En marge du top 30 000 : Divisons par deux l’impôt des sociétés

En moyenne, nos entreprises ne paient sur leurs bénéfices qu’un peu plus du tiers du taux d’impôt officiel. Pourquoi dès lors le maintenir ? Internationalement, il fait peur et à l’intérieur de nos frontières, il entretient l’illusion que la Belgique est un paradis fiscal.

Par Tony Coenjaerts

Du côté des entreprises en effet la perception est fondamentalement différente. Moins de 4 % des 307 responsables d’entreprise interrogés à l’occasion de la sortie de presse de notre Top 30.000 estime vivre dans un paradis fiscal. Ils sont plus nombreux encore (77 %) à souhaiter une assiette d’imposition européenne commune mais se séparent ensuite en deux camps de force plus ou moins égale. Une grosse moitié (55 %) aimerait un taux d’imposition uniforme. Une petite moitié (45 %) souhaiterait un taux articulé dans certaines limites autour d’un pivot commun, un peu à l’image du Serpent Monétaire Européen (SME) d’autrefois.

L’impôt des sociétés agace nos entreprises. Mais il y a pire. Huit chefs d’entreprise sur 10 estiment souffrir davantage de la hauteur de nos charges salariales que de la hauteur des impôts payés et 45 % des personnes interrogées seraient même prêtes à accepter une augmentation du taux d’imposition en échange d’une réduction proportionnelle des charges patronales. La mesure rencontre toutefois un nombre égal (46 %) d’opposants. L’Europe elle-même n’y travaille que mollement. La Commission, estime en effet “n’avoir pas pour projet d’harmoniser les taux fixés par les Etats”. Ces derniers, poursuit-elle, “relèvent du droit souverain” des Etats. Un droit en réalité plus théorique qu’absolue dans la mesure où chaque entreprise peut déplacer ses bases fiscales comme elle l’entend. Mutatis mutandis, l’argument reste valable en cas de régionalisation de notre impôt des sociétés.

Droit souverain

Faisant usage de son “droit souverain”, notre pays a fixé le taux d’imposition de nos sociétés à 34 %, soit le plus haut de l’Europe des 27 (celui de Malte excepté). Mais dans cet enfer fiscal, il existe plus d’un accommodement avec le ciel. Trois chefs d’entreprise interrogés sur quatre estiment en effet que les grandes entreprises ne paient pratiquement aucun impôt sur leurs bénéfices. Le principal responsable de l’écart souvent énorme entre bénéfice avant et après impôt est selon eux la déduction d’intérêts notionnels (41 %). Viennent ensuite les revenus déjà taxés (25 %) et les pertes fiscales (21 %)

Pratiquement deux tiers (65 %) des personnes interrogées estiment que la déduction des intérêts notionnels ouvre la porte à divers abus. Les remèdes proposés se situent toutefois aux antipodes des mesures préconisées par le futur gouvernement. Quatre sondés sur 10 se montrent favorables à la suppression des intérêts notionnels en échange d’une diminution du taux d’imposition. Un quart d’entre eux souhaite limiter la déduction des intérêts notionnels aux bénéfices réinvestis dans l’entreprise ; 15 % voudraient les voir calculés sur une base consolidée et 10 %, lier leur application à la création d’emplois. La mesure retenue par l’équipe Di Rupo, diminuer le taux des intérêts notionnels, ne rencontre même pas 5 % d’adhésions.

RDT

Voilà pour la perception. La réalité maintenant, calculée au départ des chiffres du nouveau Top 30.000 qui porte sur les données de l’exercice 2010. D’emblée, l’adage “selon que vous serez puissant ou misérable…” se vérifie avec une remarquable constance. Pour les mêmes raisons que celles évoquées dans notre sondage mais pas dans le même ordre.

Pour en avoir le coeur net, nous avons ausculté les causes de l’écart entre le bénéfice avant et le bénéfice après impôt des 842 entreprises industrielles et commerciales qui dans notre base de donnés affichaient en 2010 un bénéfice avant impôt supérieur à 10 millions d’euros. L’écart entre ce dernier et le bénéfice après impôts doit en principe être détaillé dans l’annexe ad hoc. En pratique, plus d’une entreprise oublie de le faire. D’autres se contentent d’un lapidaire “avantage de diverses législations” qui laisse évidemment le lecteur sur sa faim.

