Comment le statut unique a fait évoluer le licenciement

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Depuis le rapprochement des statuts ouvriers-employés, les licenciements doivent être motivés et ne peuvent être ” manifestement déraisonnables “. Comment les tribunaux ont-ils appliqué ces nouvelles règles ? Un cabinet d’avocats a épluché toutes les décisions en la matière et dévoile son analyse en exclusivité pour ” Trends-Tendances “.

Le statut unique a bouleversé le droit du travail. Pressés par la Cour constitutionnelle de faire cesser des différences de traitement injustifiées, le législateur et les partenaires sociaux ont entrepris de rapprocher les statuts ouvrier et employé. Ce travail d’harmonisation a notamment abouti à de nouvelles règles en matière de licenciement.

C’est ainsi que début 2014, une convention collective de travail (la CCT n°109) accouche d’une véritable révolution pour notre système de licenciement, en introduisant l’obligation pour l’employeur de fournir une motivation au travailleur écarté, si celui-ci en fait la demande. Dans le même texte, une nouvelle sanction est introduite pour l’employeur qui licencie un salarié pour un motif ” manifestement déraisonnable “.

Quatre ans plus tard, comment cette nouvelle réglementation a-t-elle été appliquée sur le terrain ? Les avocates Anne-Valérie Michaux, Sophie Gérard et Sophie Sottiaux, du cabinet Reliance, spécialisé en droit du travail, ont mené l’enquête auprès des greffes des tribunaux et des cours du travail. Elles ont patiemment recueilli toutes les décisions rendues en la matière (elles en ont comptabilisé 245) et les ont analysées dans les moindres détails. Voici leurs conclusions.

Anne- Valérie Michaux (Reliance)
Anne- Valérie Michaux (Reliance)” Les employeurs sont un peu traumatisés par cette nouvelle règle de la motivation. Ils pensent qu’il faut beaucoup de matière pour procéder à un licenciement. A tort. “© OOFOTO

1. Une motivation courte mais précise suffit

L’introduction de la motivation dans le domaine des licenciements a bousculé les habitudes des employeurs. Traditionnellement, un employeur ne devait rendre aucun compte à son employé écarté. En contrepartie, ce dernier bénéficiait d’un préavis conséquent. Le statut unique ayant raboté les délais de préavis de nombreux employés, ceux-ci ont obtenu quelques avancées, notamment la motivation du licenciement.

Lors de l’entrée en vigueur de ce nouveau régime, les employeurs ont craint qu’un excès de formalisme ne les gêne dans leur décision de licencier. A l’analyse de la jurisprudence, ils peuvent être rassurés : ” Les employeurs sont un peu traumatisés par cette nouvelle règle de la motivation. Ils pensent qu’il faut beaucoup de matière pour procéder à un licenciement. A tort. La plupart des tribunaux considèrent qu’une explication relativement générale des motifs suffit “, explique Anne-Valérie Michaux, avocate chez Reliance. La spécialiste a pu relever que des motivations aussi lapidaires que ” Absence de longue durée désorganisant l’entreprise ” ou ” Suppression de poste relativement à l’arrêt définitif du poste de travail et non-remplacement de celui-ci ” étaient admises par les juridictions du travail.

Si la motivation peut être courte, elle doit cependant être précise. Un licenciement pour ” réorganisation du service ” a ainsi été jugé trop vague. Dans un tel cas, le juge considère que la motivation n’a pas été correctement notifiée, ce qui ouvre le droit à une amende correspondant à deux semaines de rémunération.

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2. Le licenciement reconnu “manifestement déraisonnable” une fois sur quatre

Sur 245 décisions de justice qui se sont penchées sur la question, 62 ont abouti à la conclusion que le licenciement était manifestement déraisonnable. Le travailleur a donc obtenu gain de cause dans 25 % des cas. Ce n’est pas négligeable, mais c’est largement inférieur au taux de réussite constaté sous la législation antérieure, dont s’est inspirée la CCT n°109. Avant le statut unique, les ouvriers bénéficiaient de dispositions relatives au ” licenciement abusif “, ancêtre du licenciement ” manifestement déraisonnable “. ” D’après une étude parue dans le Journal des Tribunaux du Travail, les ouvriers obtenaient gain de cause dans 46 % des cas “, souligne Anne-Valérie Michaux. Le champ d’application du licenciement manifestement déraisonnable semble donc plus restrictif que celui du licenciement abusif.

Il est également intéressant de noter que des disparités importantes existent entre les tribunaux francophones et néerlandophones. Les premiers sont deux fois plus enclins à donner raison aux travailleurs. Cette situation est due à une différence d’interprétation concernant la définition même de licenciement manifestement déraisonnable, entre les juges néerlandophones – partisans d’une approche littérale – et francophones – partisans d’une approche en ligne avec la jurisprudence héritée de l’ancienne réglementation.

3. Quels motifs de licenciement sont admis et rejetés ?

Les tribunaux admettent de manière assez large les motifs de licenciement invoqués par les employeurs. Sont acceptés notamment : l’inaptitude ou l’impossibilité d’exercer une fonction (par exemple un boucher qui développe une allergie à la chapelure et aux gants), les absences injustifiées et retards répétés, le non-respect des directives, l’abandon de poste, des raisons économiques ou organisationnelles (par exemple un travailleur qui refuse de déménager en Chine alors que l’exécution de ses fonctions le nécessite), ou encore des divergences de vues engendrant une perte de confiance.

Par contre, les tribunaux se montrent beaucoup moins ouverts quand l’employeur ne fonde sa décision sur aucun motif, ou qu’il n’apporte pas de preuve suffisante à l’appui du motif invoqué. C’est ce qui justifie le plus souvent – dans plus de la moitié des décisions faisant droit au travailleur – que le licenciement soit considéré comme manifestement déraisonnable. C’est ce qui est arrivé à un employeur qui a licencié un travailleur en raison d’une restructuration… dont il n’a pas pu démontrer l’existence.

Autre raison de considérer le licenciement comme manifestement déraisonnable : lorsqu’une faute est imputable à l’employeur. Une société active dans l’horeca en a fait les frais : elle reprochait à son salarié de ne pas avoir respecté des normes d’hygiène… alors que l’entreprise elle-même était responsable de manquements auxdites normes.

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4. Indemnités : le montant maximum octroyé une fois sur trois

Si le licenciement est considéré comme manifestement déraisonnable par le tribunal, une indemnité est due au travailleur. Le montant de cette indemnité est variable, dans une fourchette allant de trois à 17 semaines de rémunération. C’est au juge de déterminer le montant alloué. L’étude du cabinet Reliance montre que les tribunaux ont octroyé le taux maximum dans environ un tiers des cas. Un pic est également constaté pour une indemnité ” médiane ” équivalant à 10 semaines de rémunération. ” Les juges se sont montrés relativement cléments avec les employeurs, d’autant que la fourchette est plutôt faible à la base “, commente Anne-Valérie Michaux.

Sur quels critères les juges se sont-ils basés pour fixer le montant de ces indemnités ? Difficile de dégager une jurisprudence uniforme. Mais certains éléments semblent jouer un rôle dans la gradation des sanctions. L’ampleur du dommage subi par le travailleur justifie généralement une indemnité plus élevée. Certaines juridictions octroient une indemnité plus conséquente aux travailleurs ayant une ancienneté plus élevée dans l’entreprise. Enfin, lorsque le licenciement intervient en représailles de revendications légitimes du travailleur (par exemple une demande d’augmentation salariale), les tribunaux se montrent plus sévères et octroient le maximum de l’indemnité.

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