PayFair : un anti-Bancontact jusqu’à 50 % moins cher

© J. Vermeersch

CCV (terminaux) et PayFair (cartes de paiement) lancent une offre commune visant à briser le monopole de Bancontact/Mister Cash. Leur arme : une baisse de 15 % à 50 % des coûts pour les commerçants et particuliers. Analyse.

Le groupe CCV, qui produit des terminaux de paiement et offre ses services aux commerçants, dévoilera aujourd’hui jeudi sa nouvelle offre de services en coopération avec le groupe de cartes de paiement international PayFair. Le but des deux acteurs est de proposer aux commerçants et particuliers une alternative bon marché aux actuelles cartes de débit Bancontact/Mister Cash (Atos Worldline). On parle de baisses de coûts de l’ordre de 15 % à 50 % selon le type de contrat.

Carte de banque cherche émetteur

Pour PayFair, l’alternative belge à Bancontact, V Pay et Maestro, le moment de vérité approche. Son objectif : avoir une place sur les cartes bancaires pour permettre aux commerçants de mettre les systèmes de cartes en concurrence.

En mai 2006, Febelfin, la fédération belge du secteur financier, a annoncé qu’à partir de 2008, Bancontact/Mister Cash serait remplacé par Maestro, la carte de débit de MasterCard. De cette manière, la Belgique se conformerait sans problème aux normes SEPA, le marché européen unique pour les paiements. Le SEPA remplacerait les réseaux de paiement nationaux par des systèmes européens standardisés et ferait jouer la concurrence internationale.

Restait un problème. MasterCard avait promis aux banques belges de substantielles compensations pour leur revirement. Des compensations qui seraient facturées aux commerçants. Ainsi, chez les grands distributeurs et commerçants circulaient des estimations de hausses tarifaires de l’ordre de 200 %. N’était-ce pas le moment pour les commerçants d’émettre eux-mêmes des cartes de paiement ?

C’est dans ce contexte qu’a mûri en 2006-2007 le projet de création de PayFair. L’initiateur, Dominique Buysschaert (55 ans), a été jusqu’en septembre 2006 secrétaire général de Carrefour et administrateur de la Fedis, l’organisation de défense des intérêts de la petite et grande distribution. Il a trouvé un collaborateur idéal pour son projet en la personne de Jean-Pierre van Wayenberge (67 ans), ex-directeur IT et membre du comité de direction de Banksys, qui n’a pas hésité à interrompre une croisière dans les Caraïbes pour y prendre part.

Ce qui a commencé comme une réaction à une situation belge, a fini par avoir des ambitions internationales. European Payment Solutions (EPS), doté du nouveau statut juridique d’institution de paiement tel que prévu dans la directive européenne concernant les services de paiement, devrait lancer une nouvelle carte de débit à l’échelon européen. En partant de zéro. Un travail titanesque. C’est ce que sait aussi le Néerlandais Jaap Duhne, le troisième associé d’EPS, un ancien directeur de l’entreprise de sécurisation de magasins, Checkpoint Meto Benelux.

“Je leur souhaite bonne chance, lance Vincent Roland, ancien patron de Banksys et actuel directeur pour l’Europe, le Moyen-Orient et l’Afrique, de l’Américain First Data Corporation, le premier intermédiaire financier du monde. C’est une activité de réseau. Il faut disposer d’un nombre suffisant de cartes dans le marché et de points où ces cartes sont acceptées. Un tel réseau ne se construit pas en deux ans. Il faut y investir 10 ans, 20 ans.”

Les terminaux sont prêts

Depuis la création de l’entreprise, un bon bout de chemin a été parcouru. Techniquement, PayFair est opérationnel. Dans le courant de 2010, tous les terminaux de paiement d’Atos Worldline (anciennement Banksys) seront adaptés via des upgrades du software pour accepter des cartes PayFair. Les terminaux de paiement de CCV Cardfon et Keyware accepteront également les cartes PayFair. “A la fin de l’année, nous aurons une couverture correspondant à celle de Bancontact”, annonce le directeur du marketing Pierre Orban (36 ans), qui est venu renforcer l’équipe PayFair au début de 2008 et qui était jusqu’alors responsable des activités “cartes” de Fortis et président de Brand and License Company qui gère les droits sur le système Bancontact/Mister Cash.

Le fait que PayFair travaillera avec quasiment tous les terminaux de paiement est crucial pour convaincre les banques belges d’émettre des cartes PayFair. En Allemagne, PayFair a conclu un accord avec EasyCash, un acquirer qui a été repris en septembre dernier pour 290 millions d’euros par Ingenico, un des trois grands constructeurs de terminaux de paiement du monde. Des acquirers comme EasyCash ont conclu des contrats avec des commerçants et garantissent le versement des montants payés par l’utilisateur de la carte aux commerçants concernés. “Le contrat avec EasyCash donne à PayFair l’accès à 30 % des commerçants allemands parmi lesquels huit des 10 grands distributeurs, commente Dominique Buysschaert. Et des accords sont aussi en voie d’élaboration avec d’autres grands acquirers.”

