Pourquoi les marchés se ferment devant l’entrée en Bourse de Belfius (Zone + Trends)

" Belfius, rends-nous l'argent d'Arco " Déjà en 2014, les coopérateurs d'Arco mettaient la pression sur la banque et Beweging.net. © Photo News

A moins d’un virage de dernière minute lors des négociations budgétaires de juillet, l’introduction en Bourse de 30 % du capital de Belfius ne se fera pas cette année. En cause, un casse-tête politique toujours non résolu, l’intransigeance du droit européen et la fermeture progressive des marchés financiers.

Voici trois mois, on se demandait si la banque Belfius, qui appartient à l’Etat, pouvait être introduite en Bourse avant l’été. La réponse, déjà, était négative ( voir Trends Tendances du 12 avril). Mais au vu de l’impasse dans laquelle se situe aujourd’hui le dossier de la mise en Bourse (IPO, dans le jargon) de l’ancienne filiale belge de Dexia, on peut se demander si l’opération aura lieu encore cette année, voire même en 2019. Il reste une possibilité de débloquer le dossier, en juillet, mais elle semble ténue.

Le casse-tête Arco

On connaît l’équation. Au sein du gouvernement, le vice-Premier Kris Peeters (CD&V ) lie l’introduction en Bourse de Belfius à la résolution du cas Arco. Le CD&V a en effet promis aux coopérateurs d’Arco, la coopérative du mouvement social-chrétien qui était un des grands actionnaires de Dexia, qu’ils seraient indemnisés de leur mauvaise fortune. La participation dans Dexia constituait l’essentiel des actifs d’Arco et la déconfiture du groupe franco-belge, avec la crise de 2008, a provoqué la liquidation d’une grande partie des entités du groupe coopératif qui s’est vidé de sa substance.

Or, le dossier Arco est un casse-tête. Environ 800.000 coopérateurs, qui détenaient en moyenne pour 1.900 euros de parts, ont été touchés. Le gouvernement de l’époque, celui du CD&V Yves Leterme, avait donné sa garantie aux coopérateurs. En gros, la facture, qui avoisine 1,5 milliard d’euros, avait été généreusement transmise aux contribuables. Pourquoi sauver les coopérateurs d’Arco alors que les communes, qui avaient été – via le Holding communal – un autre grand actionnaire de Dexia, ont été abandonnées à leur sort ? C’est parce qu’en Flandre, d’où les coopérateurs proviennent pour la quasi-totalité, ceux-ci constituent un enjeu électoral très important : proches du Mouvement ouvrier chrétien et du syndicat chrétien, ils sont généralement portés à voter pour le CD&V. Mais si le parti social-chrétien flamand apparaît incapable de défendre ses ouailles, il perdra naturellement des points dans cette frange de l’opinion. Avec les élections communales, puis fédérales, qui s’annoncent, ce n’est évidemment pas le moment. La N-VA, qui travaille (avec succès) à saper la base électorale du CD&V depuis des années, comprend tout aussi bien cet enjeu et s’en sert depuis longtemps pour miner les démocrates-chrétiens.

Là-dessus vient se greffer un problème plus technique mais inévitable : le droit européen en matière d’aide d’Etat. Pourquoi l’Etat belge devrait-il aider – même s’il s’agit d’une coopérative – un des grands actionnaires déchus de Dexia ? L’Union européenne et la justice belge ont déclaré caduque la garantie d’Etat sur Arco, considérée comme une aide d’Etat illégale. Aussi s’est-on orienté vers, non plus une garantie d’Etat, mais la constitution d’un pot dans lequel Belfius, le syndicat chrétien et Arco mettraient de l’argent pour indemniser partiellement les coopérateurs. On parle d’une enveloppe de 600 millions d’euros (ce qui revient à indemniser les coopérateurs à hauteur de 40 % de leur mise environ) : 400 millions viendraient d’un dividende exceptionnel de Belfius versé à l’Etat qui financerait l’opération par ce bais, une centaine de millions proviendraient des produits de la liquidation d’Arco et le solde serait fourni par Beweging.net, le réseau des organisations sociales du mouvement chrétien flamand, via des abandons de créances et un geste en cash de 35 millions d’euros.

