Dans l’ombre de la machine Krëfel

© Krefel PG

Malgré la crise et la forte concurrence, la chaîne de magasins d’électroménager continue à grandir. Derrière cette success story se cachent les Poulet, une discrète famille bruxelloise bien décidée à garder le contrôle sur l’efficace “machine de guerre” qu’elle déploie depuis plus de 50 ans.

En choisissant un nom à consonance teutonne – en référence à Krefeld, la ville allemande où il avait travaillé – Auguste-Marcel Poulet a voulu donner à son entreprise spécialisée dans la vente d’électroménager une image en lien avec la solidité et la fiabilité des produits d’outre-Rhin. Bingo ! Cinquante-deux ans plus tard, la chaîne de magasins Krëfel, appartenant aux descendants de son fondateur, jouit toujours d’une réputation de sérieux et de qualité auprès des consommateurs. Avec ses 71 points de vente, elle est même leader du marché belge et continue, malgré la crise et la présence de grands groupes internationaux comme Media Markt (Metro), à grandir. Après le cru record de 2008, la société a vu son chiffre d’affaires 2009-2010 (clôturé fin mars 2010) progresser de 6 % à 375 millions d’euros (TVA comprise). “Krëfel, c’est une véritable machine de guerre !”, observe un de ses concurrents. Derrière l’enseigne bleue se cachent, en effet, une gestion et un mode de fonctionnement très rigoureux, un peu comparables à ceux du groupe Colruyt.

Une famille très discrète et bien conseillée à la barre

Depuis le 1er janvier, c’est Pascal Poulet, chef de file de la troisième génération de cette famille originaire de Meise, qui est le CEO de l’entreprise. Mais pas question pour ce jeune quadra (41 ans) de se mettre en avant. Et encore moins de pousser vers la sortie son père Marc (63 ans) et son oncle Jean-Pierre (64 ans). Les “frères Poulet”, comme on les surnomme, ne s’occupent plus de la gestion quotidienne mais, souligne Pascal Poulet, “ils gardent le titre d’administrateur délégué et restent impliqués dans les décisions stratégiques”.

Fils unique, Pascal Poulet est né et a grandi dans les magasins Krëfel. Après une formation commerciale, il travaille dans les points de vente et passe par tous les départements de l’entreprise familiale. “Comme mon père et mon oncle”, précise-t-il. A présent, il est le numéro un de la société mais il est cornaqué par Jos Van Belle (58 ans), COO (chief operating officer). Qualifié de “troisième frère”, ce dernier est l’homme de confiance de la famille Poulet.

Ce fils de commerçant d’Asse a été engagé chez Krëfel voici 33 ans, en tant qu’adjoint du directeur financier. “C’est en grande partie grâce à M. Van Belle que la société a bien évolué et s’est bien structurée”, souligne le nouveau patron. En plus des finances, Jos Van Belle s’est toujours occupé de la logistique, l’informatique, l’administratif, laissant la partie commerciale et le marketing aux Poulet. “Nous sommes des commerçants. Nous avons cela dans nos gènes”, justifie Pascal Poulet, également administrateur comme Jos Van Belle.

La famille, qui détient 100 % des actions, a déjà songéà ouvrir son capital. En 1999, elle était fin prête pour entrer en Bourse mais y a renoncéà cause de l’effondrement des marchés. En 2006, elle a aussi été approchée par différents investisseurs. Aujourd’hui, elle semble bien accrochée. “La famille veut garder 100 % du contrôle de l’entreprise”, affirme Pascal, qui devrait un jour être rejoint à la tête du groupe par son cousin Laurent, le fils de Jean-Pierre. Ce dernier, âgé de 21 ans, poursuit des études commerciales à Gand. “Nous avons toujours eu l’habitude de travailler avec deux personnes de la famille aux côtés de M. Van Belle”, relève le CEO. Laurent étant plus néerlandophone que Pascal, les deux héritiers se compléteraient parfaitement.

Même si l’entreprise a fortement grandi, elle a gardé une petite structure et une organisation très souple. “Cela nous permet de prendre rapidement les décisions”, explique Jos Van Belle. “Chaque semaine, nous tenons des réunions avec nos cadres et chefs de service, complète Pascal Poulet, car nous voulons avoir un oeil sur l’ensemble de nos activités et tout contrôler.”

Comme Colruyt

C’est la raison pour laquelle, à l’image du groupe Colruyt, un maximum d’activités sont réalisées en interne : le service après-vente, la logistique, l’informatique, le transport, la formation, etc. Cela va jusqu’au car-wash, que le groupe a installé dans ses entrepôts pour laver ses propres camions effectuant quotidiennement entre 600 et 1.000 livraisons chez les clients. Tous ces départements sont centralisés sur le site de Krëfel à Humbeek (Grimbergen), qui n’a cessé de s’étendre ces dernières années pour occuper près de cinq hectares. “Grâce à notre taille et notre nouveau centre logistique qui permet de stocker deux fois plus de marchandises, nous pouvons acheter directement auprès de nos fournisseurs en grandes quantités. Cela nous permet d’obtenir de meilleures conditions d’achat et de pratiquer des prix très compétitifs”, explique le CEO.

Comme Colruyt, la chaîne dispose également d’un service qui compare les prix avec la concurrence. L’extension du siège central a aussi permis à Krëfel d’y installer son propre centre de formation, la Krëfel Academy, et, dès lors, de ne plus devoir louer de salles de séminaires. “Comme nos gammes deviennent de plus en plus larges, nous attachons énormément d’importance à la formation de notre personnel”, souligne Pascal Poulet. Tant le personnel de vente que les livreurs et les installateurs y passent en moyenne quatre ou cinq fois par an. Krëfel est qualifiée, par certains fournisseurs, de société patriarcale. “Ce n’est pas une société dans laquelle les collaborateurs sont des numéros”, assure le CEO.

Priorité à l’expansion en Belgique et sur fonds propres
La famille Poulet a fermé son magasin au grand-duché de Luxembourg pour se concentrer sur le marché belge. “Il y a encore tellement de potentiel en Belgique”, estime le tandem. Sans compter l’agrandissement de ses points de vente existants pour tendre vers son format de prédilection (2.000 m2), il vise les 90 magasins. La restructuration de Carrefour lui ouvre, par ailleurs, de nouvelles opportunités. Le distributeur veut, en effet, partager les espaces de certains de ses hypermarchés, comme ce sera le cas à Fléron et à Flémalle. Grandir sur le marché des cuisines équipées (27 Krëfel disposent d’un show-room) est une autre priorité. “Krëfel s’est diversifiée dans les cuisines voici une dizaine d’années car les marges y sont plus élevées, relève Claude Boffa, consultant spécialisé en distribution chez Coach Europe. Mais la société demeure un challenger sur ce marché déjà bien encombré avec EGGO (Eurocenter) et Ixina (ex-Electrocash).” Krëfel veut, en outre, élargir son offre de produits, à l’art de la table par exemple. “Cela constituerait une belle gamme complémentaire”, estime Pascal Poulet.

Comme elle l’a fait jusqu’à présent, l’entreprise familiale compte financer sa croissance sur fonds propres grâce à l’évolution de son cash flow et de ses bénéfices. “La politique de la famille a toujours été de réserver un maximum de bénéfices pour le développement de l’entreprise et de limiter la distribution des dividendes. Résultat : nos fonds propres s’élèvent à plus de 55 millions d’euros, explique Jos Van Belle. Pour le moment, il n’y a donc pas de raison d’augmenter le capital.”

Sandrine Vandendooren

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