus extraverti…

E.M. Tu as une liberté de parole et les gens ne t’en veulent pas. Moi, je ne pourrais jamais me permettre cela avec mes clients ! ( rires)

G.W. Cela peut parfois choquer, mais je suis toujours honnête. Un jour, j’ai vendu une robe à une cliente uniquement parce qu’elle insistait. Or, je trouvais que ça ne lui allait pas du tout. J’étais honteux de la voir habillée de la sorte et je lui ai donc fait promettre qu’elle porterait ma robe uniquement chez elle, lorsqu’elle serait seule ! Je lui ai d’ailleurs dit : ” Si tu sors avec cette robe, tu ne dis pas que ça vient de chez moi ! ”

E.M. ( Rires) C’est génial d’avoir la liberté de pouvoir dire ça !

Là aussi, Gerald Watelet, après 20 ans de mode, vous bifurquez à nouveau. Vous avez fondé votre maison de couture sans aucun bagage en stylisme, votre travail est reconnu et, subitement, vous arrêtez tout. Pourquoi ?

G.W. Pour des raisons strictement économiques. Ma maison de couture a été la plus grande passion de la ma vie. J’ai eu quatre associés – deux bons, deux mauvais qui étaient les deux derniers – et, à un moment, j’ai dû déposer le bilan. J’avais tout fait pour que ça continue, j’avais 45 ans, mais je n’avais plus envie de batailler. La mode, aussi, évoluait. Ce n’était plus que de l’image et du marketing avec des grands groupes à la réactivité incroyable. Et puis, il n’y avait plus de vraies grandes clientes…

Dans vos modèles économiques respectifs, vous avez été tous les deux exposés à une nouvelle concurrence. Celle de grands groupes textiles comme Zara, des hard-discounters et de l’e-commerce…

E.M. Si je fais le lien entre Gerald et moi, on arrive au même constat : on doit évoluer, un peu se réinventer, mais surtout ne pas copier les autres. Gerald Watelet ne va jamais faire du Zara et je ne vais jamais faire de l’Aldi. Je ne vais pas non plus transformer mes supermarchés en magasins bios avec des caissières coiffées de dreadlocks et qui portent des pulls en laine. Je caricature, bien sûr, mais il est clair qu’il ne faut pas dénaturer son ADN. Donc, dans mon métier, je dois faire évoluer l’entreprise – c’est d’ailleurs ce qu’on essaie de faire – tout en ne nous trahissant pas. On a quand même deux grosses échéances puisqu’on va devoir renégocier notre contrat avec Carrefour en 2020 – contrat qui est assez compliqué – et préparer l’après-2020. C’est pour cela qu’à un moment donné, nous avons dû faire un choix entre l’opérationnel et ce que je considère comme plus important, c’est-à-dire la vision stratégique du groupe à long terme.

G.W. Economiquement, nous avons toute une rééducation à faire. Le client doit aussi réapprendre. Quand on achète une robe à 29 euros chez Zara ou un poulet à 3 euros, il faut réfléchir au-delà du prix et assumer les conséquences. Le client ne doit pas toujours taper sur le dos du marchand qui fait bien son boulot et comprendre que la qualité a une valeur. Parce que c’est fait chez nous, parce qu’il y a des charges sociales, parce qu’il y a une éthique, parce qu’il y a un souci de qualité et ainsi de suite !

E.M. Il y a un grand écart entre une catégorie de personnes qui ne mangent plus des poires qu’à la saison des poires et une classe sociale qui n’a plus les moyens de s’offrir un bon morceau de saumon à 25 euros le kilo et qui va donc acheter le poulet à 3 euros parce qu’il faut nourrir la famille. Moi, je ne suis pas là pour juger, mais j’avoue qu’il est très difficile d’éduquer les gens au goût quand vous avez derrière des impératifs financiers qui vous empêchent d’agir en ce sens.

G.W. Moi je dis toujours aux gens que, à partir du moment où ils ont un peu de moyens, ils ont le devoir éthique d’aller acheter dans les bons commerces et donc de payer un certain prix. On ne peut pas se faire une gloire d’acheter une robe chez Zara à 29 euros et puis dire qu’on a fait une bonne affaire, surtout si on est millionnaire. Ça me dégoûte.

E.M. Quel est ton plus gros échec ?

