Réductions à tout va : un investissement rentable ?

Le consommateur a l’embarras du choix pour profiter d’un repas au restaurant à bon prix : coupon sur le Web, bon cadeau, “pass” privilège. De son côté, le patron d’établissement a de quoi multiplier les initiatives pour se faire connaître. Décryptage.

Resto.be, Groupon, RestoPass, Restobigdeal, Restobookings, Proxyclick, Resto In. Les initiatives marketing autour des restos ont, semble-t-il, la cote. Une tendance qui n’a, en soi, rien de surprenant. Depuis toujours, les restaurateurs cherchent en effet à mettre leur établissement en lumière. A côté des pages ou annonces publicitaires dans la presse ou en ligne, ils sont le plus souvent séduits par des formules où ils ne paient rien d’avance mais acceptent de céder une commission ou de raboter leurs marges. C’est d’ailleurs sur ce principe que se sont construites, depuis des années, les principales initiatives marketing dans le domaine : des cartes (disparues) type Magellan, au Bongo, en passant par RestoPresto.

De leur côté, les entrepreneurs avouent généralement être attirés par la facilité de promotion. “Les gens aiment aller au restaurant. Et un menu est un produit aisément vendable”, admet Quentin Nickmans, le fondateur du service de livraison RestoPresto, revendu au groupe français Resto In. Les systèmes de commission assurent les recettes. De quoi ravir les marketeers, car dans les formules de paiement au service, le monde de l’Horeca n’est pas le meilleur payeur. Paul Slootmans de Resto.be avance ainsi que dans le cadre de ses services sur abonnement, 5 à 10 % des factures restent impayées. La Toile et ses outils de recherche ont quant à eux permis à nombre d’initiatives de voir le jour. A côté de Resto.be, l’annuaire en ligne pionnier qui recense, à ce jour, plus de 18.000 établissements, on compte une multitude de sites web consacrés au monde de la restauration.

Des assiettes de plus en plus bradées

A l’heure des réseaux sociaux et des communautés, les patrons de restaurant se montrent friands de nouveautés et n’hésitent pas à surfer sur la vague de “bons plans” qui déferle sur le Net pour le moment. Effet de la crise ? Toujours est-il qu’ils acceptent volontiers de multiplier les réductions. En vrac, nous en avons relevé quelques-unes : 67 % de réduction sur un menu gastronomique de 109 euros au Monte Carlo à Bruxelles via Groupon, 40 % pour un double menu sushi chez Sushi Factory via RestoBigdeal, 30 % de remise sur les plats de 45 restaurants bruxellois renommés via le RestoPass. Il faut dire que selon une étude de RestoPass menée auprès des consommateurs belges, 70 % d’entre eux seraient influencés par la perspective d’une ristourne lorsqu’ils hésitent à entrer dans un établissement qu’ils ne connaissent pas.

Pourquoi les cuistots bradent-ils leurs assiettes ? Depuis toujours, et encore plus actuellement, les patrons de restaurant sont confrontés à une équation difficile : “Ils doivent jongler entre les coûts fixes, d’une part, et la concentration des revenus, d’autre part”, analyse Quentin Nickmans. “Ils réalisent en effet la majeure partie de leur chiffre d’affaires les jeudis, vendredis et samedis soir ; ils font donc face à de nombreux moments creux. Et, sauf exception, il leur est difficile de savoir à l’avance s’ils auront du monde.”

Comme les compagnies aériennes

Les restaurateurs sont donc à la recherche de solutions pour rentabiliser au mieux leur établissement. A l’instar des hôtels et des compagnies aériennes, ils préfèrent accorder d’importantes remises plutôt que d’avoir trop de tables vides et de jeter leur nourriture. Inquiétant ? Pas vraiment : selon plusieurs experts, même avec 30 ou 40 % de réduction et la commission (parfois énorme) qu’ils reversent au prestataire marketing, les restaurateurs sortent encore gagnants. Clément Benoît, PDG de Resto In, n’y va pas de main morte : “Certains vont jusqu’à prendre des marges de 400 à… 800 %. Même si un intermédiaire prélève une commission de 50 %, on ne peut pas parler d’abus.”

Sans oublier que les marketeers ne manquent pas d’arguments pour convaincre les restos. D’abord, ils avancent une belle visibilité pour l’établissement : promotion du site web, newsletters envoyées à un nombre impressionnant de contacts, petit livre imprimé, etc. Ensuite, ils promettent au restaurateur d’attirer des clients qu’il n’aurait pas pu toucher lui-même. A charge du restaurateur de séduire ensuite le consommateur et de le convertir en client régulier. Enfin, les intermédiaires font toujours valoir auprès des gérants d’établissement des ventes supplémentaires agrémentées d’extras. “On constate que le client qui entre dans un resto grâce à une réduction commande souvent des suppléments”, renchérit Michel Vautherin, qui déploie le concept du RestoPass en Belgique et dans d’autres pays. “Le consommateur sait qu’il réalise une bonne affaire grâce à la réduction et se fait plaisir avec du vin, un apéro, etc.”