Pourquoi les marchés se ferment devant l'entrée en Bourse de Belfius (Zone + Trends)

“First things first”

Deux difficultés se posent néanmoins à ce stade. La première, c’est encore l’Europe. La Commission risque de tiquer à nouveau sur ce qui apparaît toujours comme une aide d’Etat : les deux tiers de l’argent de l’enveloppe destinée à indemniser les coopérateurs sont versés par l’Etat, même si cette somme provient de Belfius (soit via le versement d’un superdividende, soit via le produit de l’IPO). Le gouvernement Michel qui a créé une task force pour régler le problème discute de ce point depuis des mois avec la Commission.

Mais un autre point d’achoppement est interne au gouvernement, dont certains membres estiment que, franchement, le syndicat chrétien, responsable de la débâcle, pourrait faire un geste plus important que le versement en cash de 35 millions d’euros qu’il a prévu de faire. Cela permettrait de débloquer aussi le dossier au niveau européen, puisque si l’Europe est très sourcilleuse en matière d’aide d’Etat, elle n’a rien à dire en ce qui concerne l’usage de la cassette de Beweging.net.

Il reste que Kris Peeters campe sur ses positions. Récemment interrogé par nos confrères du Tijd, il a rappelé ses priorités : ” Je n’ai aucun problème avec la mise en Bourse de Belfius. Mais il faut d’abord trouver une solution au problème d’Arco, tel qu’il en a été convenu au sein du gouvernement. First things first ( ce qui vient en premier d’abord, Ndlr). ” Sur ce point, le vice-Premier a raison : l’accord de gouvernement de 2014 stipule en effet que ” dans la poursuite des initiatives des gouvernements précédents, le gouvernement prendra soin d’élaborer un règlement adéquat visant le dédommagement des coopérateurs personnes physiques de coopératives financières reconnues “. Arco n’est pas cité nommément, mais c’est tout comme.

Ce à quoi l’autre vice-Premier, Alexandre De Croo, a répondu (également dans De Tijd) que Kris Peeters inversait les priorités : ” Pour moi, il faut voir les choses dans le sens contraire : s’il n’y a pas d’IPO pour Belfius, il n’y aura pas de solution dans le dossier Arco. La proposition qui circule actuellement pour dédommager les coopérateurs en question – et qui doit encore recevoir l’aval des autorités européennes – est comptabilisée sur une partie du produit de la vente de Belfius. Donc, si nous ne vendons pas, il n’y aura pas d’argent “.

Un milliard perdu

Bref, si lors des discussions budgétaires de la fin du mois de juillet, un accord se dessine, on peut encore espérer une mise en Bourse à la rentrée, même si le calendrier risque d’être un peu serré. Belfius est prête depuis plusieurs mois, mais il lui faut quand même quelques semaines pour préparer la logistique de l’opération. La banque doit en effet réaliser un ” tour de chauffe ” auprès de quelques grands investisseurs internationaux pour prendre le pouls du marché à son égard. Une telle présentation pourrait cependant encore se faire dans le courant du mois d’août. Ensuite, si l’on sent que les grands investisseurs sont intéressés à acheter des actions Belfius, un vrai road show, plus large, pourrait avoir lieu en septembre pour une entrée en Bourse quelques semaines plus tard.

Mais si aucune solution n’est trouvée, soit en déliant les dossiers Arco et Belfius, soit avec une astuce qui tienne la route pour indemniser les coopérateurs, on pourra sans doute dire adieu à l’IPO pour cette année, et très vraisemblablement pour l’an prochain. Car à partir du mois de septembre, les partis au gouvernement seront entrés en campagne électorale, pour les élections communales d’octobre d’abord, pour les législatives de mai 2019 ensuite. Ils ne prendront donc pas le risque de poursuivre les négociations sur ce dossier ultrasensible.

