Olivier Leleux: “La taxe sur les plus-value est ridicule!”

© CHRISTOPHE KETELS/ BELGAIMAGE

Olivier Leleux, patron de la société de Bourse éponyme, ne mâche pas ses mots lorsqu’il parle taxation des plus-values et réglementation du secteur financier.

À 43 ans, Olivier Leleux dirige depuis maintenant un quart de siècle la société de Bourse fondée par son grand-père. Logée dans un immeuble situé à l’ombre de la cathédrale des Saints-Michel-et-Gudule, Leleux Associated Brokers est devenue, sous son impulsion et celle de ses deux soeurs, la première société de Bourse indépendante du pays, dégageant un bénéfice net de 2 millions d’euros par an pour un chiffre d’affaires de 20 millions. Développant depuis plusieurs années, une stratégie de sous-traitance, plusieurs grandes banques de la place, aux noms tenus secrets, lui ont confié la gestion de leur chaîne de titres. De quoi porter le total des dépôts de la clientèle à 11 milliards d’euros (dont neuf rien que pour cette clientèle indirecte). Parler Bourse avec Olivier Leleux est toujours très intéressant.

TRENDS-TENDANCES. Que pensez-vous de la nouvelle taxe sur la spéculation ?

OLIVIER LELEUX. Je constate qu’elle induit trois comportements. Premièrement, un certain nombre de clients nous ont demandé un outil de simulation sur notre site Leleux Online afin de déterminer jusqu’à quand un titre doit être maintenu en portefeuille pour ne pas payer de taxe sur la spéculation. Ces clients-là attendent alors six mois pour effectuer une nouvelle transaction. Autre phénomène, certains clients évitent la taxe en utilisant d’autres instruments que les actions. Ils passent par des trackers ou des options sur indices. Là aussi, aucune taxe n’est perçue puisque ces produits sont exclus du champ d’application de ladite loi. Troisième et dernier effet : certains clients ne passent plus par des brokers belges pour effectuer leurs transactions mais par des brokers étrangers, qui n’appliquent pas la fiscalité belge. Ils ne prélèvent ni la taxe sur les plus-values spéculatives, ni la TOB (taxe sur les opérations de Bourse, Ndlr). Bref, le gouvernement espère 34 millions avec cette nouvelle taxe sur les plus-values spéculatives. Il pourra être content s’il en obtient 10 millions.

Cette taxe est-elle donc absurde ?

Croire qu’on va mettre fin à la spéculation internationale en taxant 5 % des volumes de la Bourse de Bruxelles est ridicule : 95 % des transactions sur Euronext Bruxelles sont effectuées par des investisseurs institutionnels belges et étrangers (compagnies d’assurances, fonds de pensions, etc.). Le particulier ne représente que quelques pour cent. Il faut arrêter de se moquer du monde. Avec cette taxe, on pénalise le petit porteur belge qui investit en Belgique via des brokers locaux : on le pousse vers des produits encore plus spéculatifs ou vers l’étranger.

L’opération risque d’être un coup dans l’eau pour les caisses de l’Etat.

Complètement. Il ne faut pas oublier l’impact sur les recettes de la TOB. Les trois manières d’éviter la taxe sur la spéculation engendrent moins de transactions ou des transactions non soumises à la TOB. A titre indicatif, en janvier 2015, nous avions prélevé 588.000 euros de TOB. En janvier 2016, on est passé à 480.000 euros. Faites le calcul : c’est 108.000 euros de moins. En net, l’Etat a donc perdu 90.000 euros de recettes sur un mois, rien que chez Leleux.

Vous êtes pourtant un ardent défenseur du tax shift mis en place par le gouvernement.

Je ne fais pas partie des professionnels du secteur financier qui refusent toute nouvelle taxation sur l’épargne. Je suis un grand partisan du tax shift qui sera, j’en suis certain, très bénéfique pour l’emploi et donc pour l’économie belge. Mais pour financer une telle mesure, la meilleure taxe, c’est une taxe dont la base imposable est la plus large possible et avec un taux le plus bas possible. Ici, on a une taxe avec un taux de 33 %, ce qui n’est quand même pas rien, et qui ne vise qu’un petit nombre de transactions. Conceptuellement, c’est une mauvaise taxe. On peut taxer l’épargne ou les mouvements en Bourse, je ne suis absolument pas contre. Mais il faut que cela soit transparent, clair et neutre.

