Lentement mais sûrement, l’investissement social connaît son petit succès en Belgique

Peterborough En 2010, le ministre britannique de la Justice visitait la prison où le premier SIB a apporté un soutien individualisé aux prisonniers pour diminuer le taux de récidive. © Belgaimage

Les “social impact bonds” permettent à des investisseurs privés de financer des projets sociaux. Avec un retour sur investissement en cas de succès.

C’est une petite croissance. Mais une croissance tout de même. D’après les chiffres de Social Finance, une organisation à but non lucratif basée en Grande-Bretagne, 132 social impact bonds (SIB) auraient déjà été mis en place à l’échelle mondiale. En 2017, on parlait d’une centaine de projets. Un peu moins de 10 ans après leur lancement, les SIB connaissent donc un succès discret.

Pourtant, le principe de cet outil de financement a de quoi attirer l’attention. Il permet à des investisseurs privés de faire travailler leur argent au bénéfice d’un projet social porté par un prestataire de services à but non lucratif, avec un retour sur investissement si les résultats sont à la hauteur. Testé pour la première fois en Grande-Bretagne en 2010, il a très vite essaimé en Belgique où le premier SIB européen continental a d’ailleurs été lancé en 2014. Aujourd’hui, les social impact bonds ” à la belge ” continuent de se développer, à l’image toutefois de ce qui se passe pour le reste du globe : lentement, mais sûrement.

Des risques assumés par le privé

C’est à Peterborough, en Angleterre, que tout a commencé. Entre 2010 et 2015, environ 2.000 hommes, condamnés à des peines de prison de moins de 12 mois, se virent proposer un soutien individualisé lors de leur incarcération et jusqu’à un an après leur sortie. But de l’opération : diminuer leur taux de récidive. Pour financer le tout, on mit sur pied un mécanisme dénommé social impact bonds.

A Peterborough, au Royaume-Uni, les investisseurs ont bénéficié d’un retour de 3% par an.

Les SIB font généralement intervenir quatre partenaires : un pouvoir public, un organisme intermédiaire, des investisseurs privés et un prestataire de services. Après avoir identifié une problématique, le pouvoir public choisit un prestataire de services censé mettre en place des outils pouvant y remédier. L’organisme intermédiaire est chargé de lever des capitaux auprès d’investisseurs afin de financer la mise en place de ces outils. Des résultats à atteindre par le prestataire sont fixés. Si l’expérience se solde par un échec, les investisseurs disent adieu à leur argent. Mais si elle est une réussite, ils sont remboursés par le pouvoir public avec un taux de rendement proportionnel au succès constaté. Pour le SIB de Peterborough, par exemple, les investisseurs ont bénéficié d’un retour de 3% par an. Et après coup, le pouvoir public peut toujours décider de reprendre le financement du projet à son compte de manière structurelle.

Pour les pouvoirs publics, les avantages d’un tel outil sont clairs : les risques liés au test d’un projet social sont supportés par les investisseurs privés. ” Cela nous permet de prendre des risques, d’expérimenter des méthodes innovantes tout en étant sûrs que pas un euro ne sortira des caisses de l’Etat sans que des bénéfices sociaux suffisants n’aient été constatés “, explique Grégor Chapelle, directeur général d’Actiris, le service bruxellois de l’emploi. Pour les investisseurs, outre la satisfaction d’investir dans un projet à impact social, un tel mécanisme permet également de bénéficier d’un ” couple risque/retour qui n’est pas idiot, en plus d’être décorrélé de la Bourse “, souligne François de Borchgrave, directeur général de KOIS Invest, une société spécialisée dans l’investissement à impact.