Colruyt sert de base

Reste encore la question de savoir si les commerçants accepteront la carte PayFair. “Ce ne sera pas notre faute si le système n’est pas un succès, annonce Michel Vanmello, de Colruyt. Nous n’avons pas de participation dans PayFair mais nous sommes le seul distributeur à tester réellement ce système de paiement. A notre grande satisfaction jusqu’à présent. Les transactions se déroulent facilement.” Le projet-pilote qui est actuellement en cours à Rhode-Saint-Genèse, sera étendu au personnel de cinq des plus grands magasins Colruyt. “Un nouveau produit de paiement est généralement soutenu par l’organisme financier qui l’émet. Nous, par contre, nous entrons dans le marché du côté de l’acceptation, donc des commerçants, explique Dominique Buysschaert. Notre produit répond à leur demande. Et nous recherchons des banques disposées à émettre notre carte.”

Les banques ont le choix. Outre les cartes de débit Maestro et V Pay, qui vont de soi, il y a aussi l’European Alliance of Payment Schemes, un groupe de six schémas (ou systèmes) de carte nationaux (du genre Bancontact/Mister Cash) qui collaborent dans le “système des systèmes” et représentent 222 millions de cartes. Par ailleurs, il ne faut pas encore rayer Bancontact/Mister Cash de la liste. Aucune décision n’a été prise concernant l’arrêt de ce système qui est entre les mains de Dexia, ING, BNP Paribas Fortis, KBC et AXA et qui représente toujours 99 % des transactions nationales de cartes de débit en Belgique.

Pourquoi une banque opterait-elle dans ce cas pour un système inconnu tel PayFair plutôt que pour Maestro ou V Pay ? “Parce que les choses changent : aujourd’hui, les banques sont intéressées par une alternative, note Pierre Orban, le spécialiste des banques au sein d’EPS. Elles veulent un plus grand choix pour avoir plus de poids dans les négociations. Depuis la mise en oeuvre de notre projet pilote, elles voient en PayFair une alternative sérieuse.” Car après tout, le passage intégral à Maestro est mort et enterré. L’accord de principe entre Fortis et Visa, annoncé en 2007, est, lui, toujours en phase d’analyse.

KBC, un autre utilisateur potentiel de V Pay en 2007, déclare à présent avoir choisi Maestro comme système de carte conforme aux normes SEPA bien que “le choix de l’un ou l’autre système est encore susceptible d’être modifié”. Quant à la date butoir pour se conformer au SEPA – le 31 décembre 2010 – elle est de facto effacée. “En fait, nous ne sommes pas beaucoup plus avancés qu’il y a trois ou quatre ans”, précise Peter Haegeman, qui suit la problématique du paiement pour Fedis. L’ambiance entre les banques et les détaillants s’est cependant détendue depuis que Febelfin a invité les commerçants, en octobre dernier, à collaborer pour doubler le nombre de transactions électroniques d’ici 2014.

La concurrence n’est pas bienvenue

Le catalyseur qui a incité les banques à changer leur fusil d’épaule est, selon Pierre Orban, la Commission européenne. Elle veut mettre le holà aux commissions élevées prélevées pour le règlement des transactions surtout par les grandes sociétés de cartes de crédit, ce que la banque du commerçant paie à la banque du titulaire de la carte. La commission de MasterCard pour Maestro est actuellement de 5,6 %. Exactement ce que demande Bancontact.

Ceci constitue un problème pour PayFair. A présent que MasterCard et éventuellement aussi Visa adaptent leurs tarifs à ceux des concurrents locaux, un starter comme PayFair risque à tout moment de les voir pratiquer des prix inférieurs aux siens. “Il y a trois ans, PayFair aurait été beaucoup plus concurrentiel, assure Sarah Depreeuw, conseiller juridique du service d’études d’Unizo. Comme les prix sont sous pression, il est plus difficile pour un système qui débute et qui n’a donc pas d’avantages d’échelle, de se positionner de façon concurrentielle.”

Dominique Buysschaert et Pierre Orban comptent sur la demande d’une alternative européenne valable, sur les avantages d’échelle de leurs partenaires et sur le bon sens des commerçants. Selon eux, MasterCard et Visa relèveront à nouveau leurs tarifs dès qu’ils auront éliminé la concurrence. “Deux des plus grands groupes bancaires britanniques transfèrent leur portefeuille de cartes de débit de MasterCard chez Visa. Soi-disant parce qu’il y a une plus grande acceptation des cartes Visa. En fait, c’est tout simplement parce que Visa a donné plus d’argent aux banques. On a affaire à une concurrence inversée.”

Les systèmes de carte essaient de s’évincer mutuellement en payant des commissions plus élevées aux banques qui émettent les cartes. Et c’est finalement le commerçant qui doit payer la facture. Il existe une deuxième raison pour laquelle PayFair est vulnérable : il se concentre sur les cartes de débit et néglige un peu son application comme système de cartes de crédit. Cette stratégie joue en faveur de Visa et MasterCard qui proposent à la fois des cartes de crédit et de débit et peuvent donc négocier un accord portant sur un package. Unizo et le Syndicat Neutre pour Indépendants (SNI-NSZ) insistent d’ailleurs pour qu’au cours des négociations, on ne conclue pas seulement des accords relatifs aux commissions sur les cartes de débit mais aussi sur les frais des cartes de crédit.

