Comment Renault a retrouvé une forme spectaculaire

Avec 3,18 millions de véhicules vendus en 2016 dans le monde, Carlos Ghosn a de quoi jubiler, malgré sa mine sévère. © ELIOT BLONDET/REPORTERS

La marque au losange affiche les meilleures performances de son histoire, après avoir frôlé l’embardée en 2009. Ce redressement spectaculaire doit beaucoup aux synergies réalisées avec Nissan.

Une rouge, une blanche, une orange, puis à nouveau une rouge… Au premier regard, on ne voit qu’une longue file de petites citadines, toutes semblables, sur lesquelles s’activent des opérateurs aux gestes cadencés. Olivier Talabard, le directeur de l’usine Renault à Flins (dans la grande banlieue parisienne), nous enjoint de nous rapprocher de la chaîne de montage. Entre une Clio IV et une Zoé électrique, on découvre… une Nissan Micra ! Pour la première fois depuis sa création, en 1952, ce berceau de la marque au losange, qui a vu passer des millions de Dauphine, 4L, R16, R5 et Twingo, va en effet produire pour son partenaire Nissan. Mieux, d’ici à 2018, les deux tiers des 200 000 véhicules qui sortiront de ses chaînes chaque année seront des Micra. Pour produire cette citadine nipponne, le constructeur français a dû investir 110 millions d’euros dans la robotisation de l’usine et dans la formation des salariés. Mais le jeu en valait la chandelle. ” Cela a permis d’assurer l’activité du site pour les années à venir, et d’embaucher 350 personnes, auxquelles viendront s’ajouter 200 nouveaux CDI d’ici à la fin de l’année “, s’enthousiasme Olivier Talabard.

Au-delà du symbole, l’exemple de Flins reflète une réalité des plus tangibles : l’alliance Renault-Nissan n’a jamais été aussi profitable au constructeur français qu’aujourd’hui. Outre 1,8 milliard d’euros économisés en 2015 grâce aux synergies déployées, Renault semble enfin bénéficier à plein des échanges technologiques et industriels avec son partenaire japonais. Pour s’en convaincre, il suffit de décortiquer les résultats financiers du groupe. Tout proche de la sortie de route en 2009, la marque au losange a dévoilé, mi-février, les meilleurs résultats de son histoire : 3,18 millions de véhicules vendus en 2016 dans le monde – pour un chiffre d’affaires de plus de 51,2 milliards d’euros -, une progression de plus de 13 % par rapport à 2015. ” La meilleure performance de tous les généralistes “, fanfaronnait Carlos Ghosn, lors de la présentation des résultats financiers. La marge opérationnelle, véritable Graal pour tous les analystes financiers, a même fait un bond spectaculaire, passant de 5,2 % à 6,4 %, plaçant le champion français parmi les constructeurs les plus profitables de la planète.

Comment Renault a retrouvé une forme spectaculaire
© LV

Pendant qu’il égrenait la longue liste des chiffres flatteurs, pas une seule seconde Carlos Ghosn n’a quitté la mine sévère qu’on lui connaît. Pourtant, en son for intérieur, le PDG devait jubiler. Depuis des années, il lit les commentaires acerbes des spécialistes sur cette alliance qui, au mieux, ne servirait à rien, au pire, finirait par assécher les forces vives de Renault au bénéfice de Nissan. Après avoir redressé de manière spectaculaire le constructeur japonais avant de prendre la tête de l’alliance, notre homme a toujours été soupçonné d’avoir fait allégeance à un pays où il est adulé au point d’être devenu un héros de manga. ” Les gens oublient que le temps de l’industrie automobile est un temps long, souligne un proche collaborateur de Carlos Ghosn. Les résultats historiques d’aujourd’hui découlent de décisions prises en 2010, alors que nous étions au plus mal, et mises en musique grâce à cette alliance. ”

Un mariage, né en 2002 avec la participation croisée entre les deux groupes – Renault détient 43,4 % du capital du japonais, et ce dernier 15 % du français – , qui a mis du temps à trouver son équilibre. Les deux groupes sont de langue et de culture différentes, et il a fallu composer avec les ego des ingénieurs tout-puissants chez les constructeurs. En effet, comme en amour, à vouloir étreindre trop vite et trop fort, le risque est de voir l’autre s’enfuir. ” Regardez l’alliance prometteuse signée par Suzuki et Volkswagen en 2009 : elle a explosé au bout de seulement deux ans “, rappelle Flavien Neuvy, directeur de l’observatoire Cetelem de l’automobile. Mais c’est parfois aussi dans les moments difficiles que les couples se soudent. ” Juste après la crise financière de 2008, Carlos Ghosn a réuni sa garde rapprochée chez Renault et chez Nissan pour nous expliquer qu’on allait devoir se serrer la ceinture, explique notre proche collaborateur du PDG. Plutôt que de geler les programmes en cours, nous avons décidé de démultiplier les synergies. ”

