Des relations délicates avec la Chine dans l’automobile et l’aéronautique

En 2013, les employés de l'usine VW de Shanghai posent devant la première New Santana sortie de la chaîne. © Gettyimages

Crise ou pas, les secteurs de l’automobile et de l’aéronautique ont plutôt à gagner d’une relation plus approfondie avec la Chine qui représente le tiers des ventes de certains constructeurs européens. Mais peut-on refuser que les entreprises chinoises fassent leur marché en Europe ?

Rapatrier des productions aéronautiques et automobiles d’entreprises européennes actuellement situées en Chine ? Les spécialistes du secteur sont sceptiques. La situation est très différente de certaines activités stratégiques, comme on l’a vu pour les masques. ” La Chine est un importateur net en équipement aéronautique “, indique Christian Boas, CEO d’Asco, fabricant de pièces aéronautiques en métal à haute résistance pour Airbus et Boeing, basé à Zaventem. Il faut donc accepter de produire en Chine pour fournir ce marché. Y renoncer serait risqué : ce pays pèse 20% des ventes d’Airbus ou de Boeing.

Pour l’industrie automobile aussi, la Chine est devenue trop précieuse pour plusieurs constructeurs. Surtout pour le groupe Volkswagen qui y produit sous diverses marques et compte bien sur ce marché pour sauver son année 2020. Le communiqué sur les résultats du premier trimestre annonce que VW devrait dégager un résultat opérationnel positif sur l’année. En 2019, la Chine représentait 4,2 millions de voitures livrées sur un total mondial de 10,97 millions pour le groupe allemand.

La Sonaca restera en Chine

Si l’on détaille le dossier aéronautique, l’Europe et les Etats-Unis bénéficient de l’absence de la Chine dans le marché des avions civils de plus de 100 places. Les pouvoirs publics de Pékin encouragent le développement d’appareils concurrents à Airbus et Boeing : le Comac C919 (dans le segment des moyens-courriers monocouloirs Airbus A320) qui a fait quelques vols d’essai, et le Comac C929 (un long-courrier à double couloir), encore à l’état de projet. Le premier n’est pas encore certifié. ” Il y a encore du travail à faire “, indique un expert du secteur. La Chine espère réduire à long terme sa dépendance aux avions occidentaux.

Si l’on parle d’un débat sur la relocalisation de la production, il se pose davantage pour les Chinois que pour les Européens. Airbus a ainsi installé une usine à Tianjin. Elle assemble six Airbus A320 par mois. Le groupe wallon Sonaca y est aussi actif. ” Nous avons suivi Airbus, déclare Bernard Delvaux, CEO de la Sonaca. Nous y fabriquons des bords d’attaque d’ailes. ” Il estime que le débat sur une relocalisation n’a pas de sens pour cette implantation, ” car l’activité de cette usine concerne l’approvisionnement du marché chinois “.

En 2019, la Chine représentait 4,2 millions de voitures livrées sur un total mondial de 10,97 millions pour le groupe Volkswagen.

Une petite partie de la production de l’usine chinoise peut être envoyée en Europe. ” Nous avons trois sites qui produisent les mêmes éléments, en Belgique, en Roumanie et en Chine. Si l’un nous fait défaut, les autres peuvent assurer la sécurité de l’approvisionnement. ” Bloquée durant trois semaines par la pandémie, l’usine chinoise a rouvert. L’usine de Gosselies, elle, a fermé, puis repris la production à 20% de sa capacité. Bernard Delvaux estime que le marché de l’aéronautique, qui pratique la petite série, convient mal à la production low cost en Chine. ” Si nous voulons produire pas cher, nous préférons le faire en Roumanie plutôt qu’en Chine, c’est plus facile. C’est l’Union européenne, c’est moins loin et c’est moins cher. ” La pression des coûts imposée par les constructeurs clients comme Airbus a obligé les sous-traitants tel Sonaca ou le bruxellois Sabca à ouvrir des ateliers dans des pays comme la Roumanie ou le Maroc.