L’exemple de Duo for a Job

Si les deux hommes semblent sur la même longueur d’onde en ce qui concerne les bénéfices supposés des SIB, c’est qu’ils se connaissent. Actiris et KOIS Invest ont été à la base du premier projet de SIB mené en Belgique, à Bruxelles plus exactement. Lancé en 2014, il a permis de financer et de tester pendant trois ans un projet nommé Duo for a Job, à hauteur de 350.000 euros. Un projet centré sur le mentorat. De jeunes chercheurs d’emploi issus de pays hors Union européenne ont été mis en contact avec des seniors afin que ces derniers les soutiennent dans leur recherche d’emploi en leur faisant bénéficier de leur expérience, de leurs réseau, etc. Si l’on en croit Frédéric Simonart, l’un des créateurs de Duo for a Job, le SIB est arrivé à point nommé. ” Nous tentions de faire financer notre projet, mais aussi bien les pouvoirs publics que les fondations étaient frileux, explique Frédéric Simonart. Ils pointaient notre manque d’historique de résultats. Passer par les SIB nous a permis de faire nos preuves. Cela nous a également donné de la visibilité et de la crédibilité puisque les évaluations intermédiaires de résultat, prévues par le mécanisme, ont rassuré aussi bien le privé que les pouvoirs publics, ce qui a débloqué d’autres financements et nous a permis de connaître une croissance plus rapide. ”

En 2016, le SIB s’est clôturé sur un bilan positif, le taux d’emploi des jeunes accompagnés par Duo for a Job étant 28% plus élevé que celui d’un groupe de contrôle non accompagné. Actiris a donc repris le financement du projet à son compte, non sans avoir au préalable versé un rendement annuel de 4% aux investisseurs. Aujourd’hui, Duo for a Job compte 35 équivalents temps plein et est présent dans quatre villes : Bruxelles, Liège, Anvers et Gand. La structure travaille à l’ouverture d’une antenne à Paris.

Bruxelles Le Roi lui-même s'est rendu chez Duo for a Job pour rencontrer les demandeurs d'emploi coachés par leurs aînés.
Bruxelles Le Roi lui-même s’est rendu chez Duo for a Job pour rencontrer les demandeurs d’emploi coachés par leurs aînés.© BELGAIMAGE

Cela fonctionne aussi pour l’humanitaire

Ce dénouement a manifestement donné des idées à KOIS Invest. La société est effectivement derrière les autres SIB récemment développés sur notre territoire. C’est elle qui est en charge de la mise en place de l’instrument, de la recherche d’investisseurs et de l’accompagnement des pouvoirs publics.

Il en va ainsi de Neet’s ( Not in education, employment or training), un projet centré sur les jeunes mené avec le VDAB (le service pour l’emploi en Flandre) à Anvers. Ou encore d’un humanitarian impact bond, un SIB centré sur un projet humanitaire, réalisé en compagnie du gouvernement fédéral : à côté de contributions diverses émanant de pays comme la Suisse et le Royaume-Uni, la Belgique s’est engagée à prévoir 8,7 millions d’euros pour tester un projet lancé par le CIR (Croix-Rouge Internationale) au Mali, au Nigéria et en République démocratique du Congo. Il s’agit de mettre en place des centres de réhabilitation en zones de conflit.

Enfin, KOIS Invest a également rempilé avec Actiris pour un projet testé depuis 2018 (et jusque 2022) par la mission locale de Forest et censé faciliter l’insertion professionnelle de personnes éloignées de l’emploi. Ce projet est basé sur la méthode IOD, soit ” Intervention sur les offres et les demandes “. Son principe est simple : les travailleurs de la mission locale rencontrent des entreprises dont elles identifient les besoins concernant des postes nécessitant peu de qualifications. Ils se chargent ensuite de leur présenter des candidats appropriés. ” Cela permet de neutraliser le filtrage opéré par l’employeur, que ce soit par le biais des études, du nom de famille ou de la durée de chômage “, explique François de Borchgrave. Notons également que c’est aux chercheurs d’emploi de choisir le poste qui leur convient parmi les offres qui leur sont faites. A la différence du projet Duo for a Job, il ne s’agit pas ici de prouver l’efficacité d’une méthode puisque le projet existait déjà depuis quelques temps sur le territoire de Forest. Le SIB permet par contre de tester son changement d’échelle en le portant à l’ensemble du territoire bruxellois. Autre différence : ce nouveau social impact bond bénéficie d’un financement important puisqu’il se monte à 2,5 millions sur cinq ans, pour un rendement maximum de 6%.

