Cette appli qui réinvente la géolocalisation

L'appli de what3words est basée sur la division de la surface du globe en 57.000 milliards de carrés de trois mètres de côté. A chaque carré ses trois mots références... © PG

La start-up londonienne what3words propose un système d’adresses alternatives qui utilise pour désigner un point une combinaison de trois mots. Constructeurs automobiles, hôteliers et sociétés de livraison adorent. Direction “filled. count. soap”.

Dans les steppes mongoles, on peut apercevoir parfois, au sommet d’une colline, un éleveur nomade, le bras levé, à la recherche d’un signal de réception. Il souhaite ainsi communiquer les coordonnées de son nouveau campement, au milieu de nulle part, aux membres sédentaires de sa famille ou à des amis de la ville. Ces derniers se chargeront ensuite d’actualiser les données sur la plateforme Airbnb. Car si le nomade souhaite révéler sa position exacte, c’est pour faciliter la vie des touristes en quête de vacances ” différentes ” qui ont réservé chez lui pour, par exemple, randonner à dos de renne.

Depuis peu, il peut indiquer très précisément sa situation géographique, non pas avec sa longitude et latitude, une séquence de 16 chiffres, mais avec une simple combinaison de trois mots courants comme ” table chaise bureau ” – écrit en mongol, qui utilise l’alphabet cyrillique. Ce système d’adresses alternatives a été élaboré par la start-up londonienne what3words.

” De cette façon, les nomades, pour qui le tourisme représente désormais une part importante des revenus, peuvent conserver leur mode de vie traditionnel, sans être tentés de se rapprocher des villes pour être en contact plus étroit avec les touristes “, se félicite Giles Rhys Jones, directeur marketing, dans une salle de réunion baignée d’un soleil printanier au siège, dans l’ouest de la capitale britannique, à deux stations de métro de la gare de Paddington.

De plus en plus d’utilisateurs

Le répertoire mondial d’adresses en trois mots, basé sur la division de la surface du globe en 57.000 milliards de carrés de trois mètres de côté, intéresse de plus en plus de sociétés. Celles qui assurent la mobilité de leurs clients, comme Mercedes, dont un nombre croissant de véhicules sont équipés en série. Celles qui orientent les déplacements, comme Lonely Planet, qui l’utilise déjà dans son guide sur la Mongolie – un pays qui n’a jamais eu de système d’adresses vraiment efficace -, ou Small Luxury Hotels of The World, qui liste tous ses établissements en what3words.

Sans oublier, les ONG, comme la Croix-Rouge, intervenant dans des régions dévastées par un cataclysme naturel. En cas de tremblement de terre, le nom des rues n’est souvent plus d’aucun secours.

A l’origine de la société, il y a, comme souvent, une frustration, en l’occurrence celle de Chris Sheldrick : ” J’étais dans le business de la musique depuis 10 ans et régulièrement, quand j’organisais des concerts, il était difficile de faire converger les camions et tous les prestataires vers la bonne salle, ou la bonne entrée d’un entrepôt, ou la bonne villa dans le sud de la France. Nous utilisions les coordonnées GPS, mais les gens se mélangeaient souvent les pinceaux. Un soir à Rome, un camion a fini du mauvais côté de la ville à cause d’un 4 tapé à la place d’un 5. Le concert a certes eu lieu, mais au prix d’un gros coup de stress. ”

Par chance, Chris a un ami mathématicien, à qui il s’ouvre, début 2013, de son problème. Jack Waley-Cohen propose alors une formule alphanumérique de huit caractères. Chris estime ne pas avoir vraiment gagné au change et réclame plus d’inventivité. Jack propose alors une séquence de mots communs.

” Ça, cela m’a plu, raconte Chris Sheldrick. Et au dos d’une enveloppe, Jack a commencé à calculer quelle précision géographique on pourrait atteindre avec combien de mots. On est arrivé à la conclusion que la meilleure option était de définir des carrés de trois mètres de côté, ce qui nécessite 45.000 mots. Pour avoir des carrés plus petits, il faudrait quatre mots, ce qui serait moins facile à mémoriser. ”

Comme, dès le départ, il apparaît que les adresses devront évidemment être traduites dans la langue des utilisateurs, un troisième larron rejoint le cercle des cofondateurs : Mohan Ganesalingam, un linguiste, également un ami de Chris Sheldrick.

Débuts laborieux

Les débuts sont laborieux. Il s’agit d’éplucher le dictionnaire anglais et d’éliminer tous les mots qui ne conviennent pas. ” J’y ai passé mes soirées pendant six mois, se souvient Chris Sheldrick. Il fallait éliminer les jurons, l’argot, les homophones comme ‘ hear’ et ‘ here’. C’est tellement subjectif qu’on ne pouvait pas confier cette tâche à un ordinateur. ”

Même chose pour les autres langues : chaque idiome a ses spécificités et il a fallu engager des linguistes, généralement recrutés sur les campus d’université, pour chaque adaptation. Première langue opérationnelle, l’espagnol, dès l’été 2013. ” En français, par exemple, vous avez tellement d’homophones que nous avons choisi pour les verbes de toujours retenir uniquement l’infinitif “, explique Chris Sheldrick. Le système est aujourd’hui disponible en 36 langues.