Automobile : des ajustements possibles

Si l’on explore le secteur de la fabrication automobile, une certaine relocalisation est à l’ordre du jour. ” Depuis déjà quelques années, on se demande si l’on n’a pas atteint un sommet dans la globalisation, s’il ne faut pas revenir en arrière. La question est légitime “, reconnaît Philippe Houchois, analyste financier spécialisé dans le secteur automobile à la banque Jefferies. ” Faut-il produire plus près des marchés ? Il y a des aberrations. Un constructeur allemand fabrique des moteurs au Royaume-Uni avec des pièces moulées dans un pays, usinées dans un autre puis renvoyées ailleurs pour le calibrage. On peut se poser la question d’une relocalisation partielle. ”

Des relations délicates avec la Chine dans l'automobile et l'aéronautique

Ces ajustements ne concernent pas forcément les relations avec la Chine. Pour les mêmes raisons que dans l’aéronautique : les constructeurs européens, surtout allemands, produisent beaucoup en Chine pour alimenter ce marché, le premier au monde (21 millions de voitures vendues en 2019). BMW et Daimler y vendent près d’un tiers de leur production. Volvo produit aussi en Chine mais son propriétaire, le constructeur privé Geely, est chinois et certains éléments sont développés en commun entre Volvo et Geely.

” La production en Chine d’éléments pour le marché européen reste encore marginale, continue Philippe Houchois. “Evidemment, il suffit d’une pièce manquante pour bloquer la production. Il y a quelques semaines, on s’inquiétait en Europe d’un manque possible de composants venant de Chine. Maintenant c’est l’inverse, ce sont les Chinois qui s’inquiètent pour la disponibilité d’éléments importés d’Europe. Pour l’instant, avec cette crise, on n’a pas vu d’arrêt de chaînes pour cette raison.” L’émergence des voitures électriques pourrait accroître ces importations lointaines, car la Chine est la championne des batteries. “La localisation de la production de batteries est un thème que l’on voit à l’oeuvre, avec l’usine Northvolt en Suède et la production en France, projetée par Saft (Total) et Peugeot (PSA). C’est une déglobalisation qui s’entame.”

Difficile d’écarter l’investisseur chinois

L’autre souci est le risque de voir les Chinois profiter de la crise qui fait baisser les valeurs des entreprises en Europe pour en racheter des ” fleurons “. L’Allemagne s’en inquiète, la Commission européenne encourage les pays membres à installer un dispositif de protection, quand il n’existe pas déjà. Après tout, Geely a déjà racheté Volvo en 2010 et détient 10% de Daimler depuis 2018, un groupe dont l’actionnariat est fort éclaté. Il en est même le premier actionnaire.

Y aura-t-il d’autres surprises du même genre en Europe ces prochains mois dans l’automobile ? ” Si les Chinois veulent obtenir davantage de parts dans Daimler, par exemple, et que l’Etat allemand veut s’y opposer, j’imagine que la réponse ( chinoise, Ndlr) est toute prête, assure Philippe Houchois. Depuis 10 ou 15 ans, diront-ils, vous êtes chez nous, on vous laisse rapatrier vos dividendes et vous pouvez maintenant racheter les joint-ventures, et donc, le principe de réciprocité suggérerait que l’on puisse racheter d’autres parts de Daimler. ”

Les Chinois imposaient aux constructeurs étrangers de conclure des joint-ventures avec des entreprises locales, qui supposaient des transferts de technologie, mais ils ont assoupli la règle. Les constructeurs étrangers peuvent négocier le rachat de ces joint-ventures. BMW a conclu un accord pour passer de 50 à 75% à partir de 2022 dans une importante joint-venture avec Brilliance China Automotive Holdings. Tesla a pu construire son usine à Shanghai sans passer par une joint-venture et vise, cette année, une production de 4.000 Model 3 par jour.

La conclusion, pour l’aéronautique comme pour l’automobile, est que les relations avec la Chine sont précieuses et délicates pour l’industrie européenne. ” En Europe, on voit parfois la Chine comme un ennemi, mais c’est le contraire “, estime même Ferdinand Dudenhöffer, expert du secteur automobile à l’Institute for Customer Insight à l’université de St.Gallen. Il estime même qu’il faut profiter du froid entre Washington et Pékin : ” Il faut augmenter la coopération “. Avec circonspection, toutefois, car l’expérience dans les marchés de produits télécoms ou ferroviaires a montré qu’un bon client peut aussi devenir, à terme, un grand concurrent. Comme l’est devenu Huawei, aujourd’hui numéro trois mondial du smartphone.

Partner Content