N°4 mondial

Pour remplir ses usines, l’alliance Renault-Nissan joue depuis des années les sous-traitants pour d’autres grands constructeurs

Depuis 2009, c’est une seule et même filiale, Renault-Nissan Purchasing Organization (RNPO), qui traite l’intégralité des achats effectués par les deux entreprises. De quoi peser de tout son poids dans les négociations tarifaires avec les équipementiers automobiles. Avec 9,96 millions de véhicules, le couple Renault-Nissan est en effet désormais n° 4 mondial, à quelques encablures du trio de tête Volkswagen, Toyota et General Motors. ” Cela nous permet d’obtenir directement une ristourne de 5 à 6 %, nous glisse-t-on chez Renault. Et lorsqu’on réalise des achats groupés pour une même zone géographique, les rabais vont de 10 % à 15 %. ” Au final, les achats communs pèsent pour un tiers des synergies totales dégagées par l’alliance, soit près de 1,5 milliard d’euros !

” Si Renault est parvenu à lancer 32 nouveaux modèles depuis 2010, c’est grâce à la montée en puissance des platesformes communes avec Nissan, qui lui ont permis de se constituer une des gammes les plus riches du marché à moindre coût “, relève Gaëtan Toulemonde, analyste à la Deutsche Bank. Les Nissan Rogue, Qashqai et X-Trail, et les Renault Espace, Mégane, Kadjar et Talisman sont ainsi toutes issues du même ” moule “. Au total, pas loin de 60 % des véhicules Renault et Nissan passent aujourd’hui par ces plates-formes communes. L’objectif est d’arriver à 80 % en 2022. Cela permet de réduire de 40 % le coût de développement d’un nouveau modèle ! Mieux : en multipliant les pièces communes, les constructeurs massifient les achats, obtenant des rabais toujours plus généreux.

L’aventure du low cost

L’autre avantage de la mutualisation ? Les productions croisées, comme sur le site de Flins ou encore d’Avtovaz, à Togliatti en Russie. Là-bas, les mêmes machines fabriquent à la fois pour Datsun (la filiale low cost de Nissan), Lada, Nissan et Renault. ” Une technique qui permet à la fois de produire au plus près des acheteurs, donc d’économiser sur la logistique, mais également de remplir les usines pour écraser les coûts “, relève Gaëtan Toulemonde.

On le sait moins mais, pour remplir ses usines, l’alliance Renault-Nissan joue également depuis des années les sous-traitants pour d’autres grands constructeurs. L’usine slovène de Renault produit ainsi la version quatre portes de la Smart. Et l’usine de Maubeuge assemble la Mercedes Citan, une version adaptée du Kangoo de Renault. Sans compter les véhicules utilitaires fabriqués à Sandouville (en Normandie), et vendus en marque blanche à Fiat et à General Motors. Une activité particulièrement rémunératrice, puisque les ventes aux partenaires auraient rapporté pas moins de 6,4 milliards d’euros au groupe français en 2016 ! ” Ces rentes ont permis à Renault de traverser la crise de 2008 “, note Benjamin Philippe, gérant actions chez Degroof Petercam Gestion.

Renault est même parvenu à embarquer son compagnon nippon dans l’aventure du low cost. ” Ce qui était pourtant loin d’être gagné, tant les ingénieurs Nissan ont longtemps affiché un profond mépris pour les Dacia, pas assez chics à leur goût “, signale Bernard Jullien, économiste, président du cabinet Feria. Mais devant l’immense succès de cette gamme à bas coût – Renault écoule chaque année plus de 1 million de Sandero, de Logan et de Dokker -, les Japonais ont prestement retourné leur veste. En 2013, Nissan a ainsi ressuscité la marque Datsun pour lancer sa première gamme à prix serrés. Mais c’est sur l’ultra-low cost que l’alliance pourrait donner sa pleine mesure, comme on l’a vu avec le succès fulgurant de la berline Kwid en Inde.

