Exclusif : Albert Frère – FSI : conflit d’intérêt ?

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L’entrée prochaine d’Albert Frère et du Fonds stratégique d’investissement (FSI) au capital de l’armateur marseillais CMA-CGM serait-elle entachée de conflits d’intérêt ? L’actuel dirigeant de FSI doit en effet rejoindre à l’automne prochain la galaxie Frère en devenant le patron d’Imerys. Une confusion des rôles qui inquiète et qui jette la suspicion sur la sincérité avec laquelle les capitaux publics français seront investis ?

Au deuxième étage de la Caisse des dépôts et consignations (CDC) dans le VIIème arrondissement de Paris, l’équipe du Fonds stratégique d’investissements (FSI) s’active. Il est vrai que ces dernières semaines, Gilles Michel, le directeur de ce fonds souverain à la française, filiale de la CDC à 51 %, est dans les starting-blocks pour remettre à flot l’armateur CMA CGM, engagé depuis un an dans une opération de recapitalisation.

Pourtant, ce ne sont pas les amateurs qui ont manqué pour l’armateur phocéen. Car sur les quais marseillais, le numéro trois mondial du transport maritime a vu défiler le gratin de la finance mondiale à son chevet : Vincent Bolloré, Goldman Sachs et Louis Dreyfus, Appolo Investment Management, Colony Capital, Butler Capital ou encore le fonds souverain Qatari Holdings. Et en dépit d’une situation financière critique – CMA CGM croule sous une dette de près de 5 milliards d’euros- Jacques Saadé, le patron-fondateur du groupe, n’a cessé d’opposer des fins de non recevoir à tous ces prétendants.

Tous ? Non, car sur le quai d’Arenc, les requins pointes noires qui s’ébattaient jusqu’alors dans l’aquarium du hall d’entrée du groupe ont laissé la place à un autre gros poisson mais de la finance cette fois : Albert Frère. Et le milliardaire carolo, qui avait déjà ouvert et refermé le dossier CMA CGM à l’automne 2009 jugeant la situation financière trop détériorée, n’est semble-t-il pas venu pour y jouer les bouées de sauvetages.


Accompagné par FSI, le résident de Gerpinnes négocierait une prise de participation commune de 30 % pour un montant proche des 500 millions d’euros. Bien qu’aucune offre ferme n’ait été arrêtée pour le moment, l’homme d’affaires belge apporterait, selon de sources syndicales, 300 millions d’euros au transporteur maritime, via son véhicule CNP, pour 200 millions d’euros pour FSI. Le tout représenterait une part de 30 % du capital de la CMA CGM. La concrétisation de l’opération devrait encore prendre quelques semaines.

La relation entre Frère et la Caisse des dépôts et consignations repart de plus belle

Reste qu’avec ce nouveau deal en cours, la relation entre Albert Frère et la Caisse des dépôts et consignations repart de plus belle tout en jetant quelque peu le trouble. En effet, voilà un hasard du calendrier qui étonne : en juin dernier, Gilles Michel, le directeur général de FSI, annonce son départ à la surprise générale et ce, dix-huit mois seulement après avoir pris la tête du fonds souverain voulu par Nicolas Sarkozy. Le calendrier et la nouvelle destination sont connus : Gilles Michel quittera FSI à la rentrée pour coiffer la casquette de CEO d’Imerys, le leader mondial des minéraux industriels.

Une annonce pour le moins suspicieuse car le Baron Frère demeure l’actionnaire de référence du groupe Imerys puisque sa holding possède 56,21 % du capital et 69,64 % des droits de vote. Dès lors, la légitimité de la double fonction de Gilles Michel inquiète certains observateurs puisqu’il a aujourd’hui un pied dans le public et l’autre (bientôt) dans les affaires privées d’Albert Frère.

Dans cette situation d’intérêts divergents, la confusion des rôles jette la suspicion : “Par quel miracle, Gilles Michel va-t-il devenir le patron d’Imerys”, s’étonne Jean-Marie Kuhn, déjà à l’origine d’une plainte devant les tribunaux belges concernant le rachat, en 2006, par la CDC de la société Quick à la CNP, pour un prix selon lui surévalué (lire notre interview ). Fin juillet et début août, il s’est d’ailleurs fendu de deux courriers à Augustin de Romanet, patron de la Caisse des Dépôts et Consignations, l’alertant sur cet “incontestable et gravissime conflit d’intérêts avec la triple casquette de Gilles Michel, à savoir directeur général du FSI, patron d’Imerys sous peu et arrangeur de l’association FSI/Albert Frère dans CGM-CMA”, dit-il encore dans le courriel. Du côté de la CDC, on assure que ces allégations sont sans fondement.

Du côté de la Blanche Borne, les responsables de la CNP se refusent à tous commentaires : “c’est un triple no comment”, disent-ils agacés par la médiatisation de l’affaire.

Valéry Halloy

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