Airbus remanie sa direction pour éviter une crise

© Reuters

Espérant éviter une crise interne, Airbus va remanier sa direction avec le départ prochain de son numéro deux, Fabrice Brégier, qui sera remplacé par le patron d’Airbus Helicopters, Guillaume Faury, tandis que le PDG Tom Enders ne renouvellera pas son mandat en 2019.

Le conseil d’administration du constructeur aéronautique “a décidé de remanier la direction de l’entreprise afin d’assurer une succession en bon ordre au sein du top management d’Airbus”, a-t-il annoncé vendredi, au lendemain d’une réunion difficile, qui a duré toute la journée.

Le groupe a été secoué cette semaine par des fuites dans la presse annonçant le départ de ses principaux dirigeants, Tom Enders et Fabrice Brégier, créant une ambiance délétère autour du géant aéronautique déjà en proie aux affaires. En interne, ces rumeurs ont suscité des craintes et l’inquiétude de voir la crise se transformer en guerre de succession.

Airbus est sous le coup d’investigations du Parquet national financier (PNF) en France et du Serious fraud office (SFO) en Grande-Bretagne pour des irrégularités sur des transactions, pour des faits qu’il avait lui-même dénoncés en 2016.

Il est aussi la cible de deux autres enquêtes en Autriche et en Allemagne autour de la vente d’avions de combat Eurofighter à Vienne. En Autriche, Tom Enders figure parmi les personnes visées par l’enquête, mais de l’aveu du parquet général de Munich, la justice allemande dispose “de peu de preuves de corruption”.

“La responsabilité du conseil d’administration est de planifier une succession en bon ordre et le développement continu du vivier de cadres supérieurs”, a commenté son président Denis Ranque. “Nous sommes convaincus que nous avons pris les bonnes décisions pour garantir la stabilité à long terme et le futur succès d’Airbus.”

“Tom Enders bénéficie de tout notre soutien pour mener à bien ce changement de génération”, a-t-il poursuivi. Le conseil d’administration lui avait déjà apporté son soutien lors de sa précédente réunion, en octobre dernier.

Fabrice Brégier, 56 ans, quittera ses fonctions en février 2018. Numéro deux d’Airbus et président de la branche aviation civile du géant aéronautique, il ne participera donc pas au processus de désignation du successeur de Tom Enders en 2019, comme il le souhaitait.

‘Besoin d’esprits neufs’

Après 25 ans au sein d’Airbus, Fabrice Brégier dit vouloir se tourner vers “de nouvelles opportunités”.

“Jusqu’à mon départ l’année prochaine, je m’emploierai à respecter les engagements d’Airbus vis-à-vis des toutes ses parties prenantes et à assurer une transition harmonieuse avec mon successeur”, a-t-il assuré. Parmi ces priorités figure la livraison de plus de 700 avions cette année, un défi qu’il entend toujours relever.

Tom Enders, 59 ans, partira de son côté à l’issue de son mandat actuel en 2019. Sa mission d’ici là sera de nettoyer les écuries d’Augias et de remettre à son successeur un groupe en conformité avec l’éthique et ayant retrouvé sa pugnacité, notamment face à son éternel rival Boeing.

“Il est temps à présent d’initier un changement de leadership”, a-t-il indiqué. “Nous avons besoin d’esprits neufs pour les années 2020.”

“Au cours des 16 prochains mois, je collaborerai avec le conseil d’administration afin d’assurer une transition fluide avec le prochain président exécutif et une nouvelle génération de dirigeants. Je me focaliserai sur nos défis commerciaux et je continuerai à faire progresser et à renforcer nos programmes d’éthique et de conformité”, a-t-il ajouté.

Il a également eu un mot pour Fabrice Brégier, en dépit de l’animosité entre les deux hommes: “Nombre des succès qui ont fait la fierté de cette entreprise au cours des dix dernières années ont été conjointement menés par Fabrice et moi-même”.

Quant à Guillaume Faury, 49 ans, sa succession à la direction d’Airbus Helicopters sera décidée et annoncée dans les prochaines semaines. “Guillaume représente notre nouvelle génération de leaders”, a déclaré Tom Enders. Le Français a dirigé avec brio Airbus Helicopters en dépit des difficultés du secteur ces dernières années.

La situation chez Airbus est suivie de près par Paris et Berlin, actionnaires du groupe à hauteur de 22%. Airbus est un géant qui emploie 134.000 personnes et représente un gros contributeur net au commerce extérieur des deux pays.

