Economie-fiction : et si les Français écoutaient Cantona ?

© Reuters

L’appel de Cantona à boycotter les banques fait un véritable carton sur l’Internet. C’est aujourd’hui que de nombreux Français doivent tourner le dos à leurs banquiers. Que se passerait-il si cette ferveur se généralisait ?

On croyait à une blague provocatrice. C’est en train de devenir un sujet politique ultra-sensible. Le mercredi 8 octobre, Eric Cantona, interrogé par Presse Océan, confie sa vision de la crise. Plutôt que de manifester contre la réforme des retraites, l’ancien joueur de football appelle les Français à retirer leur argent des banques le 7 décembre.

“S’il y a 20 millions de gens qui retirent leur argent, le système s’écroule”, estime Cantona. Au bout de quelques semaines, l’appel de l’ancien footballeur prend une ampleur inattendue. Sur le Web, il est si largement relayé que le gouvernement, Christine Lagarde y compris, et les dirigeants du secteur se sentent obligés d’intervenir, dénonçant une initiative “tragicomique” voire “insécuritaire”. Que se passerait-il si les Français suivaient l’appel de Cantona ?

Supposons donc qu’aujourd’hui, des millions de Français se précipitent au guichet de leur banque. Les premiers ressortent ravis, les poches remplies de leur épargne en liquide. Mais au bout d’une heure ou deux d’attente, les clients déchantent. La banque n’a pas voulu leur rendre leur épargne. Elle est en fait à cours de liquidités.

“C’est le principe même d’une banque, explique Jézabel Couppey-Soubeyran, économiste à l’Université Paris 1. Elles ont très peu de liquidités puisque l’épargne sert à financer les emprunts à long terme. Les actifs d’une banque, ce sont en fait ses crédits, les sommes que ses emprunteurs devront lui rembourser dans le futur.” Théoriquement, les banques doivent pouvoir tenir 30 jours dans une situation de crise de liquidités. “Mais cette hypothèse ne prend pas un compte un scénario de retrait massif qui, s’il se réalisait, mettrait une banque en difficultés en quelques heures”, ajoute l’économiste.

Une fois toute la liquidité retirée, les banques se retrouvent donc en cessation de paiement. La faillite est quasi-immédiate. Au final, ce sont les épargnants de la banque qui perdent leur argent. Même le précieux fonds de garantie n’y change rien. Ce dernier, qui ne rembourse que 70.000 euros par déposant, ne peut en aucun cas se mettre à indemniser tous les Français. Ses réserves n’atteignent pas 2 milliards d’euros, alors qu’il lui en faudrait 1.084 milliards (chiffres à la fin 2009) pour rembourser tout le monde.

Une fois les banques en faillite et les Français ruinés, c’est l’économie tout entière qui est paralysée. Sans banque, plus de moyens de paiements, plus de financements et plus d’investissements. En quelques semaines, les entreprises font à leur tour faillite. Elles n’ont de toute façon plus les moyens de payer leurs salariés. “Le PIB chute de 98 %”, chiffre Patrick Artus, directeur de la recherche et des études Natixis.

Au chômage et sans argent, des millions de Français en sont réduits à pratiquer l’économie de troc “Un système dont on sait, depuis le 7e siècle avant Jésus-Christ, qu’il est inefficace et très coûteux, estime l’économiste. Un système qui n’a jamais passé l’épreuve du temps.” Patrick Artus ne prend pas à la légère ce type de provocation : “Eric Cantona est un vrai danger public qu’il faut arrêter tout de suite !”

Un danger public… probablement pas si dangereux que cela. Pour la plupart des observateurs, ce scénario catastrophe n’a guère de chance de se produire. Sur Facebook, seules 30.000 personnes ont déclaré vouloir participer à l’opération. “Cela représente 0,05 % de la population française, autant dire une goutte d’eau pour le système bancaire hexagonal”, estime Nicolas Doisy, économiste chez CA Cheuvreux. Or, même les adhérents au mouvement risquent d’y réfléchir à deux fois avant de quitter leur banquier. Car sans banque, le quotidien risque de se compliquer sensiblement : finis les paiements en lignes, les virements automatiques, les chéquiers, et les distributeurs à chaque coin de rue.

“Dans tout bank run (course aux dépôts), il faut une coordination entre les épargnants, précise Jézabel Couppey-Soubeyran. Cette coordination existe quand tous les gens pensent au même moment qu’ils risquent de perdre leur argent s’ils ne sont pas les premiers à le retirer. D’où des mouvements précipités.”

A l’inverse, dans le cas d’un appel, qui ne repose sur aucune motivation économique, “chaque déposant craint que les autres ne le fassent pas et décidera donc de ne pas aller demander le remboursement de ses dépôts, juge l’économiste. Plutôt que d’appeler à un tel mouvement de défiance envers les banques, mieux vaudrait une vraie mobilisation citoyenne pour renforcer les filets de sécurité financière, c’est-à-dire renforcer la supervision des banques, demander aux banques centrales de se préoccuper davantage de la stabilité financière, mettre en place de vraies institutions internationales de supervision au-delà des comités de concertation qui existent déjà.”

C’est vrai… mais cela ferait certainement beaucoup moins de buzz !

Julie de la Brosse, L’Expansion.com

Cantona, économiste averti ?

Eric Cantona se serait-il inspiré de grands économistes pour élaborer son appel au boycott des banques ? Dans le courant du 19e siècle, l’économiste Henry Ford (1863-1947), déclare : “Il est une chance que les gens de la nation ne comprennent pas notre système bancaire et monétaire, parce que, si tel était le cas, je crois qu’il y aurait une révolution avant demain matin.”

L’économiste fait référence à la théorie de la création monétaire, par laquelle les banques ne sont pas seulement des intermédiaires qui récupèrent l’argent de l’épargne pour la prêter, mais sont surtout de véritables institutions de création monétaire. Une vérité qui, si elle était révélée au public, pourrait, selon lui, conduire à la révolution.

“Dans son essence, la création de monnaie ex nihilo actuelle par le système bancaire est identique… à la création de monnaie par des faux monnayeurs, estimait d’ailleurs Maurice Allais (1911-2010) bien des années plus tard. Concrètement, elle aboutit aux mêmes résultats. La seule différence est que ceux qui en profitent sont différents.”

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