La réforme des agences de notations va-t-elle changer la donne ?

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Avec l’introduction de la responsabilité civile, les entreprises et les Etats notés pourront réclamer des dommages et intérêts aux agences. Celles-ci subiront aussi plus de concurrence à l’avenir.

Les pays de l’Union européenne ont convenu mardi 27 novembre d’instaurer un contrôle resserré sur les agences de notation. Afin d’éviter de perturber les marchés, les agences devront instaurer un calendrier annonçant à quel moment elles publieront leurs notations de dettes souveraines des Etats de l’UE, en respectant des délais. Ces notes ne pourront être publiées qu’au moins une heure après la fermeture ou une heure avant l’ouverture des marchés dans l’UE.

Pour éviter les conflits d’intérêts, une agence ne pourra noter une entité (ou ses produits) lorsque cette dernière détient plus de 10% de son capital. Enfin, les agences pourront être tenues civilement responsables si elles ont porté préjudice à un investisseur en enfreignant le règlement, que ce soit par négligence ou intentionnellement.

Le commissaire européen aux services financiers, Michel Barnier, a salué dans un communiqué un “accord important”, qui permettra de “réduire la dépendance excessive aux notations, éliminer les conflits d’intérêt et établir un régime de responsabilité civile” pour les agences de notation. Il est encore difficile d’estimer l’impact de ces mesures sur les agences. Une chose est sûre : Moody’s, Standard & Poor’s et Fitch auront plus de mal à prospérer dans le futur.

Une cascade d’amendes potentielles

Avec l’introduction de la responsabilité civile, les entreprises et les Etats notés pourront réclamer des dommages et intérêts devant les tribunaux s’ils estiment floués par les agences. Or les agences ont beaucoup de choses à se faire pardonner. Elles n’ont pas vu venir la crise financière, ce qui s’est traduit par des notations fantaisistes. Et elles ont ensuite baissé certaines notes dans l’urgence, accentuant la crise financière.

En dehors de l’Europe, les plaintes de certains clients ont déjà abouti. La justice australienne a condamné récemment Standard &Poor’s à indemniser des collectivités locales ayant englouti des millions de dollars dans des titres très bien notés par l’agence américaine et qui s’étaient effondrés à l’approche de la crise financière de 2008. Certes les montants en jeu sont relativement faibles : environ 15 millions de dollars australiens, soit 12 millions d’euros. Mais il y a un risque d’effet boule de neige. Depuis le verdict australien, des juristes étudient l’opportunité de lancer des procédures collectives contre Standard and Poor’s (S&P) un peu partout en Europe.

Pour les agences de notations, qui ont les reins moins solides que les grandes banques, le risque financier est réel. Leur chiffre d’affaire cumulé représente 2 milliards de dollars. Il suffirait donc en théorie de quelques grosses amendes pour qu’une agence mette la clé sous la porte. Certains experts doutent cependant qu’on en arrive là.

Une concurrence accrue

Mais les agences de notations vont trouver un deuxième frein sur leur route : la concurrence. Depuis la crise financière, la crédibilité des agences de notation est en berne. Du coup, les experts poussent à la création de nouveaux systèmes de notation concurrentiels. Exemple, dans un rapport récent de l’Institut Montaigne, le spécialiste des agences Norbert Gaillard plaide pour le développement de systèmes de ” scorings ” au sein des grands établissements de crédit et compagnies d’assurance. Ces ” scorings ” à usage interne supplanteraient à terme le recours aux notes d’agences.

Bruxelles n’a pas encore repris l’idée. Mais elle est déjà dans toutes les têtes. La Commission affirme qu’elle présentera d’ici 2016 un rapport sur l’opportunité éventuelle de créer une agence européenne de notation. Et pour cause, les mesures de contrôle ne peuvent pas régler tous les problèmes. Par exemple, on ne peut pas obliger les agences à recruter suffisamment. Or cette question est importante. En France, le rapport du Sénat sur les agences de notation dénonçait récemment les moyens humains insuffisants, en qualité et en quantité, pour garantir la rigueur des notations.

De son côté, Norbert Gaillard juge la mesure sur la responsabilité civile “inadéquate et peu réaliste”. Il propose plutôt d’obliger les agences épinglées par l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF) à publier leurs infractions dans la presse économique. Un système moins coûteux et davantage dissuasif, selon lui. Ces ” failles ” dans les règles de contrôle, combinées aux erreurs impardonnables commises par les agences ces dernières années, ouvrent la voie à de nouvelles formes de notations.

Ce n’est pas un hasard si la fondation privée Bertelsmann communiquait il y a quelques jours sur son système de notation maison basé sur 13 critères, 5 macro-économiques et 8 prospectifs. De l’aveu des experts, ce système est plus transparent que celui utilisé par les agences. Mais il reste encore à le financer en toute indépendance. La nouveau système devra aussi faire ses preuves, face à des agences de notations qui pour certaines, sont vieilles de plus d’un siècle. Les agences de notations ont donc sans doute encore quelques belles années devant elles.

Sébastien Julian, L’Expansion.com

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