Le principe d’Alan

Francfort La BCE a revu à la hausse ses prévisions de croissance. © Belgaimage
Philippe Ledent
Philippe Ledent Senior economist chez ING Belgique, chargé de cours à l'UCLouvain.

L’incertitude sanitaire, et donc économique, est telle qu’il serait déraisonnable de valider dès maintenant un calendrier de normalisation de la politique monétaire.

Dans deux semaines se tiendra la dernière réunion de l’année de la Banque centrale européenne (BCE). Si les précédentes réunions ont été “transitoires”, c’est-à-dire sans réelle surprise et sans annonce majeure, la prochaine devrait être plus intéressante.

Tout d’abord, la BCE devrait préciser les modalités de fin de son programme d’achat d’actifs lancé dans le cadre de la pandémie (PEPP pour les initiés). Ce programme devrait prendre fin en mars 2022 comme prévu, mais sera-t-il remplacé par un autre programme? Cette question est loin d’être anecdotique car la pression avec laquelle la BCE pousse les taux longs vers le bas est importante vu l’état problématique des finances publiques de certains pays de la zone euro et vu les défis qui les attendent encore.

Ensuite, la BCE publiera ses nouvelles prévisions économiques. L’inflation sera selon toute vraisemblance révisée à la hausse. Le P.-V. de la précédente réunion de la BCE montre d’ailleurs que le Conseil des gouverneurs, l’organe de décision de la BCE, a exprimé des premiers doutes sur le caractère vraiment temporaire de l’inflation. Au-delà des chiffres qui seront publiés, ces nouvelles perspectives conditionnent l’attitude de la BCE en matière de taux dans les prochaines années. Tout changement est donc très important.

Des précisions sur le programme d’achats d’actifs, l’acceptation d’une inflation plus élevée, voilà de quoi bien remplir l’agenda d’une réunion de politique monétaire et de quoi allécher les observateurs de celle-ci. Mais voilà, les secousses économiques provoquées par la pandémie se poursuivent inlassablement, maintenant un niveau élevé d’incertitude sur les prévisions. La vague “Delta” en Europe et le variant Omicron en sont les preuves les plus récentes.

L’incertitude sanitaire, et donc économique, est telle qu’il serait déraisonnable de valider dès maintenant un calendrier de normalisation de la politique monétaire.

Or, dans une récente interview, Isabel Schnabel, membre du comité de direction de la BCE, indiquait qu’en période de très grande incertitude, il est intéressant de suivre l’approche d’Alan Greenspan, l’ancien président de la Fed, selon laquelle il est extrêmement important de conserver une certaine latitude dans le processus de décision de la politique monétaire. En d’autres termes, selon cette approche, il ne faut pas prendre d’engagement trop ferme dans des circonstances incertaines mais il faut s’assurer que l’on peut réagir à tous les types d’imprévus.

Evidemment, le propos d’Isabel Schnabel faisait initialement référence au risque d’une inflation plus élevée que prévu, nécessitant éventuellement d’agir (donc, d’augmenter les taux) bien plus vite qu’anticipé. Mais vu les remous actuels, il faut aussi comprendre ces propos dans l’autre sens, en cas de choc négatif. Et de fait, l’incertitude sanitaire, et donc économique, est telle qu’il serait déraisonnable de valider dès maintenant un calendrier de normalisation de la politique monétaire. Dès lors, il faut avouer que les circonstances sanitaires et économiques pousseront la BCE à appliquer scrupuleusement le principe d’Alan: ne pas trop dévoiler son jeu.

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