Entretien avec François Cornélis, ancien dirigeant de Total: “On assiste à une renaissance scientifique et intellectuelle”

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François Cornélis, ancien dirigeant de PetroFina et de Total, lançait il y a trois ans un fonds destiné aux start-up de la chimie. Aujourd’hui, l’Innovation Fund – c’est son nom – est pleinement opérationnel. Pourtant, les universités francophones belges sont en train de rater le coche.

En qualité de CEO de PetroFina et de vice-président du comité exécutif de Total, François Cornélis (par ailleurs actuel président du CA de bpost) a fait partie pendant 10 ans du gratin du secteur pétrolier et pétrochimique. A l’automne de sa carrière, cependant, il décide de se recycler en mentor de jeunes entreprises chimiques. En 2013, à 68 ans, ce baron bruxellois lance donc l’Innovation Circle, un collectif d’anciens hauts dirigeants issus des secteurs de la chimie, du plastique et de la pharmacie, qui se destine au parrainage de jeunes entrepreneurs et entreprises dans le secteur de la chimie. Ce collectif a déjà parrainé plus de 50 projets.

Deux ans plus tard, François Cornélis poursuit son idée et crée l’Innovation Fund. Après trois ans d’existence, ce fonds a déjà récolté pas moins de 30 millions d’euros et investi dans 16 start-up. Mais la structure du fonds a été modifiée. ” Nous avons constaté que les scénarios de croissance de nos start-up évoluent systématiquement plus lentement que prévu, et avec davantage de soubresauts, explique-t-il. Nous devons donc les assister plus longtemps. ” L’Innovation Fund est donc passé d’un modèle fermé à un modèle evergreen, c’est-à-dire sans maturité.

TRENDS-TENDANCES. Ce n’est donc pas si simple, la vie d’une start-up dans le secteur chimique ?

FRANÇOIS CORNÉLIS. Effectivement, mais le fonds n’a pas non plus pour vocation d’engranger des victoires faciles. La création de valeur est ce qui nous anime profondément, et nous entendons promouvoir l’innovation dans et autour de la Belgique. Nous ne nous étions d’ailleurs pas attendus à une telle ampleur ni à un tel niveau d’innovations dans notre pays. On assiste à une véritable renaissance scientifique et intellectuelle.

L’Innovation Fund amène-t-il vraiment quelque chose de neuf ?

Certainement. L’immense expertise qu’il recèle le rend unique. J’ai rassemblé les meilleurs industriels du secteur chimique ( parmi lesquels Christian Jourquin, ancien CEO de Solvay, et Carl Van Camp, ancien responsable polymères chez Total, Ndlr). Nous ne sommes pas un fonds financier, mais un fonds d’industriels. Si les start-up viennent frapper à notre porte, c’est d’ailleurs souvent pour rencontrer ces industriels, pas pour de l’argent. En outre, le risque ne nous effraie pas. Nous sommes positionnés juste en aval des universités et investissons généralement dans des entreprises sans flux de trésorerie et sans revenus.

Dès que les université flamandes ont des projets, elles nous contactent pour en discuter. Nous n’avons pas encore atteint ce même niveau d’interaction et de confiance du côté wallon.

Le fonds a déjà levé 30 millions d’euros. Est-ce une satisfaction ou plutôt une frustration ?

La frustration ne fait pas partie de mon vocabulaire. Cela dit, il sera important de prendre de grandes participations. Avec 30 millions, vous êtes limité à 2 à 3 millions par investissement. On pourrait viser plus. Mais nos futurs succès stimuleront l’évolution du fonds. A cet égard, notre première cession est prévue pour la semaine prochaine. Nous nous attendons toutefois aussi à des échecs, à l’instar de X4C, une société active dans la technologie des matériaux dans le Hainaut, qui risque de connaître une issue malheureuse. Mais soit, cela m’apprend la patience, sans doute pas ma plus grande qualité ( rire).

Quelle taille pourrait atteindre le fonds ? 100 millions d’euros ?

Ce n’est pas un scénario que nous excluons. Nous prendrons une décision une fois les 50 millions atteints, bien que nous nous orienterons peut-être alors vers une solution à deux fonds : un pour les start-up et un pour les entreprises matures. Il n’est jamais bon de mettre tous ses oeufs dans le même panier.

Il y a en Belgique des fonds publics pour l’innovation, comme Catalisti, en Flandre, qui soutient – comme vous – InOpsys, une société malinoise qui s’occupe de la purification des eaux usées de l’industrie pharma. Ne vous marchez-vous pas parfois sur les pieds les uns des autres ?

Vous avez raison. Il existe en effet plusieurs véhicules d’investissement et nous devons éviter toute espèce de concurrence qui mènerait à une destruction de valeur. C’est pour cela que nous nous rencontrons continuellement pour nous concerter sur des dossiers et échanger notre expertise.

Votre question touche également à la décision du gouvernement fédéral de créer un fonds pour soutenir l’innovation et les start-up ( le Belgian Growth Fund, un nouveau fonds de capital-risque de 300 à 450 millions d’euros que le gouvernement a lancé pour aider les jeunes entreprises à croître, Ndlr). Je dois avouer que cela m’étonne énormément. Je pense que l’argent à destination de l’innovation ne manque pas en Belgique, et donc qu’il n’appartient pas au gouvernement ni aux banques de se lancer dans une telle aventure.

Envisagez-vous de créer une organisation faîtière destinée à rassembler toutes ces initiatives dans le domaine de la chimie et des sciences de la vie ?

Je n’y avais pas encore songé, mais l’idée est bonne. Il serait peut-être logique de tout regrouper de façon à pouvoir parler d’une seule voix face à l’administration et au gouvernement. Nous investissons par ailleurs déjà de concert avec des institutions qui ont un lien avec les universités, notamment Gemma Frisius, le fonds d’amorçage de la KU Leuven et le fonds interuniversitaire Qbic. Si je devais malgré tout avoir une petite frustration, c’est que nous n’arrivons pas à établir avec les universités francophones du pays un réseau de même envergure qu’avec les universités flamandes. Ces dernières ont totalement adhéré à notre modèle. Nous comptons ainsi parmi nos actionnaires la KU Leuven et les universités d’Anvers et de Gand. Que pouvez-vous faire de plus ?

Nous allons sans doute ouvrir notre fonds également aux secteurs pharma et des équipements médicaux. C’est pourquoi nous souhaiterions attirer des gens de ces secteurs dans notre capital et agrandir la taille du fonds.

Dans quelle mesure le fonds peut-il s’élargir à l’international ?

Nous comptons pour l’heure un seul investissement à l’étranger, près de Lyon. Toutefois, nous entendons également nous tourner vers des universités proches de nos frontières comme Aix-la- Chapelle, Eindhoven, Lille et Maastricht. Notre ex- pertise et notre modèle peuvent fonctionner dans les régions entourant notre pays, tant que l’on reste dans un rayon de 500 kilomètres. Nous n’irons pas plus loin, car nos gestionnaires d’investissementdevraient alors prendre l’avion pour superviser les start-up dont ils ont la charge. Et c’est le genre de dépenses que ces jeunes entreprises ne peuvent assumer.

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