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“Apple, Amazon… Les habits numériques de la concurrence”

Apple n’est pas seulement un fabricant d’ordinateurs et de téléphones. C’est aussi un distributeur de contenus et, depuis peu, un système de paiement. Amazon n’est pas seulement un géant de la distribution. C’est aussi un fournisseur d’espaces de stockage de données, un organisme de crédit, une maison de prêt-à-porter, un fabricant de meubles, un producteur et distributeur de films, etc. Le développement exponentiel de ces plateformes numériques est une révolution dont on n’a pas encore pris toute la mesure.

Prenez la notion de concurrence. Jusqu’à peu, les législations antitrust censées protéger le consommateur étaient basées sur une notion assez simple : éviter la création de trop gros acteurs, tellement gros qu’ils pourraient dicter leurs prix aux consommateurs. C’est en vertu de ce principe que la Commission européenne a, voici quelques semaines, interdit le mariage entre Alstom et Siemens. Ce regroupement allait créer un monopole dans les systèmes de signalisation ferroviaire, avec le risque de prix trop élevés qui se répercutent finalement sur le prix des billets achetés par le consommateur.

Mais Amazon pose un tout autre problème, brillamment exposé par une jeune juriste américaine Lina Khan, dans un article (” Amazon antitrust Paradox “, Yale Law Journal, janvier 2017) qui a fait date. Lina Khan explique que les dispositifs antitrust – qui visent à maintenir au bénéfice des consommateurs les prix les plus bas possibles en organisant une concurrence loyale – sont totalement dépassés quand on parle des Gafa. Amazon maintient les prix les plus bas. Mais l’entreprise est hautement valorisée par les marchés qui ont bien compris qu’elle bâtissait un monopole. En pratiquant une politique de prix ” prédatrice “, Jeff Bezos a pu étendre largement et rapidement son empire à la fois horizontalement (Amazon est devenu le centre de gravité de l’e-commerce, la plateforme sur laquelle il faut être si l’on veut vendre un produit online), mais aussi verticalement (en produisant lui-même de plus en plus de produits qui se retrouvent sur sa plateforme en concurrence avec des produits tiers).

Le problème ne réside pas dans les prix, mais dans les pratiques qui visent à réduire le choix du consommateur ou dans une politique d’acquisition étouffante.

Les marchés ont compris que ce qui compte aujourd’hui, ce n’est pas la marge réalisée sur la vente de produits, mais la capacité à bâtir une infrastructure à la croissance phénoménale, dotée d’un poids tel que les autorités lui octroient des subsisdes (Amazon a failli installer son siège à New York, où l’entreprise promettait 25.000 emplois en échange de 3 milliards de dollars d’avantages fiscaux), quitte à fermer les yeux sur les conditions de travail ou de rémunération de certains de ses employés. Et quitte aussi à ne pas trop regarder la question de la concurrence.

Il y a en effet un problème. Il se traduit non dans les prix, mais dans les diverses pratiques et les algorithmes qui visent à réduire le choix du consommateur pour le pousser à acheter certains produits ou dans une politique d’acquisition étouffante. Un exemple. Amazon, au début des années 2000, avait approché Quidsi, propriétaire de divers sites spécialisés, notamment dans les couches- culottes et les produits pour bébés. Quidsi refusa d’être racheté. Amazon dépensa alors une centaine de millions de dollars pour lui faire concurrence, pratiquant des rabais importants sur les produits qui étaient distribués par son concurrent. Lequel, en perte de vitesse, accepta finalement de se faire racheter 545 millions de dollars en 2011. Tout cela pour que, sept ans plus tard, Amazon ferme ses sites.

Depuis l’article de Lina Khan, la question de la taille et de la prépondérance des Google, Amazon et autres Facebook devient une question politique des deux côtés de l’Atlantique. On commence à se demander s’il ne faudrait pas les obliger à se scinder, à l’image de ce que l’on avait fait dans le passé pour Standard Oil ou Bell… On ne sait si c’est une bonne idée. Mais on sait désormais que la concurrence ne se limite pas au prix sur l’étiquette, mais à ne pas étouffer la liberté ou la possibilité même de choisir.

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