Pourquoi la Belgique devient actionnaire d’Euroclear

LE SIÈGE BRUXELLOIS D'EUROCLEAR Derrière ces murs du boulevard Albert II, 28.000 milliards d'euros de titres détenus pour les comptes de ses clients. © BELGAIMAGE

Rouage essentiel des transactions internationales, Euroclear, grande institution financière bruxelloise, accueille un nouvel actionnaire. Ce n’est rien d’autre que la SFPI, le bras financier de l’Etat. Pourquoi notre pays a-t-il dépensé près de 120 millions d’euros pour entrer dans le capital de cette société hautement spécialisée ?

La transaction s’est effectuée très rapidement. Dans le courant du mois de septembre, la banque française Société Générale faisait savoir qu’elle était vendeuse d’un paquet de titres Euroclear, institution financière basée à Bruxelles et spécialiste mondial du règlement-livraison de titres. Un paquet représentant 2,05 % de son capital. Quelques semaines plus tard, la Société fédérale de participations et d’investissement (SFPI), le bras financier de l’Etat belge, disait ” j’achète “, transaction annoncée le 9 novembre.

Euroclear n’est peut-être pas l’institution la plus connue du grand public, mais c’est un rouage très important, essentiel même, au bon fonctionnement des transactions financières. C’est ce qu’on appelle un dépositaire central : toutes les banques du monde entier et certaines grandes entreprises y possèdent un compte, afin de faciliter les transactions de leurs clients. Quand un client d’une banque achète des titres à un client d’une autre banque et que les deux institutions ont un compte chez Euroclear, ce dernier crédite le compte de la banque de l’acheteur, et débite celui de la banque du vendeur. Tout se passe au sein d’Euroclear, ce qui assure à la fois la rapidité et la sécurité de la transaction : le vendeur est sûr de recevoir son argent, l’acheteur de recevoir ses titres.

Chaque année, plus de 700.000 milliards d’euros d’opérations sont ainsi réglées chez Euroclear, qui détient pour ses clients plus de 28.000 milliards d’euros de titres dans ses comptes. Dirigée par l’ancienne directrice informatique et opérationnelle de BNP Paribas Fortis, Lieve Mostrey, la société emploie environ 4.000 personnes, dont 2.500 à Bruxelles. La capitale abrite en effet non seulement le siège opérationnel de l’institution mais également, depuis cette année, sa société mère. Auparavant, c’est une société britannique qui chapeautait l’ensemble. Mais Brexit oblige, Euroclear a déménagé son holding faîtier dans notre pays.

Cela fait quelques temps que l’actionnariat d’Euroclear est en mouvement. L’actionnaire historique était JP Morgan. Puis, au début des années 2000, la Sicovam (le dépositaire français) et une coopérative de grandes banques mondiales ont pris le relais. Mais elles ne sont plus les seules aux commandes. ICE (Intercontinental exchange, une grande Bourse américaine où s’échangent surtout des produits dérivés) s’est jointe à ce groupe, et détient désormais 10 % de l’institution après avoir racheté les parts de Royal Bank of Scotland l’an dernier puis, début 2018, d’autres actions détenues par des vendeurs désireux de rester anonymes.

Pourquoi la “SocGen” a-t-elle vendu ?

Mais pourquoi la Société Générale a-t-elle donc vendu ses parts ? C’est qu’au fil du temps, la participation des banques dans la firme a augmenté. La ” SocGen ” avait ainsi vu passer sa participation monter à plus de 5 %. Un peu trop à son goût, d’autant que la banque française, arrivée dernière de ses consoeurs hexagonales aux stress tests, fait partie des institutions financières auxquelles la Banque centrale européenne conseille fortement de renforcer ses fonds propres. Elle s’est ainsi défait de certaines participations non stratégiques, comme sa banque d’affaires en Belgique vendue dans le courant de l’été à ABN Amro et, tout récemment, sa filiale polonaise. Quelques heures avant d’annoncer le deal avec la SFPI, la ” SocGen ” avait en outre présenté ses résultats trimestriels, annonçant à cette occasion qu’elle avait réévalué sa participation dans Euroclear, ce qui lui permettait de faire état d’une plus-value latente de 271 millions d’euros. Le moment était donc bon pour en réaliser une partie.

