Investir dans les émergents

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Les marchés en développement exigent une vision de plus en plus tactique de la part des investisseurs, en actions comme en obligations; les gestionnaires actifs compétents peuvent en d’autres termes dégager de meilleurs résultats que les solutions d’investissement passives.

Investir dans les marchés émergents est une démarche relativement récente. C’est en 1988 que MSCI a proposé le premier Emerging Markets Index, alors composé de 10 pays. Peu transparentes ou accessibles, de grandes nations comme la Chine, Taïwan et l’Inde n’en faisaient pas partie.

Les choses ont bien changé depuis. La croissance relativement rapide des économies émergentes a attiré de plus en plus d’investisseurs. Si ceux-ci se sont toujours principalement intéressés aux actions, les obligations, qu’elles soient libellées en monnaie locale ou en devise forte (en dollar américain en particulier), ont gagné en popularité ces 10 dernières années.

Les marchés obligataires ont énormément évolué. Alors qu’au départ, les émergents ne pouvaient emprunter qu’en dollar, les monnaies locales se taillent désormais une place de choix parmi les émissions non seulement d’Etats, mais aussi d’entreprises. Plusieurs grandes entreprises occidentales empruntent aujourd’hui en monnaies émergentes. Des constructeurs automobiles qui exportent beaucoup vers la Chine ou qui fabriquent en Chine, par exemple, ont émis des obligations en yuan.

Pas toujours une réussite

Malgré leur forte croissance, économique autant qu’en termes de volumes négociés en Bourse, les investissements dans les émergents ne se sont pas toujours avérés payants. Entre 2000 et 2007, ces marchés se sont relativement bien comportés face à l’Occident. Le MSCI Emerging Markets Index a progressé 2,5 fois plus vite environ que le MSCI World, qui regroupe les 2.000 plus grandes entreprises des pays matures. Les quatre grands marchés que sont le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (les pays BRIC, acronyme inventé par Jim O’Neill, alors stratégiste investissements chez Goldman Sachs) ont affiché une croissance particulièrement rapide à l’époque. Plusieurs grandes banques d’affaires américaines misaient d’ailleurs pleinement sur ce thème pour le compte de leurs clients.

Après la crise des crédits, qui a frappé de plein fouet tous les marchés du monde, pour atteindre son apogée en février 2009, la situation s’est inversée, puisque le MSCI World a depuis fait presque deux fois mieux que le MSCI Emerging Markets. Il faut dire qu’en compressant les taux d’intérêt et en menant une politique d’assouplissement quantitatif résolue, l’Europe, le Japon et les Etats-Unis se sont montrés particulièrement efficaces, ce que les banques centrales de la plupart des pays émergents n’avaient pas, ou pas dans la même mesure, les moyens de faire. En plus de provoquer une “inflation des actifs” sur les Bourses matures, cette politique monétaire accommodante a permis à énormément de grandes entreprises occidentales de racheter leurs propres actions, en partie en se finançant à bon compte sur les marchés obligataires.

Ceux-ci ont du reste vécu une histoire similaire. L’atonie des taux d’intérêt voulue depuis la crise des crédits a stimulé les marchés obligataires occidentaux. Les obligations des marchés émergents libellées en dollar, la monnaie la plus forte du monde depuis la crise, ont continué à afficher des performances raisonnables. En revanche, depuis la dizaine d’années que les investisseurs y ont largement accès, les rendements des obligations en monnaie locale (non couvertes) n’ont jamais été à la hauteur des espérances. Les dégâts sont toutefois peu importants, car la prudence de la Banque de Chine et la volonté du gouvernement chinois d’en faire la deuxième monnaie de réserve, à côté du dollar, ont permis au yuan d’assez bien résister.

Trois grands blocs

Reste à savoir si les choses peuvent vraiment tourner en faveur des émergents. Plusieurs années durant, des analystes réputés ont émis, tant pour les actions que pour les obligations, des prévisions (modérément) positives – en tout cas, jusqu’à la crise sanitaire, contre laquelle les pays matures ont disposé d’outils plus puissants. Née de la pandémie, renforcée par la guerre en Ukraine et par la crainte d’assister à une invasion de Taïwan, une nouvelle division géopolitique a vu le jour: les trois blocs que forment désormais les Etats-Unis, la zone euro et la Chine se veulent de plus en plus indépendants économiquement.