G.W. Oh, j’en ai connu plein ! Mais je n’aime pas parler d’échecs. Ce sont plutôt les choses de la vie. Pour moi, les échecs sont surtout amoureux et c’est lorsqu’on n’a pas compris ce qu’il fallait faire et qu’on s’est entêté. Ça, c’est un vrai échec. Mais tu sais, je pratique la règle des quatre R : pas de regret, pas de remords, pas de rancune, pas de revanche. Cela ne sert à rien !

Eric, vous avez récemment signé, dans ” L’Echo “, cet appel au monde politique pour l’inciter à développer une vision prospective. La Belgique manque d’ambition ?

E.M. Il y a quelques enjeux majeurs dans de grandes thématiques qui sont la transition énergétique, l’enseignement, la migration ou encore la mobilité. On doit tous y participer – le politique, le monde de l’entreprise, le particulier… – et cela doit surtout dépasser le cadre d’une législature. Donc, venir dire qu’on va réduire la rue de la Loi d’une bande pour mettre une piste cyclable, c’est bien, certes, mais il faut d’abord avoir une vision globale.

Les gens pensent effectivement que j’ai fait plein de métiers différents, mais en ce qui me concerne, je n’exerce qu’un seul et même métier qui touche à l’art de vivre.” Gerald Watelet

G.W. Ce sont beaucoup d’emplâtres sur des jambes de bois !

E.M. Nous, chefs d’entreprise qui avons signé cet appel, nous ne voulons pas être des donneurs de leçons. Nous voulons simplement que l’on fixe des objectifs pour ce pays. Le but de cette carte blanche, c’était de dire aux politiques : ” Ne regardez pas votre petit nombril dans ces élections ni dans celles qui auront lieu dans cinq ans, mais abordez le monde à beaucoup plus long terme ! “. Il faut une vraie vision à ce pays. Il faut un vrai consensus politique sur les grands enjeux stratégiques plutôt que des petites guerres politiques.

G.W. Le manque d’ambition de la Belgique lui donne cette tranquillité que nous aimons tous ici et qui fait qu’on adore passer le week-end à Paris ! ( rires)

E.M. C’est très vrai ! ( rires)

G.W. Non, sérieusement, je ne dirais pas qu’on manque d’ambition. Nous sommes un pays de commerçants, mais c’est vrai que nous, francophones, avons une grande soeur, la France, qui a la suprématie sur nous, du moins dans le domaine que je connais, c’est-à-dire la créativité en matière de gastronomie, de couture, de vins, etc. Un chanteur belge qui n’a pas été sacré à Paris restera toujours un petit chanteur belge…

E.M. Et toi, ça t’a aidé ? Je veux dire le fait d’avoir été à Paris.

G.W. Oui, quand même ! Mais je voulais dire que l’on a aussi, en Belgique, un bon sens un peu tranquille qui fait qu’on ne va pas en faire des tonnes et donc que l’on a tendance, il est vrai, à être trop modeste par rapport à ce qu’on fait.

Dans le milieu de la mode, on s’enivre des applaudissements à la fin des défilés. On est directement reconnu, ce qui n’est pas le cas dans le monde de l’entreprise, sauf peut-être lorsque l’on est honoré du titre de Manager de l’Année comme vous l’avez été…

E.M. ( Agacé) Pfff… Tout ça, c’est de la vanité. A l’époque, on a pris un risque avec la reprise de certains magasins à Carrefour, mais est-ce que cela méritait le titre de Manager de l’Année ? Pour moi, certainement pas. Mais bon j’ai fait 15 ans de Jésuites, donc la culpabilité est sans doute bien ancrée en moi ! ( rires) Non, ce n’est pas du tout mon moteur. D’ailleurs, la plupart de mes amis ne sont pas entrepreneurs. Je préfère 100 fois passer une soirée avec Gerald et parler de choses qui ne font pas du tout partie de mon univers professionnel que d’aller à l’assemblée générale de la FEB. Le milieu patronal en Belgique est quand même poussiéreux. Des patrons rock’n’roll avec qui on peut déconner, j’en connais à peine 10…

