Christophe Degrez (Eneco): “Avec l’offshore, la Belgique sort du nucléaire sans problème”

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Fondateur d’Eneco Belgique en 2010, Christophe Degrez, en symbiose avec sa maison mère néerlandaise, l’a amenée à la troisième place du marché énergétique belge en moins de 10 ans. Avec l’énergie renouvelable comme fondement de sa stratégie. Eneco, un acteur important à l’heure où la défense du climat s’impose dans tous les débats.

Selon les derniers chiffres disponibles de la Creg, le régulateur du secteur, Eneco occupe la troisième place du marché énergétique belge. Derrière Engie Electrabel et EDF Luminus. Une marche du podium qu’elle a conquise depuis le rachat, finalisé l’été dernier, d’Eni Belgium. La société sert désormais 55.000 clients business et plus d’un million de particuliers. Depuis ses débuts, Eneco Belgique, filiale d’Eneco Group (qui a son siège à Rotterdam), suit une stratégie axée sur la production et la fourniture d’énergie 100 % renouvelable et locale. Elle dispose de 96 éoliennes terrestres, de 270.000 panneaux solaires et de participations importantes dans deux parcs éoliens offshore : Norther, dont les premières éoliennes viennent d’être reliées au réseau, et Seamade dont le début de la construction est prévu l’an prochain. Elle commercialisera la moitié de l’électricité produite par le premier et la totalité du second. A l’heure où la question climatique est sur toutes les lèvres, Eneco Belgique joue sur du velours. L’occasion était donc belle de rencontrer Christophe Degrez, son CEO.

TRENDS-TENDANCES. Vous avez beaucoup investi ces derniers mois. La mise en vente annoncée de votre maison mère néerlandaise va-t-elle changer les choses ?

CHRISTOPHE DEGREZ. La décision de privatiser Eneco Group est liée tout d’abord à la nécessité de se conformer à la loi néerlandaise qui oblige de séparer les activités de réseau des autres activités. Sont ainsi nés Eneco Group et Stedin, l’équivalent d’Ores en Wallonie. Comme c’est le cas en Belgique, les 53 communes néerlandaises comprennent bien l’importance d’être actionnaires et propriétaires d’un réseau. Beaucoup moins d’une entité qui produit et fournit de l’énergie aux Pays-Bas, en Belgique, en Allemagne et au Royaume-Uni. Après des mois de discussions, le scénario de privatisation retenu est celui des enchères contrôlées. J’ai lu, ça et là, qu’il y avait des intérêts marqués de telle ou telle société. Mais le processus formel n’a pas encore commencé et commenter telle ou telle candidature est donc prématuré. Après parution de la mise en vente dans deux journaux, les parties intéressées devaient se manifester avant le 3 mars auprès de Citigroup pour avoir des informations sur la manière de remettre une offre non liante. Sans doute avant l’été. Après, avec un certain nombre d’entreprises intéressées, il y aura des discussions et ouverture de la data room pour qu’elles puissent faire leur due diligence. Je ne m’attends pas à un dépôt d’offres liantes avant la fin 2019. Nous avons encore le temps.

– Profil –

45 ans

Diplômé en économie Hub-Ehsal, de la Nyenrode Business University (P-B) et du Young Management Program de l’Insead (MBA).

1998-2002 :businessconsultant chez Accenture

2002-2010 :marketing manager, director business et director clients chez Nuon Belgique.

Depuis 2010 : CEO d’Eneco Belgique.

2014 : cofondateur d’Uest, renommée depuis Zembro. Cette start-up a mis au point un bracelet connecté destiné aux seniors.

2016 : mentor chez The Birdhouse, un accélérateur de start-up.

Shell, Total, Engie ou des fonds d’investissement comme Macquarie sont effectivement cités dans la presse pour ce rachat. Avec Total ou Engie, le marché belge pourrait s’en trouver bouleversé et, aussi, consolidé.

