Embarrassée par l’euro fort, la BCE devrait user de prudence

Mario Draghi, président de la BCE © REUTERS

La Banque centrale européenne devrait s’évertuer jeudi à masquer son embarras face à une inflation trop faible malgré la croissance solide, tandis que l’euro fort jouera les trouble-fêtes, estiment les économistes.

Sauf énorme surprise l’institution de Francfort doit à la fois maintenir ses taux directeurs au plus bas et confirmer la poursuite de son vaste programme de rachats d’actifs – dit “QE” – à un rythme de 30 milliards d’euros par mois jusqu’en septembre.

Mais en l’absence d’annonces majeures, chaque mot sera scruté à la loupe, d’autant que le compte-rendu de la précédente réunion de politique monétaire de la BCE, en décembre, a suggéré des divergences au sein du conseil des gouverneurs.

Toute la question est de savoir quand l’institution amorcera la fin de son soutien massif à l’économie, puisque certains “faucons”, dont le patron de la Bundesbank Jens Weidmann, plaident pour un abandon dès 2018 du QE.

Pour l’heure, le président de la BCE Mario Draghi devrait pourtant “rappeler qu’une politique accommodante est nécessaire tant qu’aucune pression inflationniste ne se dessine”, estime Sylvain Broyer, économiste chez Natixis.

– Casse-tête –

Comme ses homologues des économies développées, l’institution de Francfort affronte un casse-tête: depuis 2014, la croissance ne cesse d’accélérer en zone euro, sans que l’inflation ne parvienne à suivre ce rythme.

“Les facteurs globaux expliquent désormais une part croissante de l’inflation tandis que les facteurs domestiques, tels que le taux de chômage, perdent de l’importance. Il est donc très difficile pour la BCE de faire monter l’inflation face à une mondialisation accrue”, explique Michael Schubert, économiste chez Commerzbank.

De fait, l’inflation en zone euro est retombée en décembre à 1,4% et l’agrégat sous-jacent, qui exclut les prix des denrées alimentaires et de l’énergie, à 0,9%.

La BCE attend certes une lente remontée des prix dans les prochaines années, à 1,5% en 2019 et 1,7% en 2020, mais n’entrevoit pas de retour rapide dans les clous de son mandat, soit légèrement en-dessous de 2% sur le moyen terme.

Inquiète de voir que la baisse du chômage ne stimule guère les salaires, l’institution guettera de près l’issue des négociations salariales en cours en Allemagne, d’abord dans la métallurgie puis dans les services et la fonction publique.

Mais le renforcement de l’euro face au dollar vient aussi fausser le jeu pour la banque centrale, puisqu’il réduit mécaniquement l’inflation en pesant sur le prix des importations.

– Surveiller l’euro –

“Le développement récent du taux de change est une source d’incertitude qui nécessite que l’on surveille la situation”, a déclaré le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, reprenant les propos de Mario Draghi sur le même sujet en septembre dernier.

Malgré tout, “il est peu probable que l’euro plus fort amène la BCE à réviser ses prévisions économiques et à retarder” l’abandon du QE, relativise Florian Hense, chez Berenberg Bank.

Pondéré par les volumes d’échanges avec d’autres devises, l’euro ne s’est apprécié que d’1,2% face au billet vert, explique l’économiste. Par ailleurs, l’effet de l’euro fort sur l’inflation pourrait être compensé par une remontée des prix de l’énergie.

Dans ce contexte délicat, une manière de freiner les spéculations pourrait être de réaffirmer le “séquençage” des prochains tours de vis monétaires, en confirmant que les taux directeurs n’augmenteront que “bien après” la fin du QE, pronostiquent les économistes de Nomura.

La BCE compte ajuster progressivement “tous les éléments qui composent le discours sur les anticipations” – taux d’intérêt et rachats d’actifs – si l’économie et l’inflation évoluent positivement, a dernièrement déclaré Vitor Constancio, vice-président de la BCE, dans le quotidien italien La Repubblica.

Mais cela ne se fera pas “dans l’immédiat”, a-t-il prévenu, car “nous ne devrions pas étouffer la croissance trop tôt”.

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