Une subdivision existe au sein des économies en développement également. Nous avons tout d’abord le groupe des pays riches en matières premières, qui ont globalement pu profiter des hausses de cours. Compte tenu des nouvelles appréciations prévues, la plupart de ces pays peuvent appréhender l’avenir avec une certaine sérénité. Viennent ensuite les pays totalement ou presque totalement dépourvus de matières premières mais qui, malgré la guerre, continuent de commercer avec la Russie. C’est le contingent le plus énorme, puisqu’il inclut la Chine, l’Inde et l’Indonésie. Il considère de plus en plus le rouble et le renminbi comme des monnaies de réserve. Le troisième groupe enfin ne détient ni matières premières, ni devises acceptées par la Russie ou la Chine; nous parlons du Sri Lanka, du Bangladesh, du Pakistan ou encore de la Turquie.

Ces nations ont beau être actuellement hors circuit, rien ne dit qu’il ne sera pas, à terme, intéressant d’y investir. La Chine ou la Russie pourraient à tout moment les qualifier de stratégiquement importantes. Bien que leurs devises aient considérablement souffert récemment, un affaiblissement du billet vert pourrait leur être favorable. Le fait est que les émergents exigent une vision de plus en plus tactique de la part des investisseurs, en actions comme en obligations; les gestionnaires actifs compétents peuvent en d’autres termes dégager de meilleurs résultats que les solutions d’investissement passives.

Nous vous recommandons de diversifier le plus possible le volet “émergents” de votre portefeuille

Valorisations

Que ce soit économiquement ou politiquement, les émergents ne peuvent, on le voit, pas être mis dans un même panier – et nous ne parlons même pas des “marchés frontières”, mus par d’autres dynamiques d’investissement encore. Fondamentalement, la valorisation des économies en développement est séduisante. Le ratio cours/bénéfice du MSCI Emerging Markets (bénéfices des 12 derniers mois) est de 11,3, contre 17,7 pour le MSCI World; quant à son ratio cours/valeur comptable, il s’établit à 1,7 (2,7). Historiquement, ces ratios sont juste inférieurs aux moyennes à long terme.

Pendant 10 ans, les obligations des émergents ont déçu. L’insolente santé du dollar a été la principale cause de cet échec, et la crise sanitaire a rendu les investisseurs encore plus méfiants. Mais plusieurs monnaies locales se redressent cette année et les perspectives paraissent réjouissantes, pour les trois raisons suivantes: premièrement, le lourd endettement des Etats-Unis et les difficultés auxquelles est confronté le secteur bancaire américain exercent une pression accrue sur le dollar. Or un dollar faible est synonyme de hausse des monnaies émergentes. Deuxièmement, les banques centrales de nombreuses nations en développement sont entrées en guerre contre l’inflation plus tôt; elles sont moins endettées que leurs homologues américaine ou japonaise, par exemple. Troisièmement, les marchés obligataires locaux évoluent; ils disposent notamment de lignes de crédit accordées par la Chine, ou peuvent financer avec leurs propres devises l’achat de matières premières à la Russie.

Il est intéressant de noter que la volatilité des bons du Trésor américain est désormais plus marquée que celle des emprunts souverains de la plupart des émergents – ce qui ne soutient pas non plus le dollar, tant s’en faut. L’euro et le yen ayant eux aussi leurs problèmes, les banques centrales cherchent à diversifier davantage leurs réserves. Le yuan pourrait contribuer efficacement à cette démarche.

Comment investir ?

Il n’y a aucune raison de ne pas avoir une pondération au minimum neutre sur les émergents, ne serait-ce que pour des questions de diversification. Le coefficient de corrélation entre les rendements des marchés d’actions émergents et matures se situe entre 0,55 et 0,90, des chiffres que la subdivision en trois grands blocs a encore fait baisser ces deux dernières années. L’ajout des émergents réduit par conséquent le risque pour le portefeuille. Nous recommandons de diversifier le plus possible le volet “émergents” du portefeuille, en investissant dans des fonds gérés activement ou passivement et en évitant actions et obligations d’entreprises individuelles. Dénicher des fonds bien conçus et activement gérés demande un peu d’efforts, mais le jeu en vaut la chandelle.

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