Que préconisez-vous ?

Je supprimerais la TOB et la nouvelle taxe sur la spéculation pour la remplacer par une taxe sur les transactions financières. Cette TTF, de par exemple 0,2 %, viserait tous les produits financiers belges cotés en Bourse. On vise ici l’instrument financier et pas son porteur. Tous les investisseurs, personnes physiques et morales, belges et étrangers seraient ainsi visés. Autrement dit, un fonds de pension américain qui achèterait des titres belges paierait la taxe. Nicolas Sarkozy l’a fait en France. L’Italie a également instauré cette taxe, qui est perçue à l’endroit où le titre est coté. En Grande-Bretagne, vous avez la stamp duty qui est de 0,5 %. En faisant cela, on peut viser 500 à 600 millions d’euros par an en Belgique, payés principalement par les acteurs étrangers.

Et l’exonération du livret, qu’en faites-vous ?

Quelqu’un qui a 100.000 euros sur un carnet de dépôt ne va pas payer de précompte sur ses intérêts. Quelqu’un qui place ces mêmes 100.000 euros en actions ou en obligations va payer 27 % de précompte mobilier sur ses revenus. Pourquoi deux poids deux mesures ? Il y a deux manières de régler ce problème : soit on supprime l’exonération, soit on l’étend à tous les types de revenus. Mais cela va à l’encontre du tax shift qui vise à augmenter la taxation sur le capital pour réduire le coût du travail, beaucoup trop élevé en Belgique. Dans ce contexte-là, supprimer l’exonération a du sens. Surtout que politiquement parlant, c’est le bon moment de le faire. Les taux sont proches de zéro. Vous avez déjà calculé ce qu’il faut comme capital placé pour atteindre 1.880 euros d’intérêts (montant de l’exonération fiscale du livret, Ndlr). Cela serait plus délicat si les taux étaient à 10 %. Supprimer cette exonération résoudrait aussi la fraude : beaucoup de gens ouvrent plusieurs carnets de dépôts dans plusieurs banques pour bénéficier plusieurs fois de l’exonération. Cela ferait directement rentrer de l’argent dans les caisses de l’Etat. Personnellement, je suis prêt à ce que la taxation de l’épargne augmente pour financer le tax shift.

Justement, quelles sont les retombées du tax shift pour une entreprise comme Leleux ?

Nous sommes 120 personnes chez Leleux, dont plus ou moins 85 salariés, répartis sur 30 agences et deux sièges (Bruxelles et Soignies). Avec un taux de cotisation qui passe de 33 à 25 %, cela nous fait environ 600.000 euros d’économies de cotisations de sécurité sociale. L’objectif n’est pas de redistribuer ces 600.000 euros à mes actionnaires. Plusieurs départements chez Leleux ne comptent qu’une seule personne. Dès que cette personne est malade ou en congé, il faut travailler en flux tendu, bricoler une solution, etc. Avec le tax shift, nous avons déjà engagé quatre personnes. Et nous voulons encore en engager deux en plus. Pour que dans tous les départements où il n’y avait qu’une seule personne, il y en ait deux qui travaillent. Cela veut dire que ces personnes-là ont un confort de vie plus important. Et pour moi, en tant que patron de l’entreprise, j’ai des soucis en moins à gérer.

Quels profils avez-vous engagés ?

Les métiers de back office sont des métiers qui s’apprennent sur le tas. La plupart des personnes que nous avons engagées ne sont pas des universitaires qui ont fait des études en économie pure. Ce sont des gens qui ont simplement leur diplôme de secondaire. Au département expédition, la personne était seule. Elles sont maintenant deux. Idem pour la tenue de la base de données Titres. Le coût que représente un engagement est tellement plus faible à 25 % qu’à 33 %, qu’on peut se le permettre. Ces 600.000 euros vont donc se retransformer en masse salariale concrète. Le gouvernement va s’y retrouver dans la mesure où ces personnes étaient sans boulot.