G.W. Tu sais, c’est comme les gens qui n’ont jamais fait de télé et qui en font subitement. Tout à coup, on parle d’eux et ils ne rêvent plus que d’une chose, c’est qu’on les reconnaisse dans la rue. Moi, je rêve d’une seule chose : c’est de ne plus être reconnu du tout ! Quand je vais au restaurant, je ne peux plus me mettre sur la banquette pour être face à la salle. Je dois me mettre sur une chaise pour être face au mur. Autrement, on me dérange tout le temps. Attention, j’aime bien les gens, mais quand tu es en vacances et qu’on vient te déranger tous les matins pour un selfie, à un moment, tu en as assez et tu restes dans ta chambre. Bon, je ne fais pas le blasé. Après tout, l’être humain ne peut se passer que de ce qu’il a eu…

E.M. Tu as quand même quelques phrases qui sont de bons punchlines !

G.W. ( Rires) Non, sérieusement, on peut être fier de cette reconnaissance, mais il ne faut pas la prendre trop au sérieux.

E.M. Tu as tout à fait raison. C’est tellement éphémère. Moi, je suis beaucoup plus heureux quand un de mes employés, qui n’a pas terminé ses humanités, réussit par son travail à racheter sa maison familiale et à y construire une piscine. Cette réussite-là, elle me donne la chair de poule. Parce que cet homme a gravi les échelons de l’entreprise à la sueur de son front. C’est une reconnaissance qui, pour moi, est beaucoup plus importante que le fait d’être reconnu par ses pairs…

Parce que vous avez participé à son élévation ?

E.M. Non, c’est lui qui l’a fait ! Ce sont ses efforts ! Moi, je lui ai juste donné une opportunité et son succès me touche. A mes yeux, c’est beaucoup plus valorisant que d’être désigné Manager de l’Année.

Profil – Eric Mestdagh

Eric Mestdagh
Eric Mestdagh© Julien Leroy (Belgaimage)

ERIC MESTDAGH

Né le 2 janvier 1963.

Maîtrise en sciences économiques aux Facultés universitaires de Namur.

Arrière-petit-fils de Germain Mestdagh qui a fondé l’entreprise en 1900, il débute sa carrière en dirigeant un des magasins du groupe de distribution.

En 1995, il est promu directeur des ventes du groupe dont le réseau passe sous l’enseigne Champion.

En 2002, l’administrateur délégué Henry Mestdagh (petit-fils du fondateur) passe le relais à ses fils John et Eric. Avec leur cousin Carl, les deux frères achetent les parts des autres membres de la famille.

En 2010, le groupe Mestdagh (70 magasins) reprend 16 supermarchés que Carrefour veut fermer en Belgique, une action qui vaut au duo le titre de Manager de l’Année 2010.

En 2012, le nom Champion s’efface. Carrefour Market-Groupe Mestdagh compte alors 85 magasins.

En 2018, John et Eric Mestdagh abandonnent la direction opérationnelle du groupe et passent le flambeau au Français Guillaume Beuscart pour se concentrer davantage sur les enjeux stratégiques. Le 7 mai, l’entreprise annonce un plan de relance et la suppression de 450 emplois sur les 2.700 que compte le groupe.

Profil – Gerald Watelet

Gerald Watelet
Gerald Watelet© Julien Leroy (Belgaimage)

GERALD WATELET

Né le 11 décembre 1963.

Diplômé de l’Ecole hotelière de Namur à 18 ans, il fait ses premiers pas professionnels à La Villa Lorraine à Bruxelles et devient, à 22 ans, le plus jeune maître d’hôtel de Belgique.

En 1988, sa passion de la mode le rattrape. Il fonde sa propre maison de couture à Bruxelles et séduit l’aristocratie avec ses robes raffinées.

Invité par la Fédération française de Haute Couture à défiler à Paris en 1994, il y installe son atelier quelques années plus tard.

A la fin des années 2000, sa maison de couture dépose le bilan et Gerald Watelet rebondit à la télévision. Il devient chroniqueur pour l’émission Sans Chichis à la RTBF, puis présentateur pour C’est du belge en 2011 (une émission qu’il anime toujours aujourd’hui) et pour Un gars, un chef avec Adrien Devyver de 2013 à 2016.

Le mois dernier, il a ouvert un magasin de décoration à Uccle, un espace éponyme où il distille également ses conseils d'” ensemblier-décorateur ” pour les antiquaires et les particuliers.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content