Zoom sur trois marques automobiles de luxe

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Le luxe est peu sensible aux cycles économiques: les personnes fortunées ne craignent ni récessions, ni ralentissements, et continuent à acheter ce qui leur plaît. La récente introduction de Porsche en Bourse est l’occasion de nous intéresser aux marques automobiles de luxe cotées.

Porsche: marque forte, mais…

C’est le 29 septembre que l’emblématique marque allemande a rejoint Ferrari et Aston Martin en Bourse. Avec une valorisation de plus de 70 milliards d’euros, il s’agit d’une des IPO majeures de l’histoire récente. Lors de la première séance, l’action atteignait 82,5 euros; la capitalisation boursière a, depuis, dépassé celle de Volkswagen.

En ouvrant 12,5% de son capital au public, le groupe Volkswagen (VW) a levé 19,5 milliards d’euros, dont il versera la moitié sous la forme d’un dividende spécial, l’autre moitié étant destinée à financer les investissements dans l’électrification de sa propre gamme. Cela fait belle lurette que Porsche a cessé de ne produire que des bolides à deux portes aux lignes basses: depuis le début des années 2000, elle élargit systématiquement sa gamme aux SUV (Cayenne), aux berlines à quatre portes (Panamera) et, plus récemment, à des voitures entièrement électriques (Taycan), une diversification qui contribue à sa vigoureuse croissance. En 2011, 119.000 voitures étaient sorties des chaînes de montage, contre 302.000 en 2021, soit un taux de croissance de 10% l’an. Cet élargissement lui confère également une plus grande flexibilité en termes de fixation des prix et de personnalisation, ce qui propulse ses marges bénéficiaires à la hausse.

Porsche profite de l’accroissement généralisé de la prospérité dans le monde. Alors qu’en 2008, l’Amérique du Nord et l’Europe représentaient 74% de ses ventes, cette part s’est réduite à 55% en 2021, au profit de la Chine, passée de 8% à 32%, et du reste du monde. Porsche présente ses résultats dans deux segments: les ventes de voitures et les services financiers. Le premier assure 90% de son chiffre d’affaires (CA), qui s’est établi à 30,3 milliards d’euros en 2021. La branche financière (3,1 milliards) s’articule autour du leasing, du crédit à la clientèle et des assurances. La marge d’Ebitda (cash-flow opérationnel/CA) a atteint 22,4% en 2021 et la marge d’Ebit (bénéfice opérationnel/CA), 16%.

N’en déplaise aux puristes, l’avenir sera électrique ou au moins, hybride, pour Porsche aussi. Plus de la moitié des investissements sont consacrés au passage aux énergies vertes et d’ici à 2030, 80% des voitures vendues devraient être électriques. Le recul de 5% en glissement annuel du nombre de véhicules vendus au premier semestre n’a pas empêché le CA de croître de 8,5%: l’entreprise est donc en mesure de répercuter la flambée des coûts et de l’inflation sur ses clients. Les bénéfices ont eux aussi progressé, alors que le cash-flow cédait 8% en rythme annuel. Le nombre de commandes est passé de 188.000 environ en juin 2021 à 170.000 entre janvier et juin 2022. Porsche vise une croissance annuelle de 7-8% de son CA et une marge d’Ebitda de 25-27% (24,5% actuellement, pour le segment automobile). A moyen terme, elle entend consacrer la moitié de ses bénéfices au paiement de dividendes.

L’entreprise est prometteuse à bien des égards mais sur le plan de la gouvernance, beaucoup de choses font obstacle aux intérêts des actionnaires. Elle reste très contrôlée par VW, qui obtient la majorité au conseil d’administration et conservera 75% des droits de vote. Porsche et VW se partagent en outre le même CEO, en la personne d’Oliver Blume – tout tourne donc autour des intérêts de VW. Porsche continuera certes à produire de bons résultats, mais cette “touche VW” l’empêche d’atteindre la même valorisation que Ferrari – pour longtemps, même, peut-être encore.

Ferrari: qualité supérieure

L’entreprise italienne est entrée en Bourse en octobre 2015. Les actionnaires de la première heure ont été bien avisés puisque le cours est, depuis, de 240% plus élevé, ce qui représente un rendement d’environ 40% par an. Ferrari est très différente de sa rivale allemande. Elle produit moins: 11.155 voitures sont sorties de ses usines l’an dernier (pour 7.664 en 2015). Les trois quarts de la production ont été écoulés en Europe et en Amérique, le reste, en Asie. A 4,3 milliards d’euros, le CA annuel est très inférieur à celui de Porsche.

