“Courant vert”: qui est Rodolphe Schennen, directeur général de Commerg ?

© pg/ PINEAPPLE MEDIA

En certifiant l’origine de l’électricité, ce Belge basé à Malte aide entreprises et producteurs énergétiques dans leur transition écologique.

Rodolphe Schennen est au coeur d’un business hautement politique, environnemental et économique. Ce diplômé en sciences politiques (UCL) qui voulait devenir diplomate brasse chaque année des milliards de kilowatts. Il connaît le réseau d’électricité européen comme sa poche et, depuis la république de Malte, via sa société Commerg, aide les entreprises à se fournir en énergie verte.

Justement, évitez de dire ” électricité verte ” ! L’expert rappelle qu’elle n’existe pas. Du moins pas au sens où on le croit parfois. ” L’électricité présente sur le réseau est un mégawattheure”, dit-il. Impossible d’en savoir plus sur les moyens utilisés pour la produire. “Par contre, on peut faire le lien entre le producteur d’électricité et le consommateur via des labels de garantie d’origine “. Des certificats qui, justement, sont au coeur du métier de Rodolphe Schennen.

Avant de se spécialiser dans l’énergie renouvelable, ce Bruxellois d’origine allemande, papa de deux jeunes enfants, a chargé ses accus dans de grandes entreprises en Europe et dans le monde. A la sortie de ses études, il passe un an et demi aux Etats-Unis chez Enterprise Rent-a-Car pour parfaire son anglais et se frotter à la culture managériale américaine. De retour à Bruxelles, il décroche un stage au bureau de lobby d’E.ON, producteur européen d’électricité. Il poursuit son expérience à Munich, toujours chez E.ON, où il découvre le trading d’électricité. Coup de foudre pour ce métier. ” Il s’agit d’analyser, d’acheter, de vendre, de risquer, de spéculer, d’optimiser. Mais à partir d’un produit réel, fruit d’un système complexe. C’est un job passionnant, à condition d’apprécier sa dimension politique. ” En effet, quoi de plus stratégique, pour un Etat, que son approvisionnement énergétique ? Mais la politique, Rodolphe adore. Seules lui manquent encore quelques connaissances économiques pour mieux ” électriser ” dans la discipline. Motivé, le futur courtier poursuit donc avec un DES en business et administration à l’Ichec.

Appétit du risque

Mieux capé, il saisit alors son graal : un poste de trader au sein du groupe suisse BKW, spécialisé dans l’énergie et les infrastructures. ” C’était une occasion extraordinaire d’apprendre le fonctionnement du marché de l’électricité européen. La Suisse, de par sa position géographique et son profil énergétique, joue en effet un rôle de pivot. ” Alors que la France puise surtout dans le nucléaire et l’Italie dans le gaz, que l’Allemagne se repose sur un mix, 70 % de la production suisse d’électricité est, elle, d’origine hydraulique. ” Les Suisses sont les champions de la flexibilité, poursuit Rodolphe Schennen. Ils sont capables de toujours s’ajuster à la demande grâce à leurs centrales hydrauliques. ” Pour l’apprenti trader, cet environnement de travail se révèle en tout cas particulièrement stimulant. ” Mon management cultivait un appétit pour le risque. On explorait de nouvelles stratégies, on ouvrait les options, on analysait les interconnexions entre les pays… ”

Aujourd’hui, toutes les grandes entreprises souhaitent un approvisionnement énergétique renouvelable, pour leur image, mais aussi parce qu’elles ont une responsabilité écologique.

