Des géants de l’agroalimentaire se mettent au zéro déchet: vraie bonne idée écologique ou “greenwashing” ?

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Face au rejet du plastique, les géants de l’agroalimentaire réfléchissent à une façon de proposer des produits consignés aux consommateurs. Pure conscience écologique ou greenwashing organisé ?

Le laitier arpentera-t-il dans un futur proche à nouveau les rues de nos villes et villages pour déposer ses bouteilles consignées en verre sur le pas de la porte, comme il le faisait à son âge d’or avant l’arrivée des bouteilles en plastique ? Le plastique a révolutionné le secteur alimentaire dans les années ’60, mais à l’heure actuelle, son utilisation est rejetée de toutes parts. Les chiffres parlent d’eux-mêmes: depuis 1950, 8,3 milliards de tonnes de plastique ont été produites sur Terre. Aujourd’hui, 91 % de cette quantité sont souvent des déchets accumulés dans nos océans et autres écosystèmes fragiles, selon Sciences Advances.

Face à ce constat alarmant, 25 géants de l’alimentaire – Procter & Gamble, Coca Cola, Unilever, Nestlé, PepsiCo, Danone, Mars Petcare, Mondelez International et d’autres parmi les plus grandes entreprises mondiales de consommation – ont décidé de s’associer pour trouver une solution pour limiter les déchets occasionnés par leur production.

Ils ont présenté leur projet commun baptisé “Loop” (“boucle” en anglais) au Forum Economique Mondial de Davos, en Suisse le 24 janvier dernier. Cette plateforme d’économie circulaire que l’on pourrait qualifier de “premier supermarché zéro déchet en ligne” est portée par l’entreprise TerraCycle. Fondée en 2001 aux Etats-Unis par Tom Szaky, elle se dit spécialisée dans “l’élimination de la notion de déchet”.

Une durée de vie de 100 utilisations

Les contenants réutilisables proposés par Loop.
Les contenants réutilisables proposés par Loop. © Loop

Concrètement, l’initiative écologique a comme objectif de créer de nouveaux emballages réutilisables et durables qui seront consignés. Un réseau de livraison assurera le transport des produits au domicile du consommateur, récupèrera ensuite les emballages vides afin de les nettoyer et de les remplir à nouveau pour une prochaine livraison. Les prix devraient être comparables à ceux d’un magasin de proximité. La livraison sera gratuite, le client payera le montant de la consigne (de quelques centimes à quelques euros) lors de sa première commande en ligne via l’application dédiée.

Selon les initiateurs de ce projet, les emballages sont conçus pour avoir une durée de vie d’au minimum 100 utilisations. Arrivés à ce stade, la société TerraCycle les recycle. Elle estime qu’après au moins 10 réutilisations, les nouveaux emballages seront meilleurs pour l’environnement que ceux en plastique. Pour maximiser le nombre de réutilisations, les contenants sont en matériaux durables comme l’acier inoxydable, l’aluminium, le verre et le plastique technique, plus résistant que le plastique jetable.

Les emballages de “Loop” seront aussi pensés pour, par exemple, garder la glace froide un peu plus longtemps. Mais pour garantir leur succès, en plus d’être pratiques et innovants, ils devront séduire les consommateurs par leur design attrayant. Laurent Vallée, secrétaire général du groupe Carrefour qui est pour le moment le seul distributeur associé au projet en France explique : “Nous allons proposer des packagings permanents et durables pour une vingtaine de produits alimentaires : huile, vinaigre, pâtes, riz, poivre… Ce seront des contenants plus élégants“.

Selon le site Vox, la glace Häagen-Dazs sera stockée dans des boîtes en acier inoxydable, les déodorants Axe et Dove dans des contenants en acier supposés durer 8 ans, ou encore, le jus d’orange Tropicana retournera dans sa bonne vieille bouteille en verre et le shampooing Pantène dans une bouteille en aluminium. “Nous pensons que pour convertir un maximum de monde à la problématique de la réduction des déchets, il est important de ne pas trop changer les habitudes, et donc permettre d’acheter les grandes marques”, déclare Laure Cucuron, directrice générale de TerraCycle, sur le site de Challenges.

Et l’empreinte carbone ?

Proposer des emballages réutilisables est louable, mais on peut se poser la question de l’empreinte carbone émise par ces livraisons dans des villes déjà saturées par les camionnettes des différentes sociétés d’e-commerce. Le système repose en effet sur des transports supplémentaires, même si tous les partenaires affirment “les optimiser au maximum” et “s’appuyer sur le réseau existant”. D’après les calculs de TerraCycle, à partir de cinq réutilisations, l’emballage aurait un impact carbone inférieur à ceux des objets à usage unique livrés par l’e-commerce classique, qui génère déjà son lot d’émissions de C02, selon Challenges.

Des géants de l'agroalimentaire se mettent au zéro déchet: vraie bonne idée écologique ou
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Le site Emballages Magazine se pose aussi la question : “ qui voudra d’une bouteille ébréchée ou d’une boîte cabossée ? “. Synchroniser l’utilisation d’articles aussi différents que des céréales et du shampoing demande également un peu de vigilance au quotidien avance le site spécialisé. Au-delà du transport et du lavage, un emballage consigné suppose ensuite une ligne de conditionnement spécifique située à une distance raisonnable de la ville de livraison. “Sur le strict plan de la sécurité sanitaire, assurer la conservation, l’hygiène et la traçabilité au même niveau que le préemballé avec un emballage consigné demeure un réel défi “, poursuit Emballages Magazine.

“Greenwashing” et pur plan de com’

Loop” entrera en phase de test avec 5.000 utilisateurs triés sur le volet, au printemps aux Etats-Unis et au mois de mai en France, selon des informations du Wall Street Journal. Deux grands distributeurs en Europe, Carrefour en France et Tesco au Royaume-Uni, sont déjà partenaires et d’autres pourront, à terme, rejoindre le développement de “Loop” en France. La plateforme ne comptera qu’une centaine de références à son lancement. L’objectif est d’atteindre les 600 références dans un an. “Loop” proposera également des produits de sa propre marque pour compléter l’offre. Carrefour, de son côté, proposera dans un premier temps une vingtaine de produits sur la plateforme et déploiera progressivement son offre d’ e-commerce zéro déchet. TerraCycle prévoit d’étendre son projet à Londres fin 2019, puis Toronto, Tokyo et San Francisco. “Le test permettra à Loop d’aplanir toutes les difficultés avant que le programme ne soit ouvert au grand public“, explique Tom Szaky le patron de la société.

Des ONG dénoncent ce projet comme du “greenwashing” de la part des multinationales impliquées, un procédé marketing utilisé pour se donner une image écologique responsable. Des acteurs déjà impliqués dans le zéro déchet à une plus petite échelle la considèrent comme une pure opération de communication pour se dédouaner de la pollution que ces grands groupes occasionnent.

Cette initiative, aussi limitée soit-elle, a le mérite de lancer des pistes en termes de recyclage et de limitation de la production et de l’utilisation du plastique. “Loop” représente une motivation pour les citoyens de changer leurs habitudes de consommation en se tournant vers le vrac, dont les initiatives sont de plus en plus locales. Alors qu’un rapport du GIEC datant d’octobre dernier assure qu’il nous reste 12 ans pour sauver la planète, le projet de TerraCycle souligne que l’impulsion de changer les habitudes de consommation doit aussi venir des géants du secteur alimentaire et ne doit plus être porté que par des citoyens conscients des enjeux climatiques. Tom Szaky espère que d’ici les années 2060, un siècle donc après l’arrivée des plastiques dans l’alimentation, “la boucle sera bouclée.”

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