En 2019, le capitalisme sera engagé ou ne sera pas

Nike a choisi le "quarterback" Colin Kaepernick pour sa campagne d'automne 2018. La controverse a créé pour le fabricant d'articles de sport une immense publicité gratuite. © belgaimage

Avec les guerres commerciales, la montée des populismes ou le Brexit, les marques peineront désormais à échapper aux débats politiques.

Quand le groupe Nike cherchait un visage pour sa campagne de l’automne 2018, il aurait pu miser sur une valeur sûre. Au lieu de cela, le fabricant d’articles de sport a choisi un des athlètes les plus controversés des Etats-Unis, Colin Kaepernick, un quarterback qui s’est agenouillé pendant l’hymne national en août 2016 pour protester contre le racisme et les violences policières. Le président Donald Trump l’a condamné et la National Football League l’a évincé.

La décision de l’entreprise a provoqué des réactions immédiates, certains partisans de Trump brûlant leurs chaussures Nike et publiant ces scènes filmées sur les réseaux sociaux. Toujours est-il qu’en quelques semaines, les ventes en ligne ont connu une ascension spectaculaire et que le cours de l’action a atteint son plus haut niveau depuis le début de l’année. La controverse a créé pour la marque une immense publicité gratuite. Deux tiers des clients de Nike ont moins de 35 ans et les jeunes consommateurs (ceux que ciblent les publicités) se sont montrés extrêmement favorables à cette collaboration avec Colin Kaepernick.

“Woke capitalism”

La décision de Nike a constitué un exemple de ce qu’on appelle le woke capitalism (un terme inspiré de l’expression africaine-américaine stay woke, qui signifie ” restez informés “, en particulier sur les questions de discrimination) : un ” capitalisme éclairé “, de la part d’entreprises souhaitant s’associer à des causes progressistes. Cette tendance s’accentuera en 2019. Auparavant, la plupart des entreprises préféraient ne pas trop prendre position sur le plan politique, par crainte d’offenser certains consommateurs ; comme l’aurait dit le grand basketteur Michael Jordan, ” les républicains achètent aussi des chaussures de sport “.

Le “capitalisme éclairé” est un exercice d’équilibre difficile pour les entreprises.

A présent, les entreprises ne peuvent plus échapper à la politique. Le président Trump leur reproche souvent de fabriquer leurs produits à l’étranger ou de ne pas soutenir son programme. Les Parlements convoquent les dirigeants des géants du Web pour fustiger leur inefficacité dans la lutte contre les discours de haine, le terrorisme ou la maltraitance des enfants. En cette ère des réseaux sociaux, il suffit de quelques heures pour que des controverses éclatent.

Des problèmes majeurs, qui exigeront une réaction de la part des entreprises, continueront d’émerger. En 2018, la fusillade de Parkland en Floride a incité les compagnies aériennes Delta et United Airlines à renoncer aux ristournes accordées aux membres de la National Rifle Association (association américaine en faveur de la vente libre d’armes à feu). Comme dans le cas de Nike, la décision a suscité une réaction à droite, mais les compagnies ont tenu bon. Un projet de suppression des allégements fiscaux de Delta en Géorgie, où la société a son siège, a été discrètement abandonné.

Controverses politiques

Le ” capitalisme éclairé ” est un exercice d’équilibre difficile pour les entreprises. Elles doivent être certaines que leurs clients se situent dans les bonnes catégories de la population – et qu’elles sont en mesure de faire face à une opposition politique. On peut facilement défier les différents Etats des Etats-Unis, mais pour ce qui est du gouvernement fédéral ou de l’Union européenne, c’est une autre histoire. La Caroline du Nord a renoncé à interdire les toilettes transgenres après un boycott des entreprises, mais la chaîne de supermarchés Target a perdu des ventes après avoir soutenu publiquement ce type de toilettes.

Avec l’escalade des différends commerciaux entre les Etats-Unis et le reste du monde, et le passage du Brexit à la prochaine étape, les entreprises seront inévitablement entraînées dans les controverses politiques en 2019. Les chaînes d’approvisionnement étant mondiales, les multinationales déplacent souvent les composants entre différents pays. Elles seront confrontées à des coûts supérieurs si elles doivent relocaliser leur production et seront tentées de se faire entendre. Peu d’entreprises se réjouiront de devoir prendre parti pour les Etats-Unis, la première économie mondiale, ou la Chine, qui joue un rôle essentiel dans leur chaîne d’approvisionnement.

Et avec les succès récents des partis populistes en Europe, les controverses culturelles vont s’intensifier. Les pénuries potentielles de travailleurs inciteront de nombreuses entreprises à faire campagne en faveur d’une migration plus ouverte, le risque étant d’offenser les politiciens nativistes. La perspective d’une Cour suprême plus conservatrice aux Etats-Unis pourrait remettre à l’ordre du jour des questions comme l’avortement et les droits des couples de même sexe.

Une campagne efficacement menée par une entreprise dans un pays peut échouer dans un autre. Les chefs d’entreprise devront être aussi au fait de la politique qu’un candidat à la présidentielle à la veille d’un débat télévisé.

Par Philip Coggan.

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