Comment survivre face à Amazon et ses librairies physiques

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Pour Noël cette année, les Américains de quelques grandes villes ont eu le choix d’acheter leurs livres dans l’une des 13 librairies d’Amazon, un développement physique qui a commencé il y a deux ans à Seattle.

L’une des prochaines ouvertures illustre le combat industriel du géant de l’internet pour imprimer son empreinte jusque dans les centres-villes: à Bethesda, une banlieue aisée de Washington, la grande librairie Barnes & Noble va fermer ses portes, et Amazon va s’implanter à quelques pas.

Barnes & Noble, une chaîne elle-même accusée d’avoir écrasé les libraires indépendants, vend plus que des livres. Les clients traînent au café, les enfants écoutent des histoires sur une scène décorée. Les trois niveaux du magasin sont un passage obligé pour tout flâneur du centre de Bethesda, le week-end.

Mais Barnes & Noble n’a pas pu s’entendre sur le renouvellement de son bail et fera ses adieux en janvier, après deux décennies de présence, malgré une pétition signée par 5.600 riverains.

“J’emmène toujours mes enfants ici, je connais les vendeurs. C’est toujours triste quand une bonne librairie ferme”, regrette Sarah Pekkanen, une auteure locale dont la première séance de dédicaces a eu lieu là.

Mais Liz Cummings, qui dirige un centre d’écriture local, se félicite de l’arrivée d’Amazon, malgré tout. “Les gens veulent pouvoir acheter des livres. C’est mieux que rien”.

La grande différence entre Barnes & Noble et des libraires indépendants, d’une part, et Amazon d’autre part, est que les librairies Amazon en dur ne vendent que les best-sellers et les livres les mieux notés par ses clients, ainsi que quelques auteurs locaux. Les titres plus rares n’arriveront jamais dans ses rayons. Une sélection limitée.

“Notre culture sera en danger si on ne maintient pas de la diversité parmi les magasins qui vendent des livres”, dit Donna Paz Kaufman, une consultante du secteur de la distribution.

Elle explique qu’Amazon investit dans des magasins physiques pour toucher un certain type de consommateurs, plus aisés, plus diplômés.

“Ils s’intéressent au monde des librairies car c’est une sorte de portail”, dit-elle. “Ils ont commencé avec les livres car ils voulaient toucher des consommateurs qui achèteront ensuite plein d’autres choses”.

Ce qui sauvera les librairies indépendantes, selon cette analyste, c’est que “les jeunes recherchent de l’authenticité”.

Les indépendants reviennent

Les chiffres semblent confirmer son analyse.

Après l’apparition d’Amazon en 1995 le nombre de librairies indépendantes a plongé de 43% en cinq ans, selon une étude de la Harvard Business School. En 2011, la chaîne Borders a mis la clé sous la porte.

Mais de 2009 à 2015, la fédération des libraires American Booksellers Association a rapporté une hausse de 35%, le nombre de librairies indépendantes passant de 1.651 à 2.227.

La clé de cette renaissance, selon l’étude Harvard: une sélection attentive et la multiplication d’événements en magasins, pour attirer les clients.

Un exemple éclatant se trouve à Washington avec la librairie Politics and Prose, rachetée en 2011 par l’ancienne plume d’Hillary Clinton, Lissa Muscatine, et son mari Bradley Graham, ex-journaliste du Washington Post.

M. Graham convient qu’il est difficile de battre Amazon sur le prix et la facilité d’achat. Mais “il y a de la place pour nous sur le marché”, dit-il.

Avec sa femme, il a fait de Politics and Prose un mini-centre culturel, avec café, conférences d’auteurs et fréquentes séances de dédicaces. “Nous sommes plus des agents culturels qu’un instrument commercial”, dit-il.

Les marges sur les livres sont faibles, explique-t-il, ce qui force les libraires à développer d’autres activités plus rentables.

Il s’affiche, in fine, optimiste. “Le livre, avec quelques améliorations, existe depuis des siècles, c’est assez rassurant”, philosophe le libraire, qui souligne au passage l’essoufflement des livres numériques.

Politics and Prose aura très bientôt l’occasion de tester sa théorie: Amazon a prévu d’ouvrir une librairie à Georgetown, un quartier commerçant de Washington.

“Bienvenue dans le quartier. On est prêts”, dit Bradley Graham.

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