Agrandir le gâteau

Un problème subsiste : PayFair doit convaincre les banques de donner sa carte aux clients. Comment PayFair s’y prend-il ? “En adoptant une structure open governance“, répond Dominique Buysschaert qui qualifie PayFair de “projet industriel neutre”. On y discute d’une formule de prix qui aligne les éléments de coûts individuels et qui tient compte de facteurs comme le nombre de transactions électroniques sur le marché et la part de marché de PayFair.

“C’est une approche win-win“, ajoute-t-il. Le prix de la transaction baisse à mesure que le volume augmente. “Le commerçant a tout intérêt à promouvoir le paiement électronique car dans ce cas, le prix par transaction diminue, poursuit Dominique Buysschaert. Et la banque sait que le nombre de transactions augmente quand le prix baisse.” En supposant que les banques belges reçoivent 5,6 % par transaction, elles ont encaissé l’an passé quelque 50 millions d’euros grâce aux transactions réalisées avec des cartes de débit.

Soixante à 70 % des paiements effectués dans les grands magasins se font actuellement déjà par voie électronique. “Nous dépendons du petit commerce, avec toutes sortes de terminaux peu coûteux et une croissance dans les paiements de petites sommes, le trou que Proton a essayé de combler”, estime Peter Haegeman. PayFair a donc développé une solution bon marché pour les paiements dans le petit commerce via le GSM et une solution pour des paiements sûrs via l’Internet. Dans ce segment, Visa a connu une croissance annuelle de 37,4 %.

“Nous savons tous où le bât blesse. C’est le prix des paiements”, dit Christine Mattheeuws (SNI/NSZ). Les petits commerçants paient en moyenne 70 % de plus que les grands distributeurs pour l’acceptation de cartes de paiement mais ils ne peuvent ni n’osent refuser des cartes, aussi chères soient-elles. C’est précisément sur ce point que PayFair veut se démarquer. Visa décrit la concurrence comme une “dualité”, un choix entre Maestro et V Pay. Pour PayFair, la concurrence réside dans le co-badging – la réunion de deux systèmes de carte sur une seule carte. “Si Maestro et PayFair se trouvent tous les deux sur toutes les cartes de Belgique, le commerçant peut décider de ne proposer que l’un de ces deux systèmes, explique Dominique Buysschaert. Si, par contre, un commerçant accepte les deux, il peut avoir une préférence pour une carte déterminée. Et pour l’autre, il peut alors demander un supplément.” Le commerçant peut donc mettre les deux systèmes de carte en concurrence. “Aujourd’hui, Maestro et Bancontact figurent sur les cartes de débit. Un commerçant pourrait parfaitement décider de n’accepter que Maestro”, renchérit Pierre Orban. “CCV utilise d’ailleurs déjà cette possibilité pour une offre de débit Maestro, avec un coût de transaction fixe sans coût d’abonnement supplémentaire. C’est intéressant pour les commerçants qui n’ont que peu de transactions”, remarque Sarah Depreeuw, d’Unizo.

La concertation entre le secteur bancaire et les commerçants doit, selon le cabinet du ministre Vincent Van Quickenborne, aboutir à des conclusions en mai. Mais ces conclusions ne consisteront pas à opter pour l’un ou l’autre système. “Les banques doivent déterminer ce choix individuellement : nous voulons rester en conformité avec le droit de la concurrence”, précise Michel Vermaerke, administrateur délégué de Febelfin.

Entre-temps, PayFair a adapté son business plan car sur les quatre marchés cibles initiaux – la Belgique, les Pays-Bas, la France et l’Allemagne -, le marché néerlandais lui a échappé : il a été cadenassé par le Convenant Betalingsverkeer (avec passage à Maestro). Le marché français est moins accessible que prévu bien que Pierre Orban remarque un intérêt croissant de la part des détaillants. La Belgique et l’Allemagne restent donc l’objectif principal.

En fin de compte, le principal ennemi de PayFair est le temps. Voici deux ans, Dominique Buysschaert espérait avoir sa carte sur le marché au cours du premier trimestre de 2009. A présent, Peter Haegeman annonce que cela durera encore un an et demi avant qu’une solution, quelle qu’elle soit, ait été choisie. Or entre-temps, le nombre de transactions Maestro nationales augmente. “Une fois qu’un seuil de transactions sera atteint, Maestro deviendra une alternative valable”, déclare Robert Wastyn, business director financial services de l’entreprise de consultance 4Psquare.

Malgré les problèmes, Dominique Buysschaert continue à trouver du plaisir dans ce projet. “Initialement, nous étions considérés comme une poignée de Schtroumpfs qui avaient un concept original. A présent, on nous téléphone pour parler au Grand Schtroumpf. Nous avons manifestement gagné en crédibilité.”

Bruno Leijnse

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