L'outil est utilisable gratuitement par les particuliers, et disponible en 36 langues.
L’outil est utilisable gratuitement par les particuliers, et disponible en 36 langues.© pg

Daimler au capital

Vite remarquée, la start-up gagne plusieurs prix d’innovation qui vont convaincre Intel Capital d’investir – un joli nom à faire valoir. Début 2016, Chris fait une rencontre décisive au World Economic Forum de Dalian en Chine : un homme d’affaires mongol manifeste un grand intérêt – son pays utilise à l’époque beaucoup d’adresses descriptives du type ” derrière la boutique d’électronique, à droite de l’arbre “. Trois mois plus tard, il rappelle Sheldrick pour lui annoncer qu’il vient d’acheter un tiers de la poste nationale, et compte bien lui faire adopter what3words. Une première mondiale qui appelle de nouveaux contacts.

Daimler, qui n’était guère satisfait de son système vocal de commande, se range aux arguments aujourd’hui développés par Clare Jones, directrice commerciale : ” Les adresses et la voix, ça ne va pas bien ensemble. En Californie notamment, vous avez un nombre incroyable de California Street, il y a une foule de confusions possibles. ”

Au Salon de Francfort de 2017, le constructeur annonce qu’il va équiper certains de ses véhicules en commande what3words, et mettra son plan à exécution en quelques mois. Début 2018, il confirme son enthousiasme en prenant une participation de 10% au capital. Sans donner de montants, ce qui fait qu’à ce jour, on ne connaît toujours pas la valorisation de la société, bien qu’elle compte désormais à son capital des noms aussi prestigieux qu’Horizons Ventures, Aramex, Sony, ou Deutsche Bahn.

DB Schenker, une filiale de la compagnie ferroviaire allemande, en est une grande utilisatrice : la société de logistique coordonne dans le monde entier de très grands camions pour des salons, foires, forums, etc. Les diriger vers le bon portail, le bon entrepôt, le bon quai de débarquement, c’est économiser du temps… et de l’argent. Même logique pour les entreprises de livraison à domicile, dont les employés sont parfois perdus au milieu de réseaux inextricables de cours intérieures ou ratent l’entrée de ruelles très confidentielles.

La société londonienne Quiqup a testé ses troupes avec what3words et pu constater un gain de temps de 30% en moyenne par rapport aux méthodes de livraison traditionnelles. ” C’est non seulement un avantage pour la société en termes de satisfaction des clients, qu’on n’a plus à appeler au téléphone pour préciser l’itinéraire, mais aussi pour les livreurs qui sont soumis à moins de stress, estime Clare Jones. Dans une gig economy ( économie de petits boulots, Ndlr) où les entreprises doivent maintenant aussi rivaliser pour ce genre d’employés, what3words améliore les conditions de travail. ”

Chris Sheldrick, cofondateur de what3words.
Chris Sheldrick, cofondateur de what3words.© pg

Un succès viral

Le business model de what3words, qui emploie aujourd’hui plus de 100 personnes, en grande partie à Londres, mais également en Afrique du Sud, dans la Silicon Valley et en Arabie saoudite, est simple. Les particuliers peuvent obtenir gratuitement leur adresse what3words via l’application ou le site. Les entreprises qui souhaitent utiliser ce système alternatif versent une commission pour obtenir, à partir d’une adresse nominale, les coordonnées exactes.

Malgré nos demandes répétées, Chris Sheldrick n’a pas souhaité nous communiquer le montant de cette commission, ni le chiffre d’affaires d’annuel. En revanche, il a été clair sur un point : l’enjeu pour la société est désormais de devenir un standard. Les guides touristiques y aident. La culture populaire aussi.

Récemment, les scénaristes d’une série télé américaine dans laquelle une policière se fait kidnapper ont imaginé qu’elle laisse comme indice à ses collègues une inscription sur un mur, trois mots qui correspondent à une adresse what3words : l’endroit où elle va être séquestrée. ” Et ce n’était pas un placement de produit, assure Giles Rhys Jones. Un jour, la production nous a contactés pour savoir si nous serions d’accord pour qu’elle utilise notre nom. Comment dire ? oui… ”

“Filled. count. soap”

Le groupe de rock alternatif américain Imagine Dragons a, pour sa part, fait un clin d’oeil à ses fans en postant sur sa page Facebook trois mots mystérieux qui conduisaient à un ” trésor ” : des billets de concert et des produits dérivés. Une bière américaine a orné sur ses cannettes les trois mots qui correspondent à la localisation de sa brasserie californienne ” fear. movie. lions “. Sur Instagram, un couple de jeunes mariés a même fièrement exhibé ses derniers tatouages : les trois mots qui désignent l’endroit précis où ils se sont dit oui, sur une île paradisiaque des Caraïbes.

Au moment de prendre congé de l’équipe, Chris Sheldrick décoche soudain un sourire malicieux. ” Si vous voulez on peut demander à Alexa de vous commander un Uber. ” Il s’exécute, réclamant à l’assistant vocal d’Amazon une voiture pour ” filled. count. soap “. Alexa obtempère et confirme la course dans l’instant. Chris Sheldrick triomphe : ” On a fini les réglages hier”. Nous partons certes impressionné, mais on a demandé à annuler la commande. On est vraiment à cinq minutes de Paddington.

Par Karl De Meyer.

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