Futur numéro deux, le parcours de Guillaume Faury suscite l’adhésion

En choisissant Guillaume Faury comme futur numéro deux, Airbus s’appuie sur un leader solide qui a imprimé sa marque à la tête de la branche hélicoptères du groupe, et qui n’est pas concerné par les affaires qui plombent l’avionneur.

“Guillaume représente notre nouvelle génération de leaders”, a déclaré Tom Enders, le patron d’Airbus, à l’occasion de sa désignation. “À la direction de nos activités hélicoptères, il a démontré qu’il possédait une vaste expérience des affaires et de l’industrie ainsi qu’un état d’esprit tourné vers l’international, et il a clairement mis l’accent sur la création de valeur”, a-t-il ajouté.

Passé par les grandes écoles Supaero (aéronautique) et X (polytechnique), âgé de 49 ans, Guillaume Faury, marié et père de famille, a débuté sa carrière aéronautique auprès de la Direction générale de l’armement (DGA), où il supervisait les essais en vol de l’hélicoptère de combat Tigre.

Il a ensuite rejoint Eurocopter (devenu depuis Airbus Helicopters), avant une escapade de quelques années comme directeur de la recherche et du développement chez le constructeur automobile PSA, qui lui vaut de ne pas avoir été aux affaires entre 2008 et 2013, soit les périodes visées par les enquêtes en cours.

Ingénieur navigant d’essai, il a été responsable du département Essais en vol Hélicoptères lourds et vice-président exécutif des Programmes commerciaux.

“Intègre”

Dépeint comme un meneur d’hommes “intègre” et “droit” qui suscite l’adhésion voire l’empathie de ses troupes, Guillaume Faury a pris la tête des hélicoptères au pire moment: une crise structurelle liée à la chute des prix du pétrole qui affectent le secteur offshore, principal client des hélicoptéristes.

Pour autant, il est parvenu à limiter les dégâts pour le numéro un mondial du secteur, grâce à une stratégie d’innovation et un rééquilibrage autour des services. Malgré une chute des commandes, Airbus Helicopters a ainsi pu maintenir en partie son chiffre d’affaires.

“Il a parfaitement géré la crise du marché des hélicoptères”, estime un cadre du groupe. “Il a aussi commencé à positionner (l’activité) sur ses prochains défis, l’+urban air mobility+ et les drones à voilure tournante” qui sont des axes de développement de la branche.

Guillaume Faury est aussi à l’origine de la nouvelle stratégie industrielle de spécialisation des sites de production, sur le modèle de son grand frère de l’aviation civile Airbus, afin de réduire les coûts et les délais de fabrication des appareils.

Mieux, il a lancé le successeur du Dauphin, le H160, en matériau composite dont l’entrée en service est attendue en 2019. Il doit tirer la croissance du groupe au cours des prochaines années, et c’est “le premier appareil qui rentre dans le processus de spécialisation des sites”, expliquait encore Guillaume Faury début décembre lors de l’inauguration d’une usine de pales à Dugny. La durée d’assemblage du H160, installée à Marignane, sera ainsi divisée par deux par rapport aux modèles actuels.

Héritage du passage de son patron chez le constructeur automobile, Airbus Helicopters s’est associé à Peugeot Design Lab pour créer le design extérieur de l’appareil.

C’est aussi Guillaume Faury qui, à son retour chez l’hélicoptériste, a recommandé son changement de nom au profit d’Airbus Helicopters, en ligne avec la stratégie de marque unique du géant aéronautique.

Pragmatique, il a expliqué que la marque Airbus est connue partout dans le monde et ses valeurs “d’innovation, de performance et d’excellence industrielle”. Eurocopter, aussi connu soit-il, avec son préfixe Euro, “touche un peu la limite de son internationalisation quand il s’appelle American Eurocopter aux Etats-Unis”, selon lui.

La période la plus difficile de Guillaume Faury chez Airbus Helicopters est l’accident d’un appareil en Norvège, un Super Puma H225 qui a coûté la vie à 13 personnes en avril 2016. L’appareil, très utilisé dans l’industrie pétrolière en mer, a été cloué au sol pendant un an.

Mais sa reconnaissance au sein des milieux de la défense en France lui a valu d’être désigné référent de DGA au sein d’Airbus pour les questions militaires après le départ en février dernier de Marwan Lahoud, l’ex-directeur de la stratégie du constructeur aéronautique.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content