La pression réglementaire pèse-t-elle sur Leleux ?

Vous ne vous imaginez pas à quel point les frais de fonctionnement d’une société de Bourse sont devenus importants au cours de ces 15 dernières années. Par exemple, la directive MiFID nous oblige à nous connecter à de nombreux marchés. Mais chaque connexion nous coûte excessivement cher. Couplées aux obligations de continuité des activités depuis les attentats du 11 septembre, toutes les connexions que nous avons depuis Soignies vers les marchés sont dupliquées à Bruxelles. Au total, cela représente 140.000 euros de frais de communication tous les mois. Pour amortir cela, il nous faut des volumes importants. Nous payons ces frais fixes grâce à une activité de sous-traitance pour des clients indirects venant des banques. C’est sur nos clients privés, sur notre vrai métier qui est un métier de gestionnaire, que nous réalisons notre bénéfice.

Les régulateurs, et la FSMA en particulier, en font-ils trop ?

Vous ne trouverez jamais en moi un adversaire de la règlementation. Si je suis pour la liberté d’entreprendre et que j’ai confiance dans les mécanismes de marché pour s’auto-équilibrer, je me rends également compte que les investisseurs particuliers ont besoin d’une protection particulière face à certaines dérives. Donc, oui, de la réglementation, il en faut. La question est de savoir comment on la décline. Et là, c’est un tout autre débat. Je consacre 85 % de mon temps à la mise en place de nouvelles réglementations et de nouveaux reportings. Est-ce normal ? Poser la question est y répondre.

Quel regard jetez-vous sur le numérique ? Vous vous êtes dernièrement associé avec la jeune “fintech” belge Easyvest qui propose des services de gestion de portefeuille en ligne. Dans quel but ?

Je ne crois pas à la gestion de portefeuille automatisée en lignes directes. Easyvest par contre a développé un algorithme de gestion passive d’un portefeuille, disponible uniquement sous forme de conseils dans une première phase. A terme, notre objectif avec Easyvest est de constituer une société de gestion agréée par la FSMA qui proposera alors une version de gestion discrétionnaire en ligne de cet algorithme.

La Bourse a déménagé pour venir s’installer dans un immeuble à deux pas d’ici. Vous êtes désormais voisins. Quel sentiment cela vous inspire-t-il ?

Je suis un peu triste. Je fais partie de ces agents de change qui ont encore connu la cotation à la craie sur le parquet de Bruxelles. Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je ne vais pas regretter les cotations à la craie. Mais la Bourse était un endroit où les différents acteurs de la place de Bruxelles pouvaient se rencontrer, discuter et échanger des idées. Désormais, c’est différent.

Un mot pour terminer sur Belfius ? L’Etat doit-il vendre la banque ou la garder ?

Mon approche est une approche de bon père de famille : s’agit-il d’un actif dont la détention rapporte un dividende supérieur au taux d’intérêt de la dette publique, tout en tenant compte du risque de l’activité ? Si la réponse est oui, il faut garder Belfius. Si ce n’est pas le cas, il faut vendre et rembourser de la dette. En Belgique, nous avons déjà perdu beaucoup de leviers économiques il y a bien longtemps. La vraie question est de savoir si nous avons une vision stratégique en Belgique pour le secteur financier. Car avoir les leviers sans une stratégie sous-jacente, cela ne sert à rien.

PROPOS RECUEILLIS PAR SÉBASTIEN BURON

PROFIL

– 43 ans

– Président du comité de direction de Leleux Associated Brokers depuis 1991, suite au décès inopiné de son père Jacques.

– Assure la gestion quotidienne de l’entreprise tout en combinant des études à l’UCL : licence en sciences économiques (1995) suivie d’une maîtrise en sciences économiques et d’une licence en sciences politiques, orientation relations internationales (1996). Réussit également en 1994 les examens d’agent de change auprès de la Bourse de Bruxelles.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content