Entreprises d’utilité publique européennes

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Voici, pour l’investisseur qui dispose d’un horizon de plus d’un an, et sait que les ingérences politiques, sans doute appelées à durer, dans le secteur, continueront à faire fluctuer les cours ces prochains mois, trois actions intéressantes.

La hausse vertigineuse des prix de l’électricité a incité l’Union européenne (UE) à intervenir – pour longtemps, sans doute. L’immixtion des pouvoirs publics pèse sur les entreprises de services aux collectivités de la zone.

Fin septembre, les ministres européens de l’énergie ont adopté toute une série de mesures. A l’obligation de réduire la consommation d’électricité de 5% pendant les heures de pointe entre le 1er décembre 2022 et le 31 mars 2023, s’ajoute une réduction volontaire de 10% pendant cette même période. Les Etats membres de l’UE se sont par ailleurs mis d’accord sur la “contribution de solidarité” proposée par la Commission – soit une taxation des surprofits du secteur des combustibles fossiles.

Pour les entreprises de services aux collectivités, c’est le plafond imposé sur les recettes des producteurs qui utilisent des technologies dites inframarginales, c’est-à-dire notamment l’énergie nucléaire et le lignite, mais aussi des sources renouvelables, qui constitue la mesure la plus importante. Fixé à 180 euros par mégawatt-heure (MWh), ce plafond sera appliqué entre le 1er décembre 2022 et le 30 juin 2023, soit trois mois plus longtemps qu’initialement prévu. Loin d’être une limite aux prix payés par les ménages, ces 180 euros signifient que si les producteurs concernés vendent leur électricité 500 euros par MWh, par exemple, ils devront en céder 320 à l’Etat.

Pour Peter Bisztyga, analyste à la Bank of America Merrill Lynch, l’accord permet aux Etats membres d’autoriser les entreprises à conserver jusqu’à 10% du chiffre d’affaires situé au-delà des 180 euros par MWh. Pour le reste, l’expert n’y voit “que des mauvaises nouvelles” pour le secteur, car il donne presque un blanc-seing à chacun des Etats membres. L’expert n’exclut par exemple pas que les plafonds deviennent inférieurs à 180 euros. Il rappelle que les mesures doivent être proportionnées et “ne peuvent compromettre les signaux d’investissement”.

D’autres initiatives, comme une taxation (accrue) des surprofits, restent également envisageables. Selon James Brand, analyste à la Deutsche Bank, la flexibilité dont disposent les Etats membres n’a rien de nouveau, mais l’UE insiste désormais beaucoup à son propos. Ce qui, estime le spécialiste, fait planer un climat d’incertitude sur les producteurs d’électricité. Nous analyserons ici trois entreprises susceptibles d’intéresser l’investisseur qui dispose d’un horizon long.

RWE

L’allemand RWE, qui produit près de 5,1 gigawatts (GW) sur les 18,6 de capacité durable disponibles au Royaume-Uni, n’est pas à l’abri du risque politique. Au même titre que ceux des entreprises d’utilité publique (durables) britanniques, son cours est sous pression depuis plusieurs jours, car le déjà controversé gouvernement de Liz Truss semble finalement envisager de taxer les surprofits.

RWE a franchi deux étapes stratégiques importantes en octobre. Il s’est entendu avec le gouvernement allemand au sujet de ses centrales au lignite, qu’il fermera non plus en 2038, mais dès 2030. Il a également poursuivi sa diversification politique et géographique, en acquérant les activités durables de Consolidated Edison, ce qui lui permettra de ventiler d’une manière à peu près égale sa production d’énergies renouvelables entre l’Europe, le Royaume-Uni et les Etats-Unis d’ici à 2030. Ces activités, pour lesquelles il a mis sur la table 6,8 milliards de dollars, dette comprise, généreront un cash-flow opérationnel (Ebitda) de 600 millions de dollars par an.

RWE finance une partie de cette opération au moyen d’un emprunt obligataire de 1,8 milliard de dollars, et par l’émission d’une obligation convertible obligatoire de plus de 2,4 milliards d’euros, à laquelle a souscrit le fonds souverain du Qatar. Lorsque, dans un an, cette obligation aura été convertie en actions, le Qatar détiendra un peu moins de 10% de RWE. Selon qui la transaction contribuera directement à soutenir son bénéfice par action. La direction a toujours l’intention de verser un dividende de 0,90 euro par action au minimum, selon un ratio de distribution qui demeure fixé à 50-60% du bénéfice net. L’arrêt prématuré des centrales au lignite allemandes contraint le groupe à augmenter ses provisions de 1,3 milliard d’euros, une somme d’ores et déjà entièrement couverte par des actifs financiers.