Pour cette opération, Euroclear a, pour la première fois, donné son blanc-seing à un actionnaire qui n’est pas un client.

Reste qu’à Bruxelles, l’opération en a étonné plus d’un. Pourquoi la Belgique, qui a vendu ses 25 % dans Fortis Banque, s’est dégagée partiellement de sa participation dans BNP Paribas et ne fait pas mystère de vouloir céder le reste, et qui a planifié de mettre une partie de Belfius en Bourse quand les cieux seront plus cléments, a-t-elle décidé d’investir quand même dans une institution financière ?

Face à ces questions, les acquéreurs restent discrets. Mais des personnes proches du dossier énumèrent les diverses raisons qui ont poussé la SFPI à franchir le pas et à dépenser 118 millions d’euros pour acquérir ce petit bloc d’actions.

Et pourquoi la SFPI a-t-elle acheté ?

La première est l’importante trésorerie accumulée par le bras financier de l’Etat. Une trésorerie qui dépassait les 800 millions d’euros à la fin de l’an passé (derniers chiffres disponibles), alors qu’elle ne s’élevait qu’à 690 millions en 2014. ” La SFPI n’a pas vocation à accumuler du cash, dit-on. Elle doit investir, et trouver des investissements qui présentent des returns intéressants “. Ce placement rapporte entre 2 et 3 % si l’on s’en tient aux dividendes versés aujourd’hui. Mais la valeur de l’action, et le montant des dividendes, devraient grimper à l’avenir. Ce n’est donc pas un mauvais investissement, d’autant qu’Euroclear ne présente pas le même risque qu’une banque classique. Que les marchés montent ou descendent, il y aura toujours des transactions.

Il y a aussi une question d’opportunité : ce n’est pas tous les jours qu’un bloc de titres Euroclear est disponible. L’occasion faisant le larron, la SFPI a donc sauté sur l’occasion. En outre, le contrat de gestion de la SFPI qui a été approuvé par le gouvernement en juillet dernier indique notamment que celle-ci doit soutenir les infrastructures et le secteur financier. Euroclear correspond à cette cible. C’est une infrastructure informatique et une institution financière clé, régulée par la Banque nationale et ” c’est un des derniers bijoux de la place de Bruxelles “, dit-on.

Il était donc normal que le pays marque son intérêt et acquière une participation pour signifier l’ancrage belge de l’institution et, plus généralement, la volonté de la Belgique de conserver une place financière spécialisée dans quelques niches. Certes, avec 2 %, le geste est plutôt symbolique. Notre pays est un petit actionnaire, sans beaucoup de poids et ne disposant pas d’assez de pouvoir pour réclamer un siège au conseil d’administration. Mais le symbole est d’autant plus fort que le conseil d’Euroclear, qui a dû se réunir pour approuver l’arrivée de ce nouvel actionnaire a, pour la première fois, donné son blanc-seing pour accueillir un actionnaire qui n’est pas un client.

Et puis cette nouvelle ligne ne dépareille pas le portefeuille de la SFPI. Celle-ci détient en effet également une participation (4,5 %) dans le capital d’Euronext, gestionnaire entre autres des Bourses de Paris, Bruxelles, Amsterdam, Lisbonne et du marché londonien des dérivés, le Liffe. Il y aurait donc aussi une possibilité d’accompagner un mouvement stratégique : celui de rapprochement entre Euroclear et Euronext. Il ne s’agit encore que d’une hypothèse, mais elle peut avoir du sens. Car Euroclear est également actionnaire, à hauteur de 8 %, de cette Bourse paneuropéenne. Et l’on sait qu’en Allemagne, une fusion de ce genre s’est déjà produite. En 2002, Deutsche Börse avait absorbé Clearstream, qui n’est autre que l’autre grand dépositaire, concurrent d’Euroclear…

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