Ensemble, ces entreprises ont accumulé 57,8 milliards sur lesquels elles n’ont payé que 3,3 milliards, soit 5,71 %, au titre d’impôt sur les bénéfices. C’est mieux que l’année précédente. Elles avaient alors payé 4,35 %. Le phénomène n’est pas vraiment neuf et trouve principalement son origine dans le régime des RDT (Revenus Définitivement Taxés), traduisez : dividendes qui pour les entreprises sous revue culmine à 14,4 milliards et 16 milliards si l’on y ajoute les bonus de fusion. Le champion toutes catégories de ce régime est Exxon Mobil Petroleum & Chemicals avec 4,2 milliards devant Telenet Group Holding (1,7 milliard). Les RDT sont déductibles à 95 % et depuis l’arrêt Cobefret, reportables en cas d’absence ou d’insuffisance de bénéfice imposable.

Plus-values

Viennent ensuite les plus-values qui totalisent 11,8 milliards dans notre échantillon avec comme premier de cordée Solvay qui acte sous ce poste 2,5 milliards, essentiellement tirés de la vente des activités pharmaceutiques et de la participation dans Inergy Automotive Systems. Le prochain gouvernement s’apprête à taxer les plus-values les actions détenues depuis moins d’un sans faire de même pour les moins-values, ce qui ne nous semble guère correct et ne vise finalement que les “petits” dans la mesure où le seuil de durée de détention à partir duquel l’exonération est acquise est de facto atteint par tous les grands de la spécialité.

Les intérêts notionnels tant décriés ne viennent qu’en troisième position. Ils totalisent 10,8 milliards dont plus de 13 % sont à inscrire à l’actif d’AMFSB _ Arcelor Mittal Finance and Services Belgium _ un utilisateur intensif qui, en trois ans, est parvenu à déduire près de 4,3 milliards sous ce régime. C’est la plus belle reconversion des centres de coordination appelés à disparaître au 31 décembre de cette année au terme d’un interminable bras de fer avec l’Europe qui estimait ce régime d’aides incompatible avec le Marché commun. Fiscalement en effet, c’était le rêve. Les centres de coordination sont en effet imposés selon la technique du cost plus. Déterminé par l’ensembles des dépenses et frais de fonctionnement, ce dernier est frappé d’un pourcentage déterminé au cas par cas compte tenu de la nature et de la caractéristique des activités exercés mais toujours d’une extrême modicité. Anticipant la fin de ce pactole, les centres de coordination ont réagi en ordre dispersé. Les uns ont joué à fond la carte des notionnels. D’autres ont fermé leur portes ou sont en train de réduire leur capital.

Notionnels pour PME

Les intérêts notionnels sont extrêmement intéressants dans la mesure où ils peuvent être reportés durant sept ans en cas d’absence ou d’insuffisance de bénéfices. Les pertes antérieures de leur côté sont reportables sans limite dans le temps. En 2010, les entreprises de notre échantillon en ont fait usage pour 1,8 milliard. Ce qui précède explique pourquoi le futur se trouve déjà, quelles que soient les velléités taxatrices du nouveau gouvernement, fiscalement bridé. Le montant des latences accumulées par ces mêmes entreprises dépasse en effet les 21 milliards. En regard, les dépenses non admises par l’administration fiscales (1,7 milliard pour l’année 2010) ne pèsent évidemment pas très lourd. Le plus gros rejet (517 millions) se situe chez GBL, suivi par Arcelor Mittal Gent (197 millions).

Nos sondés avaient donc raison. Nos 842 champions du bénéfice ne paient pratiquement pas d’impôt. Le phénomène n’est pas neuf. Ces mêmes entreprises n’ont jamais payé ensemble plus de 7 % d’impôt au cours des années 2006 à 2008. Mais avec de fortes variations individuelles. Si Belgacom et Mobistar ont enregistré en 2010 des taux d’imposition voisins, 28,6 % dans le premier cas, 29,8 % dans le second, le premier tombe, mesuré sur cinq ans, à 9 %. Le second par contre, grimpe à 32,3 % !