Les marges sont, elles, d’un tout autre ordre. L’entreprise de Maranello a clos l’exercice 2021 sur une marge d’Ebitda de 36% (+10% par rapport à 2015). Son Ebit et son bénéfice net ont augmenté de façon constante ces dernières années. La stratégie qui consiste à cibler le segment le plus haut de gamme s’est jusqu’à présent révélée très efficace. Dix pour cent du CA proviennent du sponsoring et de la commercialisation de la marque et 4%, de la vente de blocs moteurs à Maserati. Ce qui fait de Ferrari une marque plus luxueuse et plus forte encore, aux marges et au pouvoir de fixation des prix plus élevés, que Porsche. Avec un rapport cours/bénéfice (C/B) de 40 environ et un ratio valeur de l’entreprise (EV)/Ebitda qui tourne autour de 20, sa valorisation est comparativement très élevée.

Ferrari caresse d’ambitieux projets. Elle entend commercialiser 15 nouveaux modèles entre 2023 et 2026, ce qu’elle avait déjà fait entre 2018 et aujourd’hui. Elle met l’accent sur son CA plus que sur le nombre d’unités produites. La direction annonce un CA de 4,8 milliards d’euros pour cette année, et de plus de 6,7 milliards en 2026. Elle vise une marge d’Ebitda de 38-40%, et des flux de trésorerie disponibles plus importants qu’aujourd’hui.

Sur le plan du développement durable, Ferrari a davantage de difficultés à abandonner les combustibles fossiles. Elle cherche à améliorer l’efficacité de ses moteurs, mais le passage au tout-électrique n’est pas encore à l’ordre du jour. Elle devrait pouvoir proposer d’ici à 2030 40% de voitures électriques et 40% de véhicules hybrides, le reste demeurant à essence.

Relativement peu endetté, le pur-sang italien affiche une bonne santé financière. CA, bénéfices et cash-flows devraient continuer de progresser. Les ventes de voitures de luxe semblent insensibles à toute forme de ralentissement ou de récession – la demande, au contraire, dépasse l’offre, et les propriétaires de Ferrari ne s’inquiètent guère de leur facture énergétique. Ferrari est une action de premier ordre qui, comme d’autres, a subi des revers en Bourse. Pour l’investisseur en quête de qualité, le moment est venu d’acheter mais dans l’ensemble, le titre est à l’image de la voiture: agréable à détenir si on a trop d’argent, mais pas indispensable.

Aston Martin: redressement ou agonie?

La situation d’Aston Martin est très différente. Depuis son IPO, en 2018, le constructeur britannique a perdu 98% de sa capitalisation boursière. La trajectoire boursière de la marque préférée de James Bond a tout d’un désastre. Lawrence Stroll, qui a fait fortune dans la mode, a repris l’entreprise, alors au bord de la faillite, en 2020. En plus d’user ses CEO à une vitesse vertigineuse, Aston Martin est plongée dans des difficultés financières constantes. Pas plus tard qu’en septembre, elle a levé 650 millions de livres sterling pour rembourser ses dettes et garder la tête hors de l’eau.

Tous deux venus de chez Ferrari, les nouveaux CEO et directeur technique ont pour mission de renverser la vapeur. La marque a écoulé 6.178 voitures en 2021, contre 3.394 en 2020 et 5.862 en 2019. Son CA s’est établi à 1,1 milliard de livres et son Ebitda, à 138 millions, soit une marge de 12%. Elle est donc beaucoup moins rentable que ses deux prestigieuses concurrentes.

Avec un ratio d’endettement (dette nette/Ebitda) supérieur à 4 et un cash-flow disponible négatif depuis plusieurs années, sa situation financière est bien moins enviable également. L’entreprise s’est fixé des objectifs ambitieux puisqu’elle veut, d’ici à 2025, vendre 10.000 voitures par an, multiplier son CA par deux et porter sa marge d’Ebitda à 25%. Ce qui, compte tenu des résultats des derniers exercices, est loin d’être garanti. Son action est actuellement bon marché: elle s’échange à un rapport EV/Ebitda (Ebitda escompté pour 2025) de 3,3. On ignore si elle montre des premiers signes de redressement ou d’agonie. Elle est en tout état de cause loin d’être aussi rentable et génératrice de cash-flows que Porsche ou Ferrari. Réservée aux audacieux.

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