Eneco, et c’est encore plus marqué aux Pays-Bas, c’est le plus vert des grands et le plus grand des verts. Nous avons une position extrêmement forte qui intéresse beaucoup de gens. A ce stade, l’important à mes yeux est que le prochain actionnaire de référence vienne avec une offre durable et nous permette de poursuivre notre stratégie. A l’évidence, puisque ce sont des enchères contrôlées, le prix va aussi jouer un rôle.

A voir les cas de PostNL ou de KLM, le politique néerlandais risque aussi de s’en mêler.

On verra. Pour en revenir à l’impact sur les investissements, la réponse est simple. Le processus de privatisation a été enclenché en février 2017. En mars, nous rachetions Eni. Le closing de la transaction a été réalisé l’été dernier. Depuis 2017, nous n’avons cessé d’investir, notamment dans Seamade. Nous nous sommes battus pour obtenir 100% de sa production. Sans oublier le solaire et l’éolien terrestre. Tous ces investissements, en parfaite entente avec notre maison mère, sont un gage pour l’avenir. En 2011, j’avais promis que 100 % de notre électricité serait renouvelable et locale. Ce fut le cas pour nos 330.000 clients historiques. Maintenant que nous avons intégré les 700.000 clients d’Eni, je dois refaire une promesse à tous ces gens-là. Pour 2022, toute leur électricité sera verte et produite localement. Et pour ça, il faut investir et ne pas faire du greenwashing. Récemment, le marché s’est consolidé avec la disparition de petits fournisseurs. Dans cette consolidation, Eneco n’a pas pour vocation de rester troisième mais d’avoir une position prédominante.

Christophe Degrez (Eneco):
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Depuis quelques semaines, la question du climat est sur toutes les lèvres. Un changement de mentalités semble s’imposer. Un récent sondage Le Soir-RTL-TVi-VTM-Het Laatste Nieuws donne même des résultats surprenants avec huit Flamands et Wallons sur 10 prêts à voir des éoliennes construites près de chez eux…

C’est un baromètre particulièrement intéressant. J’ai aussi noté que désormais seuls 3 ou 4 % de nos concitoyens suivant les Régions ne sont pas inquiets face aux changements climatiques. Le message de la population est clair. Celui des dernières prévisions du Bureau du Plan aussi. Il annonce une énorme croissance potentielle des métiers dans le renouvelable. Mais aussi de notre PIB à partir de 2030 grâce au renouvelable. Nous avons été en pointe dans le charbon et le nucléaire. Nous devons accéder au même statut dans le renouvelable et nous avons tout en mains pour cela ! Industries, experts, scientifiques : la Belgique a les compétences mais les exerce principalement à l’étranger. C’est un comble quand même ! Aujourd’hui, tout est réuni pour réussir.

Il reste à convaincre les politiques…

La Belgique a quatre ministres de l’Energie. Le renouvelable est régional, l’offshore et le nucléaire sont fédéraux et ça change tous les quatre ou cinq ans ! Il faut sortir de cela. Disséminer de telles compétences entre quatre paires de mains, ce n’est pas efficace. En ce qui concerne le climat et l’énergie, il faudrait nous aligner avec les pays limitrophes avec lesquels nous sommes connectés : Royaume-Uni, France, Pays-Bas et Allemagne. Avec une espèce d’instance supranationale. La Belgique doit avoir une vision énergétique claire et cohérente mais qui soit alignée avec celles de nos voisins. Je ne parle pas de dépendance mais de coordination. Le secteur a besoin d’un cadre stable qui ne change pas tous les cinq ans au gré du vent ou des humeurs politiques. Ce cadre, crucial pour garantir les investissements, nous en avons besoin sans traîner. Ne nous voilons pas la face, il va falloir investir. Le choix à poser, c’est regarder en arrière ou résolument se projeter dans le futur.

Combiner des TGV avec une ou deux centrales nucléaires et le renouvelable permettrait de voir l’avenir sereinement.