Ce modeste résultat global s’explique notamment par la présence de 140 sociétés holdings et non des moindres dans notre échantillon. En vertu des RDT, nos holdings, grands ou petits, ne paient pratiquement jamais d’impôt. Sur un bénéfice cumulé de 10 milliards, les 1.100 sociétés à portefeuille reprises dans notre base de données n’ont décaissé que 68 millions au titre d’impôt des sociétés. S’y ajoute la présence dans notre échantillon d’intercommunales et de sicav qui bénéficient toutes de régimes particuliers. Soumises à l’impôt des personnes morales, les premières acquittent le peu qu’elles doivent sous forme de précomptes. Les secondes sont certes soumises à l’impôt des sociétés mais uniquement sur les dépenses non admises et la avantages anormaux ou bénévoles perçus. Tout cela tire bien évidement la moyenne vers le bas et tend à faire oublier que 123 entreprise de notre tableau paient en moyenne sur cinq ans plus de 30 % d’impôt sur leur bénéfice, les meilleurs contribuables ayant été au cours de cette période GSK Biologicals (694 millions), Mobistar (650 millions) et Colruyt (483 millions). Ensemble, elles occupent près de 70.000 personnes.

Contribution citoyenne

Le taux moyen d’imposition remonte-t-il au fur et à mesure que l’on descend dans la hiérarchie ? Timidement. Si l’on considère comme “grandes entreprises” toutes celles qui publient leurs comptes annuels selon un schéma complet, le pourcentage monte à 0,1 %, moins de la moitié de ce paient les “petites entreprises”, c’est-à-dire celles qui publient leurs comptes annuels selon un schéma simplifié. Pour elles, la ponction atteint 21,8 %. Le bénéfice cumulé des 13.000 grandes entreprises que recèle notre base de données pesant nettement plus lourd que celui des 137.000 petites, le taux d’imposition global ne s’en trouve guère modifié et s’élève à 12,11 %, un peu plus du tiers du taux officiel.

Le bon sens invite dès lors à se demander s’il ne serait pas plus sage de d’abaisser considérablement le taux d’imposition officiel et dans le même temps, de supprimer l’essentiel des niches, exonérations et autres exceptions. La simplicité et la transparence y gagneraient et internationalement, nous perdrions un repoussoir. Un quart des entreprises de notre échantillon n’occupe pas de personnel ! Ce sont des constructions financières. Un taux plus avenant pourrait peut-être attirer dans notre pays de vrais entrepreneurs plutôt que des financiers et favoriser dès lors davantage l’emploi. Tel est en tout cas le message délivré par les répondant à notre enquête qui ne souhaitent pas la fin des notionnels mais demandent que le système soit réservé aux PME.

Peut-être même faudrait-t-il pousser le raisonnement plus loin et cesser de se focaliser sur le seul impôt des sociétés. Si l’on y ajoute les impôts et taxes liés à l’exploitation, le taux d’impôt payé par nos 842 entreprises remonte à 19,8 %, soit sur une période de cinq ans, quelque 26 milliards. Pas mal mais peu de choses finalement en regard de ce que l’on pourrait appeler la contribution citoyenne de ces mêmes sociétés. Ensemble, elles ont au cours de cette même période payé 23 milliards de cotisations patronales et 27 milliards de TVA. Si l’on y ajoute le précompte professionnel sur les salaires (20 milliards) et les précomptes mobiliers retenus (3 milliards), le total des contributions versées au trésor par ces mêmes entreprises atteint 100 milliards, soit 20 milliards d’euros sur base annuelle. Six fois plus que le seul impôt des sociétés 2010.

Une contribution est-elle un impôt ou vice-versa ? Disserter à perdre haleine sur ces nuances sémantique ne change toutefois rien à l’essentiel. C’est au départ des mêmes entreprises que ce montant conflue vers les mêmes caisses. Peu importe finalement le canal. Encore une fois, le bon sens ne suggère-t-il pas de prendre en considération l’ensemble du flot plutôt que de manifester avec slogans et calicots devant l’étiage même endémique de l’un ou l’autre affluent ?

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