Ces différentes initiatives ( voir encadrés) feraient donc office de mécanisme win-win pour tout le monde : restaurateur, intermédiaire et consommateur. Certaines limites existent néanmoins : miser sur le retour du client est “un pari”, estime un observateur. “Beaucoup de clients viennent profiter de la réduction, boivent de l’eau et ne reviennent pas forcément.” Autre risque : que des clients réguliers profitent des diverses réductions alors qu’ils seraient malgré tout venus au prix plein. Mais l’établissement peut tout au plus craindre dans ce cas un manque à gagner, pas une perte sèche.

Dérapage des achats groupés

Certains commerçants se plaignent toutefois que les transactions conclues sur des sites d’achats groupés leur font perdre de l’argent tant le deal est agressif et remporte du succès auprès des internautes. Cela leur imposerait, dès lors, de refuser des clients qui paient le prix plein pour respecter leur engagement pris en ligne.

Certains restaurateurs ont cependant trouvé la parade : ils adaptent spécifiquement leur menu à l’offre proposée. De la sorte, ils évitent de trop rogner leurs marges tout en empêchant le consommateur de comparer les prix et de constater lui-même la réduction. Sans compter que nombreux sont les établissements qui n’acceptent qu’un nombre limité de coupons en même temps : de quoi étaler les visites et… remplir les tables vides sans se priver de la clientèle au tarif plein.

Christophe Charlot

RestoBigdeal

Concept : calqué sur le modèle de Groupon, RestoBigdeal est une des initiatives de Dreaminvest, la holding derrière Resto.be. Le concept est connu : proposer chaque jour (ou presque) un bon deal resto aux internautes. Rapidement, les offres de RestoBigdeal devraient être intégrées à la plate-forme Resto.be. Avec ce nouveau service, cette dernière espère couper court à la concurrence des acteurs de l’achat groupé.

Pour le consommateur : Il peut acheter des deals offrant, selon les cas, des réductions de 50 % sur des menus proposés (parfois imposés), généralement pour deux personnes. Certaines conditions sont toutefois posées : une période de validité et, d’un resto à un autre, des limitations (hors boissons, par exemple).

Pour le restaurateur : Il accepte de sérieusement ro-gner ses marges. En plus d’une réduction substantielle (de 30 à 60 %), il cède en outre une commission (40 % en moyenne). Mais il s’assure une importante visibilité par e-mail : 70.000 contacts pour Bruxelles.

Résultats : L’initiative, lancée en janvier, n’est encore qu’en phase de démarrage ; quelques dizaines de deals ont été proposés depuis la mi-janvier, pour Bruxelles uniquement. Le concept devrait être lancé en Flandre d’ici peu. Le succès est, pour l’instant, mitigé : de 15 à 200 acheteurs par deal. Mais l’équipe derrière l’initiative est en phase de rodage.

Resto.be

Concept : Un guide web des restos belges doublé d’une communauté de consommateurs qui peuvent rédiger des commentaires et attribuer des notes en ligne. Le restaurateur s’acquitte d’un abonnement annuel. Il peut, en outre, bénéficier d’une série d’options (payantes) : disposer de pages web dédiées, d’un nom de domaine ou permettre (via Restobookings, une autre société de la galaxie Dreaminvest) la réservation en ligne en temps réel.

Pour le consommateur : Il peut accéder gratuitement à une plate-forme d’information, très complète. Des concours et des promotions.

Pour le restaurateur : Des outils de présence Internet, une visibilité auprès du million de visiteurs mensuels. Mais aussi des outils promotionnels : newsletter, jeux, etc. Il paie un abonnement annuel (environ 1.000 euros/an) pour figurer sur le portail Resto.be et, s’il fait appel à Restobookings, il verse une commission de 1,5 euro par couvert réservé en ligne.

Résultats : L’annuaire Resto.be est devenu une référence : 18.000 restos regroupés, dont 3.500 qui paient un abonnement. L’entreprise affiche 3,7 millions d’euros de chiffre d’affaires, en croissance d’année en année. Le concept existe aussi au Luxembourg et en France.

Proxyclick

Concept : Proxyclick (autrefois baptisée Click’n Lunch) propose une série de services aux entreprises. Dont une “cantine virtuelle” à partir de 40 euros par mois : les employés d’une entreprise inscrite au service peuvent regrouper leurs commandes auprès de restos ou snacks faisant appel à Proxyclick et se les faire livrer. Proxyclick ne se charge ni de la cuisine ni de la livraison, laissées au soin de chaque établissement.