Cela a-t-il rendu la recherche d’investisseurs plus compliquée ? ” Les social impact bonds viennent de Grande- Bretagne, où les investisseurs exigent des taux de retour plus élevés, souligne Grégor Chapelle. Dans notre cas, il s’agit surtout de fondations qui se situent dans une logique d’impact sociétal. Elles souhaitent évidemment récupérer leur capital, mais il ne s’agit pas de faire une plus-value à tout prix. ”

Un produit de niche ?

D’après le directeur général d’Actiris, les fondations se seraient d’ailleurs pressées au portillon afin de financer aussi bien Duo for a Job que le projet IOD. Ce qui le pousse d’ailleurs à vouloir aller encore plus loin. ” Je suis frustré que nous n’allions pas encore plus vite et plus fort, dit-il. Pour le budget 2020, nous avons demandé 2,5 millions d’euros, que nous souhaiterions récurrents, pour financer des projets SIB. Nous avons d’ailleurs fait part de ce souhait dans les recommandations techniques que nous avons déposées sur le bureau du ministre de l’Emploi. Je plaide également pour la création d’une ASBL qui pourrait mener une sorte d’appel à projet SIB permanent. Nous devrions continuer jusqu’à ce que la capacité du privé à investir soit épuisée. ”

Cette déclaration pourrait-elle laisser présager un développement plus important des SIB dans le futur ? Raphaëlle Sebag, déléguée générale de l’Impact Invest Lab, une plateforme d’expérimentation et de développement de l’investissement à impact social située à Paris, estime que les SIB restent ” un produit de niche “. Pour cette spécialiste de la question, les rendements assez faibles, le nombre de parties à réunir autour de la table, le ” travail de dentelle ” à réaliser pour l’implémentation de chaque expérimentation – auxquels s’ajoute le processus d’évaluation à mettre en place – sont autant d’obstacles à une multiplication des SIB. En France, après un appel à projet du gouvernement qui a couru du 16 mars 2016 au 30 janvier 2017, seuls sept projets ont été réalisés, même si d’autres sont en préparation. ” Il y a une vraie complexité de mise en place, ce qui génère des coûts “, analyse Raphaëlle Sebag. ” Il est clair que les SIB coûtent de l’argent, admet de son côté François de Borchgrave. Nous disons d’ailleurs à ceux que nous accompagnons qu’implémenter un SIB en dessous d’un million d’euros n’est pas intéressant. Les coûts de mise en place seraient trop importants par rapport au budget “.

Les craintes

Autre difficulté, cette fois-ci pointée par Frédéric Simonart : il faut des projets sociaux permettant des résultats quantifiables. ” Et ne pas biaiser l’objectif social, ajoute-t-il. Nous avions peur d’être poussés à faire du résultat “. Un écueil qui a, semble-t-il, pu être évité en impliquant Duo for a Job dans l’élaboration du SIB et du mécanisme d’évaluation.

Reste enfin une crainte, souvent entendue : que les pouvoirs publics finissent par délaisser les financements structurels des projets sociaux au détriment des SIB ou de mécanismes similaires. ” Nous n’allons pas faire passer tous les partenariats d’Actiris en SIB, tente de rassurer Grégor Chapelle. Pour nous, les social impact bonds vont continuer à nous servir d’outils pour identifier les innovations efficaces, avant de basculer le cas échéant sur un financement public. ” François de Borchgrave, quant à lui, note que les SIB mis en place en Belgique n’externalisent pas des projets déjà mis en place par les pouvoirs publics : ” Ils ne sont pas non plus dans la réduction de moyens, mais bien dans l’accroissement de résultats, ce qui est à l’avantage des bénéficiaires. Je comprends les craintes de certains mais c’est aller trop loin. Il ne faut pas tuer dans l’oeuf des projets qui permettent au public, au privé, et au non marchand, peu habitués à travailler ensemble, de collaborer. “

Par Julien Winkel.

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