Et ce n’est qu’un début, puisqu’il se murmure que les ingénieurs plancheraient sur une Kwid électrique à destination du marché chinois. ” Pékin veut à tout prix développer cette technologie pour réduire la pollution dans les villes, et diminuer sa dépendance au pétrole “, commente Marc Mechaï, consultant d’Accenture. S’il réussit son pari, Carlos Ghosn ferait alors d’une pierre deux coups : conforter sa place dans le peloton de tête des grands constructeurs mondiaux et valider son ambitieux pari de l’électrique, sur lequel il a misé plusieurs milliards, avec un succès pour l’instant très relatif. L’électrique pèse moins de 2 % des ventes en Europe. Des Kwid électriques qui pourraient également intéresser Mitsubishi. Le constructeur vient tout juste de rejoindre l’alliance. Un mariage à trois inédit dans l’industrie automobile, mais qui devrait rapidement dégager de nouvelles synergies. ” Outre le million de véhicules vendus annuellement, la marque japonaise apporte en dot son excellente connaissance des moteurs hybrides, des 4 4 et des Kei Cars, ces minivoitures japonaises, ainsi qu’une forte implantation en Asie du Sud-Est, un territoire à très fort potentiel “, précise Rémy Pothet, partner au Bipe.

Finalement, la seule faille de cette singulière alliance pourrait bien être celui-là même qui a mis toute son énergie à l’édifier : Carlos Ghosn. Le charismatique patron a déjà 62 ans et il n’est pas éternel. Il le sait et vient d’ailleurs de confier les clés de Nissan à son n° 2. Et si le prochain grand projet de l’alliance était de se trouver un nouveau grand manitou ?

En chiffres

51,2 milliards d’euros de chiffre d’affaires (+ 13,1%) en 2016.

1,8 milliard d’euros économisés par Renault grâce à l’alliance en 2015.

1800 embauches en CDI prévues en 2017.

Par Emmanuel Botta.

Renault rattrapé par le “Dieselgate”

Renault va-t-il être rattrapé par le “dieselgate”, le scandale du truquage des tests antipollution, qui a déjà coûté 21 milliards d’euros à Volkswagen ? La répression des fraudes en France soupçonne en effet le groupe automobile d’avoir installé un “dispositif frauduleux” afin de fausser des tests sur les émissions de polluants des moteurs, selon un procès-verbal cité par le journal Libération ce mercredi 15 mars.

“La société a utilisé une stratégie ayant pour objectif de fausser les résultats de tests antipollution”, assure la DGCCRF. Selon Libération, le document met en lumière des écarts importants entre les performances de certains moteurs Renault au moment de leur homologation en laboratoire et leur utilisation en conditions réelles, en particulier les modèles Renault Captur et Clio IV qui dépasseraient le seuil réglementaire d’émission de dioxyde de carbone de respectivement 377% et de 305%. “Ces résultats permettent de soupçonner l’installation d’un dispositif frauduleux qui modifie spécifiquement le fonctionnement du moteur, pour en réduire les émissions de NOx (oxydes d’azote, NDLR) dans des conditions spécifiques du test d’homologation, afin que les émissions respectent les limites réglementaires”, conclut la DGCCRF dans son procès-verbal.

Le sujet a tendance à crisper le PDG de l’entreprise, Carlos Ghosn. “Nous ne provisionnons que lorsque les faits sont réels et prouvés, ce qui n’est absolument pas le cas ici”, a-t-il rétorqué sèchement à l’impétrant qui osa lui demander, à l’issue de la présentation des résultats financiers, dévoilés mi-février, si Renault allait mettre de l’argent de côté en prévision d’un éventuel procès.

Dans un communiquéenvoyé ce mercredi 15 mars , le constructeur français, qui évoque un article “déséquilibré”, s’est à nouveau défendu : “Le Groupe Renault rappelle qu’aucun de ses services n’a enfreint les règles, européennes ou nationales, relatives à l’homologation des véhicules. Les véhicules Renault ne sont pas équipés de logiciels de fraude aux dispositifs de dépollution”.

Cette affaire trouve sa source dans une autre affaire : celle qui, en 2015, a vu Volkswagen pris la main dans le moteur par les autorités américaines, avec ses logiciels truqueurs. Des révélations qui ont poussé la ministre française de l’Ecologie, Ségolène Royal, à exiger des contrôles sur les marques commercialisées en France. Résultat, les tests menés sur plus de 80 véhicules ont révélé que les Renault étaient parmi ceux qui émettaient le plus de polluants lors des essais sur route, dépassant de très loin les seuils autorisés.

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