Un De Vinci à 450 millions: les vraies raisons d’une telle envolée

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Marketing débridé, acheteurs en quête de reconnaissance: le record atteint mercredi aux enchères par un Léonard de Vinci rarissime mais contesté a abasourdi les experts, même s’il témoigne des nouvelles tendances du marché de l’art.

450 millions de dollars pour “Salvator Mundi”, la seule toile du maître italien encore dans les mains d’un collectionneur privé, le grand public n’en revient pas, et les spécialistes non plus.

“Je n’aurais jamais pensé que ça atteindrait ce prix. Incroyable”, a réagi Georgina Adam, journaliste spécialisée et auteure de deux livres sur le marché de l’art.

Le tableau, qui s’était encore vendu 45 livres sterling en 1958, “avait été proposé il y a trois ou quatre ans et on me dit que les grands musées américains n’en voulaient pas. Christie’s a fait un boulot remarquable pour le vendre,” dit-elle.

Depuis son authentification, en 2005, plusieurs experts avaient questionné le rôle effectivement joué par Léonard de Vinci dans la conception du tableau, ainsi que la valeur de l’oeuvre, altérée selon eux par les restaurations qu’elle a subies.

“Dans le meilleur des cas, c’est un de Vinci, en piteux état, qui n’est pas un chef-d’oeuvre fascinant et qui pose question sur sa provenance. Et quelqu’un a dépensé un demi-milliard de dollars pour ça”, lâche Todd Levin, directeur du cabinet de conseil en art Levin Art Group.

Pour effacer les réserves que continuait à susciter cette huile datant de 1500 environ, malgré l’authentification de nombreux experts reconnus, Christie’s a appliqué un plan de communication qui jouait au moins autant sur l’aura de l’artiste italien que sur l’oeuvre elle-même.

De Vinci “parle à tout le monde, jeunes et vieux”, comme le montre le succès de La Joconde au Louvre ou celui du livre et film “Da Vinci Code”, souligne Rachel Pownall, professeur à l’université de Maastricht aux Pays-Bas, titulaire d’une chaire d’art et finance.

“Parmi les artistes les plus connus, il est au sommet”, insiste-t-elle.

Marketing “très osé”

Tournée mondiale, jusqu’à Hong Kong, avec des queues interminables à chaque fois, annonce en grande pompe de la vente plus d’un mois à l’avance, Christie’s a savamment créé le “buzz” autour de l’événement.

“Le monde regarde” (“The World is Watching”), disait le titre d’une des vidéos promotionnelles de la vente, qui habilement ne montrait pas le tableau, mais des visiteurs venus l’admirer, parfois les yeux embués par l’émotion, parmi lesquels Leonardo DiCaprio ou Patti Smith.

Le tableau “a été offert lors d’une vente d’art contemporain, ce qui est sans précédent”, souligne aussi Darius Spieth, professeur d’art à l’université d’Etat de Louisiane. “D’un point de vue marketing, c’était très bien joué”, “très osé”.

“Ils faisaient clairement un appel du pied aux jeunes acheteurs”, souligne aussi Georgina Adam.

Christie’s n’a rien dit de l’identité de l’acquéreur, mais beaucoup pensent à cette nouvelle génération d’acheteurs très fortunés, dont certains “achètent de l’art pour faire du bruit”, pour “se montrer”, décrit un expert américain en évaluation d’oeuvres d’art, sous couvert d’anonymat.

“Ces collectionneurs veulent davantage posséder une marque qu’une vraie oeuvre”, ajoute-t-il.

Et si le cas de Léonard de Vinci reste unique, l’appétit pour une marque ou un nom est bien une tendance de l’ensemble du marché, jusqu’à l’art contemporain, et le tire vers des sommets inédits, selon les professionnels.

En six mois, Basquiat, Chagall ou Magritte ont ainsi tous battu des records, et Gauguin l’a frôlé lundi.

Une situation que Darius Spieth attribue à l’euphorie des marchés boursiers, étroitement corrélés au marché de l’art depuis 40 ans. “Inévitablement, il va y avoir une correction à un moment donné,” même si personne ne peut prédire quand elle aura lieu, dit-il.

En attendant, “tout se vend”, conclut-il. “Quoi que vous proposiez, tout trouve acquéreur.”

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