Vous visez clairement le nucléaire…

Les partis qui veulent prolonger le nucléaire prétendent que cela coûte moins cher mais ce n’est pas vrai ! En Belgique, nous avons des centrales particulières. Elles marchent parfaitement l’été mais ont des problèmes l’hiver. Les problèmes des centrales se répercutent sur la facture. Sans compter le coût des travaux pour prolonger. Certains envisagent même une nouvelle centrale. Pour la centrale britannique d’Hinkley Point qui doit être mise en service en 2025, le Royaume-Uni garantit à l’exploitant un subside indexé de 106 euros par MWh sur 35 ans. C’est énorme ! Pour Seamade, nous allons recevoir 79 euros. Les subsides à l’offshore sont clairement sur une pente descendante alors que ceux pour le nucléaire ne cessent de grimper. Il faut aussi convenir que l’accident de Fukushima est passé par là et que le risque nucléaire fait gonfler les prix. L’efficacité de l’offshore n’est plus à démontrer et nos entreprises sont hautement compétentes dans ce domaine. Les 44 turbines de Norther sont de véritables monstres. Elles vont couvrir la consommation de 400.000 ménages. Philippe De Backer, en tant que secrétaire d’Etat à la mer du Nord, a déjà préparé une nouvelle zone. C’est bien mais ce n’est pas assez. Nous avons encore de la place pour en faire plus. Avec l’offshore, la Belgique sort du nucléaire sans problème. Pas tout de suite mais bientôt. Il faut juste de la volonté.

Vous ne croyez pas à la sortie complète du nucléaire en 2025 ?

Ce n’est pas réaliste. Il faut une sécurité d’approvisionnement avec un prix décent. Une combinaison va être nécessaire. On ne sortira pas en bloc, mais ne pas sortir du nucléaire freine l’innovation. Il est crucial de réaliser notre transition énergétique pour arriver à du 100 % renouvelable. Le gaz n’est pas aussi propre que l’éolien ou le solaire mais c’est un bel outil transitionnel qui permet d’avoir de la sécurité et de la flexibilité. Les nouvelles centrales TGV (turbines gaz-vapeur, Ndlr) sont très efficaces et permettent des émissions de CO2 moindres. Il est aussi possible d’y injecter du biogaz. Combiner des TGV avec une ou deux centrales nucléaires et le renouvelable permettrait de voir l’avenir sereinement. Pour qu’entre 2030 et 2040, notre énergie soit 100% belge et 100% renouvelable. Maintenant, on va voir ce qu’il va advenir du projet de loi de la ministre Marghem concernant le mécanisme de rémunération de la capacité (CRM). Il est attendu au Parlement.

En 2011, j’avais promis que 100 % de notre électricité serait renouvelable et locale. Ce fut le cas pour nos 330.000 clients historiques.

Contrairement à la croyance populaire, ce CRM ne concerne pas que la construction de nouvelles centrales au gaz…

Non, de fait. Il est multi-technologies et concerne toutes les capacités de production et les subsides qui pourraient être accordés. Il nous intéresse donc aussi. Notamment pour de grosses solutions de stockage liées au renouvelable. A Puurs, nous venons d’installer une batterie et deux éoliennes pour un client industriel. Pour lui permettre d’utiliser son énergie quand il en a besoin. C’est un nouveau modèle. La mentalité des gens change, les comportements aussi. Il faut soutenir ces changements. Comme les voitures électriques, les bornes de rechargement, etc.

Oui mais si tout le monde se met à rouler à l’électrique, il va nous falloir un autre réseau que l’actuel…

Ah ça oui ! Venons-en au réseau. Il correspond à 40 % de la facture du consommateur. En Flandre, Eandis et Infrax viennent de fusionner pour donner naissance à Fluvius. Ils nous parlent d’une réduction des frais de réseau de 3 à 4 % nets dans les cinq ans. Il ne faut pas rigoler tout de même… Je sors d’une intégration de deux entreprises et je suis bien placé pour savoir quelles sortes de synergies et d’économies on peut réaliser.

En Wallonie aussi, le régulateur vient d’annoncer une hausse des tarifs de distribution d’électricité pour 2019. Que peut-on faire ?

