Paradis fiscaux: la guerre des listes noires

© iStockphoto

L’UE a mis 17 pays à l’index, l’OCDE un seul et l’ONG Oxfam appelle à en épingler 35: les listes noires se multiplient pour lutter contre les paradis fiscaux, quitte à créer de la confusion sur les critères à respecter.

Officiellement, il n’y a pas de concurrence, comme l’a assuré le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici, après la publication mardi par les 28 Etats membres de l’Union européenne d’une liste qui aligne 17 paradis fiscaux. Beaucoup plus que celle diffusée ce printemps par l’Organisation de coopération et de développement économiques qui se limitait à Trinidad et Tobago.

“L’OCDE a joué un rôle d’éclaireur essentiel”, a-t-il expliqué, saluant l’action de son secrétaire général Angel Gurria, mais pour souligner aussitôt que l’UE va “un cran plus loin”. “Ce n’est pas pour décrédibiliser leur liste, mais peut-être pour dire que la démarche européenne a un coup d’avance”.

Du côté de l’OCDE, dont les travaux sont présentés au G20, la liste européenne ne suscite publiquement pas de remous: “Ce n’est pas illégitime qu’un groupe de pays comme l’UE fasse sa propre évaluation”, a admis Pascal Saint-Amans, directeur du Centre de politique et d’administration fiscales de l’OCDE.

Comment expliquer les différences entre les deux institutions? “A l’OCDE, il n’est pas forcément pertinent de demander à des pays en développement qui ne sont pas des centres financiers de faire de l’échange automatique de renseignement”, ce qui exige de mettre en place des protocoles contraignants et techniques, a expliqué M. Saint-Amans.

Reste que les Etats épinglés supportent mal cette différence de traitement.

Après la publication de la liste européenne, certains se sont insurgés, comme la Corée du Sud, pays membre du G20, qui se retrouve sur la liste européenne et a fustigé une décision qui va “à l’encontre de standards internationaux” et qui pourrait “porter atteinte à la souveraineté fiscale”.

Le Panama, qui a pris l’an dernier les dispositions pour échapper à la liste de l’OCDE, a dénoncé une “inscription arbitraire et discriminatoire” après s’être retrouvé sur celle de l’UE.

L’existence de ces deux listes risque de “créer de la confusion auprès des pays concernés, qui ne sauraient plus vraiment à quel saint se vouer”, a affirmé à l’AFP un spécialiste des négociations fiscales, qui a demandé à rester anonyme.

L’ “énorme limite” de la liste UE

Pour Anne-Laure Delatte, directrice adjointe du Centre d’études prospectives et d’informations internationales (Cepii), “l’initiative européenne est très intéressante parce qu’elle va au-delà de l’échange automatique d’information, le principe de base de l’OCDE”.

“Mais il y a une énorme limite: les membres de l’UE ne figurent pas sur les listes”, a-t-elle rappelé. “Or, une grande partie de l’évasion fiscale se fait à l’intérieur de l’UE par des conduits comme les Pays-Bas ou l’Irlande. Ces pays ne sont pas des paradis fiscaux, mais ils permettent d’y accéder”, assure-t-elle.

Sans oublier les Etats-Unis qui n’ont pas signé les accords d’échange automatique d’information et dont certains Etats apparaissent dans les montages d’optimisation fiscale.

“Compte tenu des critères pris en compte, l’UE ne devait pas aboutir à une liste de micro-Etats sans que les grands paradis fiscaux y figurent”, s’est agacée Manon Aubry, porte-parole d’Oxfam. “C’est une montagne qui accouche d’une souris. C’est dommage”.

L’ONG avait dressé en novembre “la liste noire des paradis fiscaux telle qu’elle devrait être réellement”, sur laquelle figuraient quatre pays européens (Irlande, Luxembourg, Malte et les Pays-Bas) et des pays comme la Suisse ou des juridictions britanniques comme Gibraltar et les Bahamas, qui ne font pas partie non plus de celle de l’UE.

M. Moscovici n’en démord pourtant pas: “Il n’y a pas de pays européen qui soit un paradis fiscal”. Reconnaissant toutefois l’existence “de gros problèmes”, il promet que “les pays européens n’échapperont pas à notre combat contre la planification fiscale agressive”.

Ces différentes listes ont toutefois des répercussions positives. “Il y a une dynamique”, estime M. Saint-Amans, qui présentera de nouveaux critères “pour refléter l’état des lieux” lors de la prochaine réunion du G20 Finances en Argentine en mars.

Pour lui, l’objectif “n’est pas d’avoir des pays sur une liste noire”, mais d’utiliser cette menace pour les faire avancer vers la transparence.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content