Pour le consommateur : Un système facile qui permet de changer de cantine chaque midi pour autant que les collègues commandent au même endroit.

Pour le restaurateur : “On l’aide à s’organiser avec une plate-forme en ligne qui lui permet de gérer les commandes qu’il reçoit sur le web”, précise Grégory Blondeau, fondateur du service. “Le paiement se fait en ligne. De plus, on lui apporte du volume le midi.” En échange, l’établissement cède à Proxyclick une commission de 10 %.

Résultats : Pour son service de cantine virtuelle, Proxyclick déclare dépasser les 15.000 commandes par mois, pour un total de commandes de 100.000 euros. Une centaine de sociétés feraient appel à Proxyclick qui les met en relation avec 150 établissements.

Avantage : Accès aisé au menu de tous les restos inscrits

Inconvénient : Système destiné aux entreprises

Bongo

Concept : Des boîtes thématiques à offrir en cadeau. Sur sa soixantaine de coffrets au total, Bongo propose une dizaine de boîtes concernant des offres dans des restaurants. Il y en a pour toutes les bourses : du goûter dans des salons de thé à 25 euros au repas dans un resto étoilé à 130 euros.

Pour le consommateur : un coffret cadeau facile à offrir et connu de tous. Pas de réduction particulière.

Pour le restaurateur : Le restaurant ne doit pas accorder de ristourne particulière sur le prix de sa carte. Certains proposent un menu spécifique pour les bons Bongo. Néanmoins, il accepte de céder, à Smart&Co, la société derrière Bongo, une commission de l’ordre de 25 à 30 %.

Résultats : La firme reste discrète sur le nombre exact de coffrets Bongo liés aux restaurants qu’elle vend. Le chiffre avancé est de “quelques centaines de milliers”. Mais elle reconnaît un chiffre d’affaires de 10 millions d’euros rien que pour cette catégorie de bons. Le concept du bon cadeau a tellement le vent en poupe que les initiatives similaires sont nombreuses : Vivabox, CadeauBox, etc. Selon Smart&Co, seulement 7 % des restaurants ne renouvelleraient pas leur partenariat.

Resto In

Concept : Proposer un service web (à Bruxelles) de livraison à domicile de plats de restaurants. L’internaute dispose, à portée de clic, des menus de différents établissements bruxellois et fait son choix. Resto In, une société française qui a racheté le service belge RestoPresto, met sa plate-forme à disposition des restos et se charge de toute la logistique liée à la livraison.

Pour le consommateur : Il peut commander dans une quarantaine d’établissements les plats qui figurent sur le menu, au même prix que sur place. Il doit toutefois s’acquitter de frais de livraison de 7 à 10 euros.

Pour le restaurateur : Il dispose d’un partenaire pour la livraison et peut proposer un service supplémentaire à sa clientèle. Ce qui doit lui permettre un chiffre d’affaire additionnel allant jusqu’à 15 %, selon le patron de Resto In. Dans les scénarios optimistes, bien sûr. Le resto doit néanmoins céder une commission de l’ordre de 50 % à Resto In.

Résultats : Clément Benoît, PDG de Resto In, se dit satisfait de son business en Belgique, qui emploierait déjà 45 personnes et dégagerait un chiffre d’affaires de 1,5 million d’euros.

RestoPass

Concept : Ce petit livret offre à son détenteur une réduction de 30 % sur la note (hors boissons) dans 45 restaurants retenus sur la base d’une enquête menée auprès de 2.800 Bruxellois. L’entreprise déploie d’importants efforts pour se développer sur le segment B2B et proposer le RestoPass comme cadeau d’entreprise. Par ailleurs, elle entend créer une communauté de “restopassiens”.

Pour le consommateur : Il s’agit d’un outil de réduction sans condition. Le RestoPass est en effet valable tous les jours, sur toute la carte, avec un maximum de 50 euros de réduction par utilisation. Le RestoPass n’est pas nominatif.

Pour le restaurateur : Il s’engage à accorder la remise de 30 % sans condition, sur les plats servis. Peu de risques donc, hormis un éventuel manque à gagner les jours d’affluence puisqu’il ne contrôle pas le moment des visites des détenteurs du RestoPass.

Résultats : En 2010, 4.000 RestoPass ont été vendus. En moyenne, un peu moins de 10 restos sont visités avec chaque pass. Cette année, l’entreprise espère vendre jusque 7.500 pass à Bruxelles. Par ailleurs, une édition a été lancée à Barcelone, tandis que des pass pour Paris, Anvers et le Brabant wallon sont également annoncés.

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