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Les Belges, leur épargne et le suicide des lemmings

Lire la chronique d' Amid Faljaoui Amid Faljaoui, directeur des magazines francophones de Roularta.

Pour résumer l’un des défis auxquels notre économie est confrontée en 2021, il faut paradoxalement remonter à 1930. A l’époque, nous étions en période de dépression économique et John Maynard Keynes, sans doute l’économiste le plus connu au monde, allait haranguer les ménagères britanniques dans les grands magasins de Londres en leur disant : “Achetez, sinon votre mari perdra son job”.

Le message reste valable aujourd’hui pour la Belgique et pour les pays avoisinants. En effet, aussi étonnant que cela puisse paraître, le quotidien économique flamand TIJD a mené une enquête auprès de 11 banques belges et arrive à la conclusion que nos compatriotes ont déposé quelque 15 milliards d’euros sur les livrets d’épargne en 2020.

Mais selon la banque nationale, ce chiffre serait plutôt de 20 milliards d’euros si l’on prend en compte toutes les banques et pas seulement les 11 de l’enquête. En clair, malgré la pandémie ou plutôt grâce à elle, les Belges ont épargné 20 milliards d’euros en plus en 2020. C’est l’une des aberrations et contradictions de notre époque.

Oui, c’est vrai, certains ménages sont hélas fragilisés par cette pandémie et ses conséquences économiques. Mais pour la plupart des employés du privé et des fonctionnaires qui n’ont pas perdu leur job (40% de la population active en Wallonie travaille pour la fonction publique), la crise se sera traduite par une épargne forcée.

Normal, puisque nous avons tous été empêchés physiquement de consommer à part pour acheter nos produits de première nécessité. De plus, comme les médias nous répètent à longueur de journée qu’il y aura de la casse sociale, autrement dit, des faillites et une hausse du chômage en 2021, chacun épargne plus que de raison.

Bref, si dans un premier temps, l’épargne était forcée en raison de la fermeture des magasins et des restaurants, l’épargne contrainte s’est transformée en épargne de précaution pour faire face aux lendemains qui déchantent. Résultat ? Si aujourd’hui, nos politiques font tout pour que ce satané virus (et ses variantes) cesse de circuler, demain, ils nous diront que pour notre épargne, c’est l’inverse, elle doit au contraire circuler et sortir des comptes bancaires.

Hier, nos gouvernants nous disaient “restez chez vous pour sauver des vies” et demain, les mêmes nous diront “sortez votre argent des banques, sinon les Belges perdront leur boulot”. C’est l’un des paradoxes de l’économie, si épargner est une vertu au niveau individuel, c’est un suicide économique au niveau collectif.

Mes confrères du Figaro ont raison d’évoquer le comportement des lemmings pour décrire cette situation bizarre. Vous savez ce sont ces rongeurs des zones arctiques qui chaque année sont saisis d’une compulsion collective, d’une sorte de folie aveugle qui les pousse par milliers à se jeter dans les eaux froides d’un lac, d’une rivière ou d’un océan.

Au final, oui, Keynes avait raison en 1930 de dire “achetez, sinon votre mari perdra son job”. La seule différence notable avec 1930, c’est qu’aujourd’hui, c’est le couple qui travaille. Et pas seulement le mari.

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