La fenêtre ne devrait donc se rouvrir qu’après la constitution du nouveau gouvernement après les élections de mai l’an prochain. Et Dieu sait alors combien de temps prendra la constitution d’un nouveau gouvernement, quelle coalition émergera et dans quel état seront les marchés alors ! Car à côté de ces impératifs politiques, il faut aussi tenir compte du contexte financier…

A vrai dire, le meilleur moment pour introduire Belfius en Bourse aurait été la fin de l’an dernier. Les marchés étaient encore calmes et positifs, et les cours de Bourse des banques européennes étaient encore en progression. Mais on a tardé… Pour boucler son budget 2017, le gouvernement a voulu bénéficier d’un gros dividende sans vouloir le partager avec d’autres actionnaires. Il a un peu pressé le management de Belfius qui ne voulait verser que 215 millions d’euros. C’est finalement 363 millions qui ont été payés à l’Etat en dividendes au titre de l’exercice 2017.

Rétrospectivement, on peut se demander si le jeu en valait la chandelle. Car depuis le début de l’année, la valeur de Belfius, comme celle de toutes les banques européennes, a chuté : l’indice des banques européennes a perdu près de 15 % entre fin janvier et aujourd’hui ( voir le graphique en page 42). Résultat, ” le blocage de l’entrée en Bourse de Belfius a coûté un milliard “, souligne le député N-VA Peter Dedecker. Il n’a pas tort : on valorisait en effet Belfius à 8 ou 9 milliards d’euros au début de l’année. Amputée de 10 à 15 %, la banque n’en vaudrait donc plus que 7 ou 8 milliards aujourd’hui.

Pourquoi les marchés se ferment devant l'entrée en Bourse de Belfius (Zone + Trends)
© Belga image

Marier Ethias ?

De plus, ce blocage handicape aussi le développement du groupe, car être coté en Bourse apporte à une société davantage de souplesse, notamment pour réaliser des acquisitions en levant des capitaux en Bourse ou par échange d’actions. Lorsque l’Etat avait racheté ce qui s’appelait encore ” Dexia Banque Belgique ” à sa maison mère Dexia à la fin de l’année 2011, la Commission européenne avait posé sa condition : Belfius ne pourrait pas notamment procéder à des acquisitions pendant plusieurs années. Mais cette condition est désormais levée et Belfius a de l’appétit. Il se dit que la banque pourrait ainsi chercher à se renforcer dans le private banking ou l’assurance.

C’est surtout dans ce dernier secteur que certaines opérations de consolidation pourraient avoir lieu (voir Trends-Tendances du 10 mai). Et un dossier que l’institution pourrait regarder de très près, c’est évidemment celui d’Ethias. Voici des décennies que l’on parle du mariage de ces deux entités. Il a du sens : les clients de la banque d’Etat et de l’assureur liégeois ont des points communs (les deux sont proches des pouvoirs locaux et peuvent leur offrir des solutions financières), la culture d’entreprise est assez proche. Mais surtout, les actionnaires d’Ethias (le fédéral, la Région wallonne, la Flandre et Vitrufin) seront à nouveau libres de vendre leur participation dans quelques mois. Ils avaient décidé de ne rien tenter jusqu’aux élections législatives de 2019, mais ensuite, chacun peut reprendre ses billes.

Le gel actuel de l’entrée en Bourse risque donc d’être dommageable à beaucoup de monde. Voilà pourquoi, en coulisses, il se dit qu’on s’active beaucoup à faire plier le CD&V. On saura d’ici un mois si ces pressions auront été efficaces. Et entre-temps, chacun prie pour que les marchés financiers tiennent le coup.

Belfius a réduit son risque italien

Si les cours de Bourse des banques européennes ne sont plus aussi fringants, c’est en raison d’une remontée des incertitudes : sur l’état de santé de l’économie européenne (il semble que la croissance de la zone euro ne soit plus aussi forte ces derniers temps), sur la croissance mondiale (en raison de la guerre commerciale déclarée par les Etats-Unis et de la remontée des taux et des prix pétroliers), incertitudes aussi sur l’avenir de la zone euro, qui reste très fragile alors que les populistes sont désormais au gouvernement en Italie.

Tout cela ne facilite pas une entrée en Bourse mais on se dira au moins que Belfius a eu le nez fin. La banque a en effet vendu un paquet d’obligations italiennes en début d’année, ce qui a réduit d’un petit milliard son exposition au risque italien qui est passée de 3,1 à 2,3 milliards environ. C’est, en passant, bien moins que son ancienne maison mère, Dexia, laquelle est, à hauteur de 20 milliards, une des banques non italiennes les plus exposées au risque souverain italien.

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