Tancrède Fulop, analyste chez Morningstar, souligne que pour des entreprises comme RWE, Engie et Eon, qui ont constitué d’importantes provisions pour financer le démantèlement de leurs centrales nucléaires et centrales au lignite ainsi que leurs engagements de pension, la hausse des taux longs est une excellente chose, puisqu’elle réduit la valeur actuelle de ces dépenses futures. Avec un rapport cours/bénéfice (C/B) de 14 et un rendement en dividende de 2,4% escomptés pour l’an prochain, RWE est intéressante.

Engie

Engie est une société de services aux collectivités dite intégrée: elle produit, transporte et distribue de l’électricité (et du gaz naturel) dans 35 pays, principalement d’Europe et d’Amérique latine. Elle négocie également sur le marché ouvert. Une bonne partie de son électricité est vendue à prix fixe par le biais de contrats à terme. L’entreprise française a déjà écoulé cette année 92% de sa production pour le marché libre européen, au prix moyen de 74 euros par MWh. Pour 2023, seuls 69% sont actuellement vendus, à 70 euros en moyenne; Engie tirera donc profit de la flambée des prix en Europe – une véritable manne en 2022 et en 2023, commente Peter Bisztyga.

Tancrede Fulop précise que le groupe s’acquitte lui aussi d’impôts spéciaux, dont celui qui frappe les centrales hydroélectriques françaises et les centrales nucléaires belges. Il a par exemple rétrocédé au premier semestre 467 millions de bénéfices à la France et à la Belgique. Ce qui n’a pas empêché son bénéfice net d’augmenter de 1,9 milliard d’euros, à 3,2 milliards, sur cette même période. La hausse des taux d’intérêt ne le dérange pas, tant s’en faut: plus de 90% de l’encours de sa dette est assorti d’un coupon fixe et d’une échéance moyenne de 12 ans environ. Pour lui aussi, les relèvements de taux font baisser la valeur actuelle des futures dépenses de pension et de démantèlement.

Engie mise pour l’exercice sur un bénéfice net inchangé, estimé de manière prudente à 3,8-4,4 milliards d’euros. Il entend verser 65-75% de son bénéfice net en dividendes, avec un minimum de 0,65 euro par action. Le dividende pourrait donc fluctuer au fil des ans. Compte tenu d’un ratio C/B estimé à 7,5 et d’un rendement en dividende de près de 7% pour 2023 (année où les bénéfices seront très probablement inférieurs à ceux de 2022), le cours intègre déjà bien des vents contraires.

EDP

Avec un rendement en dividende escompté de 4,2%, le portugais EDP se situe entre RWE et Engie. Bien diversifié lui aussi, il tire 62% de son Ebitda de l’électricité durable (solaire, éolienne et hydroélectrique) et plus de 36%, de l’électricité issue de réseaux de transmission et de distribution. Sa diversification est géographique également: 41% de son Ebitda sont réalisés au Portugal et en Espagne, 21%, au Brésil et 20%, en Amérique du Nord. En 2008, EDP a introduit en Bourse 75% d’EDP Renováveis (EDPR), aujourd’hui un des quatre plus grands producteurs d’électricité renouvelable au monde. Cette filiale représente actuellement 84% de la capitalisation boursière d’EDP. Dans lequel Barclays, Morningstar et UBS voient un excellent moyen de bénéficier de la croissance et de la valorisation d’EDPR.

EDP Brasil est cotée en Bourse de São Paulo. Ce pôle, dont EDP détient toujours 56%, représente 8,5% de la capitalisation boursière totale. EDPR et EDP Brasil constituent ensemble 92,5% de la capitalisation boursière du groupe, dont les activités ibériques sont par conséquent très modestement valorisées. Selon UBS, le bénéfice par action d’EDP devrait pouvoir progresser de 9% par an en moyenne entre 2022 et 2025.

EDP annonce un paiement annuel de 75-85% de son bénéfice net sous la forme de dividende, avec un minimum de 0,19 euro par action. Compte tenu d’un rapport C/B escompté de 15,6 et d’un rendement en dividende de 4,4%, le titre est raisonnablement valorisé.

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