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Coronavirus et finances publiques: “Double peine pour le budget”

Dans l’urgence des deux derniers mois, la priorité des gouvernements a bien entendu été de faire face au choc en engageant les dépenses nécessaires pour acquérir le matériel manquant, en activant les filets de sécurité sociale, notamment en matière de chômage temporaire, ou encore en accordant des reports de taxes ou de charges aux entreprises.

Cela a évidemment un coût énorme : en dehors des reports, il est probable que la facture pour l’Etat prise dans son ensemble atteigne près de 15 milliards d’euros. Cela risque même d’être beaucoup plus. C’est une dépense importante mais il faut se rappeler qu’en 2019, le total des dépenses de l’Etat atteignait 250 milliards d’euros. Toutes proportions gardées, cela semble gérable.

Ceci étant, en cas de crise, les finances publiques subissent une double peine : les dépenses augmentent, comme on vient de le montrer, mais d’un autre côté, les recettes se réduisent. En effet, la plupart des taxes et impôts étant une proportion d’une dépense (TVA) ou d’un revenu (IPP, Isoc), les revenus de l’Etat évoluent parallèlement à l’activité économique et, donc, au PIB. Dès lors, quand celui-ci se contracte, les revenus de l’Etat font de même. Or, dans le cas présent, une contraction inédite du PIB est attendue. Les estimations devront encore être révisées mais, sur l’ensemble de l’année, il ne serait pas étonnant de voir le PIB de la Belgique se contracter de plus 5% en terme nominal, ou encore de 25 milliards d’euros. Sachant qu’en Belgique, les revenus de l’Etat correspondent à environ 50% du PIB, cela représente un manque à gagner de pas moins de 12,5 milliards. Il faut ajouter à cela qu’en raison de la progressivité de l’impôt, la chute d’activité entraînera aussi une légère baisse de la part ponctionnée par l’Etat.

En tenant compte des moindres recettes, de l’augmentation des dépenses et bien sûr du déséquilibre des finances publiques qui était déjà attendu avant la crise, le déficit public de la Belgique pourrait atteindre entre 35 et 40 milliards cette année, soit plus de 8% du PIB de 2020. Ces milliards, l’Etat doit les emprunter sur les marchés. Et c’est ici qu’intervient la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE). La masse de dettes émises par l’ensemble des Etats sur les marchés (puisqu’ils sont tous dans la même situation) provoquerait, en temps normal, au mieux une forte hausse des taux d’intérêt et, au pire, l’impossibilité pure et simple de trouver preneur pour ces dettes. Mais grâce à la présence massive de la BCE (durant le seul mois d’avril, elle a acheté pas moins de 140 milliards d’euros sur les marchés), non seulement toutes les dettes émises trouvent preneur mais, en plus, le coût de financement des Etats reste faible. Pour un pays comme la Belgique, l’économie est substantielle et malgré une augmentation drastique de la dette publique cette année, la charge d’intérêt payée ne devrait pas augmenter, que du contraire.

Tout est donc sous contrôle… Si ce n’est que la Cour constitutionnelle allemande ne voit pas les choses de la sorte. Au-delà de la saga juridique entre celle-ci et la Cour européenne de justice, son jugement du 5 mai dernier remet gravement en cause les achats passés de dettes publiques par la BCE. Mais de plus, elle énumère des conditions strictes dans lesquelles ces achats ne sont effectivement pas considérés comme du financement monétaire de dettes publiques (ce qui est interdit par les traités organisant la BCE). Or, le programme d’achat d’actifs lancé en urgence par la BCE pour faire face à la crise actuelle ne respecte pas certaines de ces conditions. Il ne faudra pas longtemps avant que de nouvelles actions soient donc intentées devant la même Cour, qui aura probablement la même sévérité.

Bref, le jugement de la Cour constitutionnelle allemande nous concerne tous car les achats d’actifs financiers par la BCE jouent un rôle essentiel dans la lutte contre les conséquences économiques de la crise. Ces achats permettent de faire face aux dépenses et au manque de recettes pour les Etats sans qu’en plus, il ne faille se demander comment financer les déficits qui en résultent. Est-ce l’unique solution ? Non, il en existe d’autres : on peut mener une cure d’austérité inédite, mobiliser de force une partie de l’épargne nationale, ou encore faire défaut sur la dette existante. Mais ces alternatives risquent de déstabiliser encore plus les structures économiques et sociales du pays.

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