Après ces trois années formatrices à Berne, Rodolphe Schennen, poursuit à Londres chez Gazprom. Le gazier russe souhaite alors lancer l’activité de trading d’électricité sur le marché continental et compte sur ce Belge polyglotte pour mener à bien la mission. ” Gazprom voulait une vue sur tous les marchés de l’énergie, pas uniquement le gaz. Il désirait aussi se positionner sur l’électricité. ” L’expert y fait des étincelles, appréciant le cadre ouvert à la prise de risque et à la maximisation que son métier autorise. Parce que si le trading sert à contrôler et à sécuriser l’approvisionnement en énergie, Rodolphe Schennen en admet la dimension spéculative, et se refuse à la diaboliser. ” Dès l’instant où une décision est prise sur le long terme, il y a une intention d’optimiser les coûts et, en quelque sorte, de générer un profit. ”

En 2010, Rodolphe Schennen saisit une opportunité chez Eneco, acteur européen de l’énergie bien connu chez nous. A Rotterdam, il se branche sur de nouvelles façons de faire, dans un contexte davantage tourné vers l’avenir, avec les énergies renouvelables. ” Nombreux sont ceux qui travaillent encore avec des énergies indésirables dans leur portefeuille, tels que le charbon ou le nucléaire. Par rapport aux autres acteurs du marché, Eneco avait une longueur d’avance. ” Dans l’entreprise néerlandaise, le trader apprend aussi à intégrer le risque politique dans ses analyses et ses décisions. ” Il faut savoir que le prix de l’énergie provenant de sources renouvelables ne dépend pas uniquement de la pluie et du beau temps, mais aussi des politiques énergétiques. Si un gouvernement impose une taxe sur l’énergie ou si un parti écologiste est au pouvoir, les prix de l’électricité peuvent varier. ”

Du flair pour les affaires

En 2013, nouveau changement: un ancien client d’Eneco lui propose de le rejoindre à Malte au sein de la structure qu’il a créée, Commerg, une société qui fournit des produits en électricité et gaz sur mesure pour le marché de gros et veut sa part de marché de l’énergie renouvelable. La prise de risque et le nez fin ne sont-ils pas les qualités premières d’un bon trader ? Rodolphe Schennen décide de suivre ce filon, qu’il estime porteur. ” C’était le bon moment, l’énergie renouvelable étant en plein boom. ”

Cap donc sur ” l’île de miel ” où le Belge capitalise sur son expertise du marché de l’électricité pour développer tout le volet lié à la traçabilité de l’énergie. Il finit par racheter l’entreprise, l’orientant désormais uniquement vers l’activité liée aux certificats et aux labels de garantie d’origine. Parmi ses clients, Commerg compte les poids lourds de l’industrie énergétique comme Total, EDF, le néerlandais Essent ou le norvégien Statkraft, et commence à flirter avec les multinationales qui souhaitent ” verdir “. ” Aujourd’hui, toutes les grandes entreprises souhaitent un approvisionnement énergétique renouvelable, pour leur image, mais aussi parce qu’elles ont une responsabilité écologique “, constate l’expert.

Selon lui, il existe trois voies pour s’inscrire dans cette démarche. Soit en produisant l’électricité soi-même via panneaux solaires, éoliennes, ou autres. Soit en nouant des accords d’achat d’énergie – c’est-à-dire en établissant un contrat d’achat directement chez un producteur d’électricité renouvelable, pour consommation propre ou distribution. Soit en passant par une plateforme d’échange garantissant la traçabilité. Précisément le terrain de jeu de Commerg. Pionnière en Europe, la société offre aux entreprises la possibilité d’acheter et de vendre des certificats et des labels garantissant la traçabilité des mégawatts. ” Si une société veut du vent norvégien et du solaire belge, on lui fournit la certification. ”

Equipe de neuf personnes

Depuis que ce quadragénaire a repris les câbles de la structure, Commerg a évolué. La société s’appuie aujourd’hui sur une équipe de neuf personnes. Le chef d’entreprise a toujours les yeux rivés sur ses écrans de marché mais aussi sur les comptes. L’entreprise a généré un chiffre d’affaires de 700.000 euros l’année passée, qu’elle entend doubler en 2019. Véritable diplomate de l’énergie renouvelable, Rodolphe Schennen semble avoir parfaitement saisi toutes les nuances de vert de l’électricité, la complexité de ce marché et les enjeux stratégiques ou politiques qu’il représente…

Par Caroline Dubois-Legast.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content