Le modèle de revenus des communes est un vrai souci en Belgique. La facture énergétique est devenue une deuxième feuille des contributions. Il faut trouver une solution. C’est possible puisque cela a déjà été fait pour d’autres industries. Le consommateur veut savoir ce qu’il paie et à qui et pourquoi. Et dans ce système, le fournisseur est le seul point de contact. C’est bien pour éviter la multiplication des factures mais, en même temps, nous recevons des reproches sur des éléments hors de notre responsabilité. De toute manière, l’avenir n’est plus dans le réseau centralisé mais le décentralisé et les micro-réseaux.

Et au compteur intelligent…

Là aussi, j’ai assisté à des discussions surréalistes pour la mise en place du MIG6, le nouveau système centralisé de gestion et de partage des données qui permet la communication entre tous les acteurs : fournisseurs, gestionnaires de réseau, régulateurs, etc. Il s’agit à nouveau d’une discussion politique dont on ne sort pas. Les Flamands veulent le compteur intelligent ou digital rapidement. Les Wallons non. Les Bruxellois ne savent pas. On perd des années alors que tout le monde sait que c’est une évolution inévitable qui va coûter de l’argent. Aux Régions, aux entreprises, à vous et à moi en tant que citoyens. Puisque l’investissement est inévitable, faisons-le de façon intelligente. C’est le même principe pour les subsides. Il faut soutenir ce qui n’est pas encore mature. Le panneau photovoltaïque est une technologie mature. Il ne faut plus la subsidier puisque la qualité et le rendement sont au rendez-vous. On a trop soutenu les panneaux photovoltaïques. Il faut arrêter. Par contre, il faut respecter ce qui a été convenu jusqu’ici et ne pas changer les règles du jeu en cours de partie. Le vrai gain dans le cas des panneaux est de ne pas utiliser le réseau et d’être auto-consommateur et de stocker sa production dans des batteries. Eneco a été le premier à proposer la Tesla Powerwall au Benelux il y a trois ans. Cette technologie évolue bien et les prix vont encore baisser. A terme, la voiture pourra aussi servir de batterie domestique et aider à gérer les pics de consommation ou à stocker l’énergie des panneaux d’une entreprise.

Christophe Degrez (Eneco):
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Eneco est aussi réputée pour sa volonté d’implication citoyenne…

La participation citoyenne se met aussi en place dans la production. Certains ont envie de participer à cette évolution mais n’ont peut-être pas les moyens d’investir dans une installation photovoltaïque ou n’ont pas de toit à eux ou n’ont pas un toit bien orienté. Pour eux, il existe des solutions de crowdfunding. Elles marchent bien chez nous. Récemment, nous avons installé 15.000 m2 de panneaux sur l’usine Volvo à Gand. Les employés et les riverains pouvaient participer, moyennant un rendement de 4 %. En trois semaines, nous avons enregistré 1.000 inscriptions pour 700.000 à 800.000 euros. Ce n’est même pas une question de besoin financier mais de se rassembler pour un but. Quant à notre service, il doit être sans faille. C’est bien d’être innovant mais il faut pouvoir expliquer. Toutes les personnes qui répondent aux clients sont formées en conséquence. Une interaction avec un fournisseur doit être une expérience positive. Eneco se veut le régisseur de votre énergie domestique en vous offrant tout ce dont vous avez besoin. Il faut être à l’écoute du client. On appelle cela le outside-in. Les disrupteurs de marché comme Tesla ou Google l’ont bien compris. Ils vont encore amener de l’innovation et il faudra être prêt et très agile. Vous savez, il ne faut pas être client chez Eneco pour participer à nos crowdfundings ou acheter une batterie. Tant que cela fait avancer le renouvelable, c’est bon pour moi.

Toutes ces marches et ces manifestations pour le climat doivent vous plaire…

La jeunesse parle cash et quand j’écoute mes enfants ou que je vois les débats avec les politiques, elle appuie vraiment où ça fait mal. Alors oui, je suis fier, content de tout ce qu’il se passe. Parce que cela fait 10 ans que je le dis et que c’est notre stratégie depuis le début. La Belgique a l’occasion de marquer le coup. Comme pionnier du futur, avec fierté et grâce à ses compétences. Alors faisons-le !

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